Je ne sais pas si le point d'exclamation doit être désolé ou impatient.
Aurais-je du titrer
- Quelle désolation !
ou
- Quelle occasion !
...?
C'est aussi cette incertitude qui fait chantier en ces lendemains d'un ultime(?) rendez-vous dans la rue contre la réforme des retraites.
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C'est peut-être l'intérêt majeur, et d'ores et déjà la forme d'un réel succès de ce conflit que d'avoir percuté, en même temps que l'ordre social d'une démocratie hébétée, l'ordre de nos idées, ou du moins le confort de quelques paresses... ou facilités.
C'est la reprise de parole !
C'est la remise en question.
Serait-ce la reprise de conscience ?
Serait-ce la reprise du politique ?
Possiblement.
"En finir avec 68"... l'effet boomerang ?
Peut-être,
le souffle est ténu,
il faut tisser.
Quelques jolis fils à tisser parmi d'autres :
- "Est-ce ainsi que les Français veulent vivre ?" (Pierre CORNU)
- "Pour une guérilla sociale durable et pacifique" (Philippe CORCUFF)
- "L'heure du peuple" (Edwy PLENEL)
- "Retraites : le choc du travail contre la finance" (Gabriel COLLETIS)
Et mon tissage perso, plein de trous, d'accrocs et d'inachevé.
- "Le 4 et le 7... bien sûr, mais au fait... pourquoi ?"
- "Coup de bluff... celui qui perd est mort"
- "Il faut une insurrection qui viendra trop tard"
- "Et voilà !"
- "De la difficulté du dossier des retraites"
- "Nicolas Sarkozy et les poupées russes"
- "Retraites, politique, souveraineté et croyances... ou la métamorphose douloureuse"
Il faudrait consolider.
Comment faire ?
Parler, dire, mettre en partage, écouter.
Essai.
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Ce n'est peut-être pas la bonne façon, mais j'ai décidé pour la soumettre à controverse, de faire le point sur ma propre réflexion à partir de trois angles d'attaques:
- les manifestations de rue (auxquelles j'ai participé et avec plaisir),
- les analyses publiées sur Médiapart et ci-dessus mises en lien,
- les proposition alternatives à la réforme Sarkozy pour le financement des retraites, assez largement médiatisée, également sur Médiapart,
pour tenter ensuite d'avancer...le tissage.
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A propos des manifestations :
Il a été abondamment dit et répété que les mots d'ordre et les appels syndicaux sont restés largement en deça des sentiments populaires exprimés par la rue. Les slogans, pancartes et banderolles improvisés l'ont largement démontré.
Les retraites... oui, bien sûr... mais il s'agissait aussi de bien d'autres choses, de justice, de refus de la violence des rapports sociaux, de colère ...
Un désir profond de reprise de sa souveraineté par une population humiliée, méprisée... depuis si longtemps...soutenant à 65 ou 70% les protestataires.
Oui.
Mais il y a un bémol, et de taille.
Curieusement, cette mobilisation n'a pas su, ou n'a pas voulu, s'ouvrir aux victimes emblématiques de la politique qu'elle dénonce. Elle les a ignorées, elle a oublié, elle aussi, les populations oubliées des banlieues, elle a oublié les populations oubliées (beaucoup moins nombreuses il est vrai) de la ruralité. Ces cohortes immenses des déjà chômeurs et des déjà précarisés qui subissent quotidiennement la violence et l'injustice d'un système fou.
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Analyses :
Les contributions mises en lien ci-dessus (de Pierre Cornu, Philippe Corcuff, Edwy Plenel et Gabriel Colletis), bien que de factures et d'ambitions très différentes (et complémentaires, à mon goût) ont une chose en commun, elles font toutes l'impasse sur la contextualisation et la mise en perspective internationale de cette séquence française.
C'est étonnant.
A n'en pas douter, l'exercice est difficile sur un tel format de texte... mais n'est-il pas indispensable ? Et n'y aurait-il pas eu matière à ce titre, au moins à une remarque, voire à un papier de prolongement ?
Pour ma part, je le crois.
Et je ne peux à ce titre que renvoyer à ce papier de Frédéric Lordon, utilement mis en lien sur son blog par Velveth, le... 28 mai dernier !
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Alternative(s) :
Ici, à Médiapart, Un accueil enthousisaste a été réservé à juste titre au travail de Bernard Friot "L'enjeu des retraites" et en particulier aux projections alternatives qu'il oppose au discours régressif du MEDEF et du gouvernement pour démonter l'argument comptable et démographique.
La rationalité économique et le bon sens seraient donc de ce côté ci, et avec les travaux tels que ceux de Robert Castel en arrière plan, tout cela constitue un appareillage théorique et conceptuel en effet conséquent qui ne devrait plus laisser beaucoup de place au doute. C'est du moins ce que l'on pouvait escompter au vu du soutien de l'opinion aux grévistes et aux manifestants.
Cependant, les hautes sphères syndicales et leaders socialistes, pourtant soucieux de préserver leur représentativité et leur rang, le premier, tant sur le pavé que sur les plateaux télé, sont semble-t-il restées sourds.
Paradoxalement, leur obstination à faire valoir la nécessité de négociations, avec le gouvernement comme avec le patronat, a insidieusement validé l'hypothèse régressive de ces derniers, dont il s'agirait simplement si on les écoute, d'adoucir les formes, nullement de remettre en cause les principes.
Au delà des motifs convenus (compétition à court terme et autres obscurs enjeux d'appareils), y aurait-il quelque raison ultime qui ne pourrait être dite ?
Il faut noter que les hypothèses alternatives à celle du gouvernement et les projections qui les soutiennent, sont généralement fondées sur quelques présupposés conséquents : notamment la croissance du fameux PIB, au pire maintenue à son très faible niveau actuel, articulée à la continuité des gains de productivité du travail.
N'est-ce pas un pari hasardeux ?
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Tissage
- L'accumulation des "problèmes" sur l'ensemble des horizons (du local au planétaire et dans la diversité des champs collectifs) nous submerge tous. Je dis bien "tous", y compris ceux dont nous attendons certainement trop, en tout cas déraisonnablement... justement des réponses à tout. Ils ("les problèmes") nous submergent, au sens ou ils saturent par leur simultanéité et leur diversité les outils théoriques et conceptuels de lecture et d'interprétation du réel dont nous disposons et qui ne sont que l'héritage d'un monde révolu. Conséquemment prédomine le sentiment d'impuissance et la tentation fataliste face à l'anarchie apparente, qui n'est que le produit de l'inefficacité de nos outils.
- Il nous faut pour cela tirer et tisser tous les fils en même temps. Ne pas nous laisser abuser par l'affaire du moment. Ne pas oublier pour "sauver les retraites", la fabrique de l'opinion, le déni démocratique de nos institutions et de nos modes de représentation, les jeux pervers de la finance internationalisée et l'obsolescence de nos souverainetés nationales étriquettes, l'impasse écologique de nos modes de vie, l'irréversibilité de l'intégration économique planétaire, l'aspiration légitime des peuples du sud au développement, l'impératif de l'égalité en droits universelle ... Il faut démonter le spectacle, dérouler toutes les pelotes, tailler dans le gras, racler jusqu'à l'os et nous approprier la complexité.
- Il faut aussi abandonner l'irréaliste besoin de projections fermées ou finies et de modèles préconçus. Reconnaître le principe d'incertitude non comme une contrainte ou un handicap, mais au contraire comme l'expression la plus aboutie du génie humain. Affirmer la confiance en l'humanité reconnue comme potentiel, et le mouvement reconnu non comme conséquence mais comme source du progrès.
- Affirmer en conséquence l'enjeu éducatif comme raison et mode du vivre ensemble passionnant qui reste à construire à une échelle inédite.
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N.B. Ce matin, en route pour Toulouse, j'ai souri en écoutant sur France-Inter Houellebecq expliquer en quoi Jean-Pierre Pernaut était à son avis précurseur, en tant qu'apôtre d'une France muséifiée, future destination touristique florissante dans l'équilibre du monde à venir. C'est une idée qui m'a plusieurs fois retraversé l'esprit ces dernières années, et contre laquelle nous nous battions déjà dans les années Larzac... "Volem viure al païs" ...et ne pas devenir un village d'indiens disions nous...