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Billet de blog 18 novembre 2012

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Interview de M. Yamamoto (Troisième partie, les conséquences internationales)

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M. Yamamoto confirmait que les décisions prises dans son usine par les C31 avaient bien mis en branle un changement radical dont les effets allaient se faire sentir longtemps après. Car si les actionnaires n'étaient plus les propriétaires, qui étaient les propriétaires des entreprises ? La décision que les C31 de l'usine avaient prise d'en confier les titres de propriété à la commune devint une évidence pour tous. La socialisation de milliers d'usines fut ainsi réalisée sans payer d'indemnisations à des gens qui avaient abusé de leurs positions et de leurs pouvoirs, mais sans spolier les porteurs d'actions qui n'avaient pas encore été remboursés de leurs avances. Les bourses spéculatives ont vu du même coup leur importance diminuer considérablement : plus beaucoup d'argent à gagner, même si de temps en temps certains vendaient leurs actions pour avoir du cash immédiatement. Mais cela ne présentait aucun intérêt pour les spéculateurs…

 En quelques semaines, les actionnaires des principales industries du pays disparaissaient des instances dirigeantes, le prix de l'acier et des produits finis baissait à la satisfaction de tous, sans que les moyens pour les investissements et les salaires diminuent, bien au contraire. Les communes avaient en plus des responsabilités nouvelles et des moyens nouveaux grâce aux loyers payés par les entreprises gérées par les coopératives de production. C'est par ce biais que la question des investissements et de leur financement a été résolue : il était facile de mutualiser les cotisations "investissement" des coopératives et de leur ouvrir un guichet qui leur remboursait les investissements réalisés. Aucun actionnaire n'allait plus pouvoir prélever sa dîme sur ces sommes. Très vite les coopératives de production n'eurent plus besoin d'avoir des prêts privés ou bancaires pour se développer. Le stock d'argent capitaliste, coûteux et rare, avait été transformé en un flux d'argent qui parvenait là où il était nécessaire, sans frais autre que de gestion et sans intérêt !

 Dans la suite de son interview, M. Yamamoto explique la manière dont ils ont mis en marche des expérimentations de production et les coopérations internationales. Ces aspects n'étaient pas présents dans la presse et donc cela constitue comme des scoops. Ils sont techniques mais porteurs de conséquences là encore inattendues. Les événements en question étaient-ils considérés comme négligeables ou trop difficiles à expliquer ? Nous ne sommes pas encore dégagés de ces réflexes qui nous conduisent à regarder les choses de loin, à ne pas être suffisamment attentifs et pointus pour vraiment tenir compte de la réalité du cours de notre histoire. Nous avons faits des progrès en anthropologie historique mais pas au point de savoir déterminer de manière sûre les événements critiques, déclencheurs des évolutions déterminantes. Il faut dire que plus nous avançons, plus le problème se complexifie, la masse des données s'amplifie : nous savons tant de choses et avons accès à plus d'informations sur le passé qu'aucun de nos ancêtres en a eu, même sur sa propre époque… Et au fond, il avait autant de difficultés que nous à dire ce qui était essentiel !

 M. Yamamoto évoque d'abord les contacts qu'ils ont eu avec les Sud-Coréens, leurs concurrents sur le marché de l'acier. De fait, ils se sont tous vite aperçus qu'ils n'étaient pas vraiment concurrents, sauf pour l'accès aux ferrailles indiennes ! Leur production s'écoulait pour l'essentiel sur leur propre marché intérieur ou pour leurs exportations de produits finis. Ce n'était qu'à la suite de baisses artificielles de tarifs utilisées pour écouler les surplus de production que les grossistes se mettaient à acheter les produits de l'autre pays : guerre commerciale apparente que se faisaient pour leur plus grand profit réciproque les patrons des usines japonaises et sud-coréennes.

 Le problème a été vite réglé, une conférence avec des représentants des usines a permis de définir les vraies quantités d'acier nécessaires en fonction de leurs qualités et de leurs usages pour les attribuer à telle ou telle usine afin de minimiser les transports et les coûts de production. Chaque pays a monté un site accessible par internet pour enregistrer les commandes et la production a été ventilée sur les usines en fonction des types de produits et de leurs qualités ainsi que des lieux de livraisons ou encore des phases de maintenance dans les usines. Les objectifs étaient bien définis : permettre une production sans à-coups et si des excédents ou des manques ne pouvaient être lissés, il était fait appel à d'autres pays. A côté des flux d'argent, existait désormais un flux maîtrisé de matières. Les prix étaient stables et devenaient prévisibles, les innovations générant des économies qui permettaient de les généraliser.

 Les Sud-coréens avaient des syndicats très puissants qui ont engagé le même combat contre leurs patrons. Ils se sont affrontés à dure partie car leur société n'était pas vraiment prête à accepter la remise en cause de l'autorité patronale. Beaucoup croyaient encore à leur nécessité et à leur honnêteté. Ce n'est qu'après de longues semaines de démonstrations avec les chiffres fournis par les japonais que peu à peu ils ont pu démontrer que les patrons actionnaires n'avaient aucun argument à leur opposer. C'était bien la même chose que partout ailleurs ! Quant à la concurrence sur l'achat des ferrailles, la pression fut diminuée par la revalorisation des ferrailles achetées sur les marchés intérieurs et les Indiens proposèrent, en attendant d'avoir leurs propres usines assez performantes pour couvrir tous leurs besoins, d'échanger des ferrailles contre de l'acier. Un troc qui n'était que provisoire car son empreinte écologique était loin d'être nulle et contrevenait donc aux règles déjà élaborées.

 M. Yamamoto explique ensuite le développement des relations avec des centres de production bien plus lointains, en Europe. En effet, par l'intermédiaire de l'école de sidérurgie, ils ont appris qu'un nouveau procédé de fabrication d'acier y avait été inventé et qu'il devait permettre de récupérer une grande quantité de CO2 au lieu de le laisser se perdre dans l'atmosphère. Un procédé appelé ULCOS que l'Union européenne ne mettait pas en œuvre par manque d'argent. Une crise financière limitait leurs moyens (ils n'avaient plus assez de crédit bancaire pour leurs investissements) et les producteurs privés affirmait que la crise réduisait la demande d'acier et rendait inutile l'investissement dans de nouvelles méthodes, il était plus simple de fermer les aciéries, ce qui ferait monter les prix mondiaux de l'acier. "Nous savions ce que signifiait ce genre de discours et d'affirmations. Alors nous avons pris contact avec les ingénieurs et les ouvriers de l'usine française qui avaient l'intention de développer ce procédé. Un patron voyou, comme disaient les français, avait acheté des usines très performantes et les avaient fermées ensuite après avoir détourné les subventions publiques qu'il avait exigées pour "accepter" de reprendre les usines…"

 "Nous étions préoccupés nous aussi par la pollution autour de l'usine et nos propositions avaient toujours été rejetées car ces investissements auraient réduit les dividendes… Nous avons invités les français à voir notre usine et à nous expliquer comment ils s'y prendraient pour capter le CO2. Ils sont venus trois, deux parlaient anglais et un le comprenait quand il était question d'acier ! Nous nous sommes quand même bien entendus au bout de quelques jours. Leurs idées étaient bonnes mais il nous fallait travailler ensemble parce que notre usine n'était pas aussi pointue que la leur. Des petits détails les gênaient dans leurs raisonnements, il fallait s'adapter sans cesse car il n'était pas question de transformer complètement le haut-fourneau. A moins d'en construire un nouveau qui respecterait la totalité du cahier des charges concernant la pollution pour la réduire au minimum, mais ça c'était un projet de plus long terme."

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