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Portfolio 3 février 2020

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Avricourt (54) et Avricourt (57)

Au cœur de la Lorraine, une frontière qui est placée là au grès des guerres. Un village engendre deux gares, deux communes… et quelques passeurs.

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  1. Illustration 1
    © Philippe Wannesson

    Avricourt est un village de l’arrondissement de Sarrebourg, à l’époque dans le département de la Meurthe, ramassé autour de son église. Le traité de Francfort, signé le 10 mai 1871, inclut l’arrondissement de Sarrebourg dans les territoires annexés par l’Allemagne.

  2. Illustration 2
    © Philippe Wannesson

    À quelques centaines de mètres du village se trouve la gare d’Avricourt, sur la ligne de Paris à Strasbourg. Le 26 avril 1870, à la veille de la guerre, a été mise en service la ligne d’intérêt local reliant Avricourt aux bourgs industriels de Blâmont et de Cirey. Avec l’annexion d’Avricourt, il faut pour se rendre de Blâmont ou Cirey à Lunéville, le chef-lieu d’arrondissement, ou à Nancy, passer par le territoire allemand. Un double passage de frontière qui occasionne de l’incommodité et une perte de temps.

  3. Illustration 3
    © Philippe Wannesson

    Différentes retouches du tracé de la frontière sont entérinées par la convention additionnelle de Berlin, signée le 12 octobre 1871. La commune d’Igney et la gare d’Avricourt qui lui est rattachée à cette occasion redeviennent françaises. À ce niveau, la frontière suit les voies ferrées Paris – Strasbourg et Avricourt – Blâmont – Cirey sur plusieurs kilomètres. Le village et le reste de la commune d’Avricourt restent du côté allemand. En compensation, le gouvernement français financera la construction d’une nouvelle gare côté allemand.

  4. Illustration 4
    © Philippe Wannesson

    La nouvelle gare allemande entre en service en 1875. Elle est bâtie dans un style monumental pour affirmer la souveraineté allemande sur les territoires nouvellement annexés. On ne voit ici que la moitié de ce qu’était l’édifice original. De l’autre côté du pavillon central se trouvait une autre aile avec deux tours d’angle, qui a été détruite par un bombardement pendant la Première Guerre mondiale. Elle était complétée d’une halle à marchandise et d’une rotonde.

  5. Illustration 5
    © Philippe Wannesson

    Le rituel du passage de la frontière marquait aussi l’entrée sur le territoire allemand. Les trains venant de France s’arrêtaient dans la gare, les passager-ère-s en descendaient et passaient la douane, puis montaient dans un autre train de la Kaiserliche Generaldirektion der Eisenbahnen in Elsaß-Lothringen pour la suite de leur voyage. Le train venu de France y retournait.

  6. Illustration 6
    © Philippe Wannesson

    La nouvelle gare allemande fut baptisée Deutsch Avricourt, par opposition à la gare française d’Igney-Avricourt. Igney puisqu’elle se trouvait sur la commune d’Igney. Avricourt pour rappeler son lien avec le village d’Avricourt, situé de l’autre côté de frontière, mais qui avait vocation à redevenir français. En 1915, la gare allemande et le village d’Avricourt furent rebaptisés Ilfringen, pour affirmer plus radicalement leur germanité.

  7. Illustration 7
    © Philippe Wannesson

    La gare allemande se trouvait à plus d’un kilomètre du village d’Avricourt, au milieu des champs, au pied d’une petite colline. Un cité fut bâtie là pour les employé-e-s allemand-e-s des chemins de fer, des postes et des douanes, et leurs familles. On appelé cette cité la colonie de Deutsch-Avricourt.

  8. Illustration 8
    © Philippe Wannesson

    La colonie de Deutsch-Avricourt avait ses magasins, son école, son temple protestant, son presbytère. L’habitat reflétait la hiérarchie des personnels des trois administrations.

  9. Illustration 9
    © Philippe Wannesson

    Côté français, la position frontalière de la gare d’Igney-Avricourt avait amené le développement d’activités et l’arrivée de populations nouvelles.

  10. Illustration 10
    © Philippe Wannesson

    Un village s’est donc créé à proximité de la gare, bientôt plus important que le village d’Igney dont il dépendait.

  11. Illustration 11
    © Philippe Wannesson

    Avec le temps, les relations sont devenues plus difficiles entre le village d’Igney et le village près de la gare. Les personnes qui habitaient près de la gare acceptaient de plus en plus mal de devoir aller à Igney, à pied à cette époque, pour l’école, pour la messe, pour tout acte administratif. Elles voulaient avoir leur école, leur église, leur mairie. En 1898, la partie qui était restée française de l’ancienne commune d’Avricourt, avec la gare et le village qui s’était construit autour, fut détachée de la commune d’Igney pour constituer la commune d’Avricourt, dans le département de Meurthe-et-Moselle.

  12. Illustration 12
    © Philippe Wannesson

    Suite à la Première Guerre mondiale, l’Alsace-Lorraine redevient française. L’ancien Bezirk Lothringen devient le département de la Moselle. Ce moulage qu’on peut voir au-dessus d’une porte à Avricourt (Meurthe-et-Moselle) illustre le récit patriotique : la Lorraine restée française accueille et réconforte sa sœur éprouvée par tant d’années d’occupation allemande.

  13. Illustration 13
    © Philippe Wannesson

    Se retrouvent donc de part et d’autre de la voie ferrée, d’un côté, en Moselle, une commune d’Avricourt, qui couvre le territoire qui a été annexé de l’ancienne commune d’Avricourt d’avant 1871, de l’autre, en Meurthe-et-Moselle, une commune d’Avricourt sur la partie du territoire de l’ancienne commune resté français. Il y a deux gares aussi. Celle d’Igney-Avricourt, en Meurthe-et-Moselle. Et l’ancienne gare allemande, qui est rebaptisée Nouvel-Avricourt. Ce nom de Nouvel-Avricourt est également donné à l’ancienne colonie de Deutsch-Avricourt.

  14. Illustration 14
    © Philippe Wannesson

    En 1940, l’Alsace-Lorraine est à nouveau annexée par l’Allemagne. Avricourt (Moselle) redevient Elfringen. La frontière passe à nouveau entre les deux Avricourt. Avricourt (Meurthe-et-Moselle), est en zone occupée, dans une partie qui a un statut spécial. Le retour des réfugié-e-s y est interdit, l’administration nazie prévoit d’en faire une zone de peuplement allemand. Les déplacements de la population y sont particulièrement contrôlés. Comme tout au long de cette frontière, des passeur-se-s aident les personnes évadées et les personnes qui fuient le régime nazi à passer en zone occupée. Il ne s’agit pas seulement d’aider à franchir la frontière. Il faut aussi cacher, fournir des faux papiers, de fausses cartes de rationnement, aider à quitter ce secteur trop proche de la frontière.

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