Billet de blog 21 décembre 2009

Christine Marcandier (avatar)

Christine Marcandier

Littérature

Journaliste à Mediapart

Aimez-vous Sagan ? (1) Bonjour New York

La mémoire est aussi menteuse que l'imagination, et bien plus dangereuse avec ses petits airs studieux.    

Christine Marcandier (avatar)

Christine Marcandier

Littérature

Journaliste à Mediapart

La mémoire est aussi menteuse que l'imagination, et bien plus dangereuse avec ses petits airs studieux.

Illustration 1

Denis Westhoff, le fils de Françoise Sagan, travaille à la publication des « textes introuvables ou épuisés » de sa mère. Dans le but affiché de lui donner la place qu’il lui estime mériter dans la littérature contemporaine. Dans celui, plus intime, de « redonner vie » à des écrits « à l’arrêt comme les battements d’un cœur soudain figé ».

Nombre de textes du « charmant petit monstre », disparu en septembre 2004, ont été éclipsés par le succès colossal de Bonjour Tristesse (1954). L’écrivain avait conscience de ce temps perdu, elle qui prit pour pseudonyme le nom d’un personnage de Proust, Hélie de Talleyrand Périgord, prince de Sagan. En 1988, elle rédigea son épitaphe sous forme de boutade :

« Sagan, Françoise. Fit son apparition en 1954, avec un mince roman, Bonjour tristesse, qui fut un scandale mondial. Sa disparition, après une vie et une œuvre également agréables et bâclées, ne fut un scandale que pour elle-même. »

Illustration 2

« Agréable et bâclée », l’œuvre de Sagan ? Inégale certes. Demeurent une musique incomparable et un style dont plusieurs textes sortis en 2009 donnent quelques notes.

Commençons par Bonjour New York, suivi de Maisons louées, recueil de reportages et articles pour des magazines (Elle, L’Egoïste, Vogue, L’Express, Senso, Le Monde).

New York inaugure le voyage. Sagan vient de publier Bonjour Tristesse, on est en 1954, et Hélène Lazareff, qui dirige Elle, envoie l’écrivain découvrir la Grosse Pomme. Sagan voit dans la ville une incarnation de la beauté baudelairienne, New York belle « comme un rêve de pierre », une « ville édifiée », « un délire rangé ». Entre insolence et tranquillité, beauté et monstruosité. Sa plume saisit les contrastes, les paradoxes, flâne, se confronte à l’indicible. Aucune image ne peut dire la ville, remarque Sagan. Alors l’écrivain les accumule, comme les adjectifs, puisant dans la mythologie, la littérature, la modernité pour donner à voir :

« Ville si belle, éclatante au soleil, ville écrasant le ciel dans ses parois, noyant les fleuves sous ses ombres, ville toujours éveillée (…) New York est une ville implacable, bercée par un air étonnant, surexcitant et qui ne vous laisse pas de trêve. (…) Ce n’est pas une ville familière, c’est une ville vorace et tendue ».

Le jour, la nuit, la ville « droite comme un I ». Le regard est aimanté par le Rockefeller Center, la foule (ces passants qui n’ont rien de badauds, Baudelaire, toujours présent), les passions qui gouvernent la ville (on pense alors à la description balzacienne des cercles de l’enfer parisien dans La Fille aux yeux d’or).

De l’architecture à la foule, de la foule à la ville de l’immigration, ces « vingt races différentes qu’il va falloir transformer en Américains ». Une ville américaine, européenne, asiatique, africaine, un microcosme du monde.

Illustration 3

Le voyage, tout autant géographique que littéraire, se poursuit par Naples, ville « allongée, accoudée sur la mer », Capri, Venise. Chaque fois, un rythme, une couleur, un phrasé, une fausse légèreté, une désinvolture feinte et un sens du détail, des aspérités proprement hallucinant. « Il est assez agréable de parler d'une ville comme d'un être, et comme à un être de lui reprocher ses défauts ».

Les lieux de l’enfance, la nature, Jérusalem – et ses interrogations sur « le jeune Israël » « qui se construit à une rapidité folle » –, Cuba (le départ, invitée par Castro, « avec les idées les plus romanesques et les plus enthousiastes » et le retour, ses « réticences »), le Népal, l’Italie… Bonjour New York déploie les espaces, ne les juxtapose pas, les infuse. Sous le regard étonnant et élégant de Sagan.

CM

Françoise Sagan, Bonjour New York, suivi de Maisons louées, Le Livre de Poche, Biblio roman, 96 p., 4 € 50.

Illustration 4

A suivre :

Françoise Sagan, La Petite Robe noire et autres textes

Françoise Sagan, Toxique

Françoise Sagan, Des Bleus à l'âme