Jacques Mallet

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Événement 14 octobre 2016

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Lettre ouverte à Yves Charpenel, premier avocat général à la Cour de cassation.

Un vendeur fait prononcer la caducité d’une promesse de vente sans justification précise. L’affaire civile est en cassation. Comment faire surgir la vérité et permettre à cette affaire d'être rejugée ? Cette lettre met en exergue une collusion inédite impliquant des notaires, et les stratégies d’une rhétorique fallacieuse qui a pu conférer auprès de la justice une étonnante capacité hypnotique

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Date

Le 14 octobre 2016


Monsieur l’Avocat général, vous avez récemment cosigné avec d’éminents juristes un article dans la revue « L’opinion » intitulé : « Pour l’honneur de la justice, il faut rejuger Jérome Kerviel », dans lequel vous mettez en exergue une phrase de la précédente garde des Sceaux, Madame Taubira : « L’acte de juger ne peut pas être infaillible et c’est la grandeur de la justice de pouvoir le reconnaître », puis vousterminez votre article en déclarant : « la justice doit être irréprochable. Si elle s’est trompée, c’est qu’elle a été trompée ».

 Qui, en quête de la vérité ne partagerait pas vos convictions, Monsieur l’Avocat général ? Mais dans le même temps, qui ne manquerait pas de s’interroger sur les causes et la manière dont la justice peut être trompée voire abusée ? Dans votre article, vous mettez en avant le fait qu’un nouveau soupçon d’injustice qui s’est fait jour après la décision de la Cour de cassation, a été pris en compte et a donné lieu à un jugement, permettant à la justice de faire son œuvre et à la vérité d’émerger.

Mais, pour se révéler la vérité n’a pas nécessairement besoin d’évènements nouveaux, aussi spectaculaires soient-ils. Elle est parfois enfouie dans la confusion d’une rhétorique fallacieuse, masquée par le mensonge et l’hypocrisie, par un biais dont le seul objectif est de faire obstacle à la manifestation de la vérité, tout en sachant que décrypter les mécanismes à l'origine de la confusion est considérablement plus difficile que de créer la confusion.  L’absence de confrontation dans la justice civile donne ainsi un poids considérable à une rhétorique dévoyée.

Monsieur l’Avocat général, par cette lettre je voudrais attirer votre attention sur une affaire qui semble illustrer mon propos et qui devrait bénéficier des convictions que vous énoncez. Dans cette affaire civile, le requérant a été débouté à deux reprises, par le tribunal de grande instance, puis par la cour d’appel de Paris, avant d’aboutir en cassation. Et, comme un fait du hasard, cette affaire est actuellement traitée par une chambre que vous présidez. Contrairement à l’affaire Kerviel, la décision que prendra la Cour de cassation aura ici un caractère définitif. Elle représente donc le dernier recours pour faire émerger la vérité. Monsieur l’Avocat général, ma démarche pourra vous paraître audacieuse. Vous conviendrez cependant que dans le cas dont il est question, notre seul but vise à faire surgir la vérité, et permette que cette affaire puisse être rejugée.

Cette affaire concerne un litige de propriété, et débute en 2010 après qu’un Promettant ait fait prononcer par voie d’huissier, sans justification précise, la Notification de caducité concernant un bien pour lequel une promesse avait été signée le 18 février de cette même année. Cette affaire est étrange à plus d’un titre : tout d’abord, cette notification prononcée le 25 mai 2010, représente une fracture dans le processus de la vente ; cette date ne fait pas suite aux dates butoir du 21 avril (conditions suspensives de prêt) et du 3 mai (date de réalisation ou de la demande de réalisation de la vente), et laisse supposer l'irruption d'un événement extérieur. De surcroit, la caducité intervenait seulement quelques jours avant que le Bénéficiaire ne reçoive l’offre préalable (édition des offres), et moins de trois semaines avant qu’un second acheteur ne signe une seconde vente (17 juin).

Il est remarquable que, sans fournir la moindre information au Bénéficiaire, le notaire de ce dernier fera défense commune avec le notaire du Promettant, rejoints par le notaire du second acheteur ; lors de la signature de la seconde promesse de vente, le nouvel acheteur renonce à la protection que lui confère l’article1626 du code civil, s’exposant ainsi à une éviction du bien acheté au cas ou la procédure contestéetournerait à la faveur du premier Bénéficiaire ; ce nouvel acheteur fait cause commune avec le Promettant. En clair, le premier Bénéficiaire fait face à trois parties solidaires qui constituent la Défense : le Promettant, le nouvel acheteur et trois notaires.

A ce stade il est difficile de ne pas déjà voir s’installer une certaine confusion. Il semble que la confusion ait été érigée en technique, arme redoutable qui s’est imposée comme le fer de lance de la stratégie de la Défense, lui ayant conféré de surcroît auprès de la justice une étonnante capacité hypnotique. La confusion s’immisce et s’enracine aussi bien dans les mots et les termes que dans les raisonnements de leurs différents écrits. Cette capacité a été habilement manipulée par la Défense qui a su, en outre, mettre en place et bénéficier de l’effet de masse et de levier qu’offrait la coordination remarquable des interventions de trois locuteurs.

La promesse de vente était une Promesse Unilatérale, dans laquelle il était précisé que « l’engagement de vendre au Bénéficiaire n’est pas tributaire dans le délai de la promesse de vente d’une quelconque levée d’option par le Bénéficiaire », dès lors que la demande de réalisation de la vente, dans les conditions définies au présent acte, intervenait dans le délai convenu (3 mai 2010).

Le Bénéficiaire avait remis le 21 avril, donc avant la date butoir, en l’office du notaire du Promettant, une lettre en bonne et due forme de la banque (que l’on nommera banque B) « confirmant [son] accord pour consentir un prêt ». Cette lettre remplissait intégralement les conditions exprimées dans la promesse de vente et satisfaisait aux conditions suspensives de prêt. La remise en main propre par le Bénéficiaire, contre décharge, au notaire du Promettant, exprimait clairement et pleinement la volonté d’acquérir le bien. En outre, deux éléments dans le contenu de cette lettre lui permettaient de satisfaire aux conditions de demande de réalisation, dès le 21 avril, soit 13 jours avant la date butoir du 3 mai. Tout d’abord le prêt était total et permettait de couvrir largement le coût du bienet l'ensemble des frais notariés et hypothécaires. De plus, cette lettre indiquait bien que le financement serait disponible le jour de la signature, en accord avec la clause de condition « expresse et déterminante » figurant dans le chapitre Réalisation.

Cette lettre seule, de par son contenu, représentait la pierre angulaire du processus d’acquisition du bien convoité, et ne fut l’objet d’aucune contestation par le Promettant, que ce soit après le 22 avril ou après le 3 mai. En revanche, par la suite, la Défense s’est échinée à manipuler cette lettre du 20 avril, et dans le fond et dans la forme, de toutes les façons possibles, le Promettant et son notaire allant même jusqu’à nier son existence ! (On note d’ailleurs que lors du premier procès, les juges n’avaient pas connaissance de cette lettre et ont dû interrompre la séance pour se la procurer). La Défense a contesté que la remise de cette lettre en main propre contre décharge exprimait la volonté expresse du Bénéficiaire d’acquérir le bien, et a affirmé qu'en tout état de cause elle aurait dû parvenir avant le 9 avril, alors que la date avait été officiellement prorogée jusqu'au 22 avril. La Défense a également affirmé que cette lettre ne mentionnait pas que les fonds seraient disponibles le jour de la signature. Par ailleurs, sans aucun fondement, une autre partie de la Défense reprochait à cette lettre de ne pas indiquer la disponibilité des fonds dès la date de dépôt de cette lettre !

La Notification de caducité représentait, sans nul doute, pour le promettant, une étape nécessaire et déterminante avant de pouvoir envisager de vendre son bien à un second acheteur. Cette Caducité fallacieuse a pris la valeur d’un acte juridique sur lequel les parties et les juges s’appuieront dans leurs Conclusions et leurs jugements. Comment se fait-il qu’elle n’ait jamais fait l’objet des discussions par les Cours ? Comment a-t-elle pu être occultée ? Pourtant, l’analyse des circonstances qui ont entouré cette caducité est accablante non seulement pour le Promettant, mais aussi pour les notaires. Elle est révélatrice de la stratégie de la Défense. Pour contourner la vérité, la Défense a eu recours à une fiction et a mis en place une stratégie d’envergure alimentée principalement par le mensonge, et la confusion.

Le motif énoncé est succinct et vague : « Qu’à ce jour [le 25 mai 2010], et alors que les délais de réalisation consentis par la dite promesse unilatérale de vente aux Bénéficiaires se trouvent définitivement échus, ces derniers n’ont nullement offert de réaliser la vente selon les termes et conditions rappelées dans la clause ci-dessus ». On ne trouve pas le moindre argumentaire justifiant l’action du Promettant, au regard des conditions, des clauses, et des termes précisément énoncés dans la dite Promesse, ainsi que des démarches accomplies par le Bénéficiaire. Les délais ne font référence à aucune date précise. Ce texte ne reprend aucune expression de la promesse concernant la Réalisation, et fait naître ainsi une confusion. Le Promettant faisait-il référence à la signature de l’acte de vente ou à la demande de réalisation de la vente ?

Mais la lecture attentive des « termes et conditions rappelés dans la clause ci-dessous » ne peut laisser aucun doute sur les intentions du Promettant : d’une part, le Promettant prétend que la réalisation de la promesse doit obligatoirement résulter de la signature de l’acte authentique : « la réalisation de la promesse doit avoir lieu par la signature de l’acte authentique ». D’autre part, en résonnance à la phrase précitée le Promettant va jusqu’à falsifier le dernier paragraphe du chapitre Réalisation de la promesse de vente qu’il cite en supprimant ces 13 mots : « dans le délai ci-dessous fixé ou d’en avoir demandé la réalisation dans le même délai dans les conditions ci-dessus énoncées, la présente promesse ». Cette délétion modifiait radicalement le contenu de la promesse de vente en oblitérant la possibilité d’effectuer une demande de réalisation. 

En fait le Promettant ne disposait d’aucun élément qui aurait permis de remettre en question la promesse de vente consentie au Bénéficiaire le 18 février 2010. Sinon, il n’aurait pas eu à recourir à un tel artifice. En conclusion, c’est incontestablement au prix d’une tromperie sur l'absence prétendue de signature de l’acte authentique de vente que le Promettant a de lui-même fait prononcer la Caducité. Il est surprenant qu’un Promettant par une simple notification, même si elle est délivrée par huissier, puisse casser une vente, sans que le Bénéficiaire n’ait été contacté par son propre notaire. Cette affaire semble révéler une carence dans le processus juridique du transfert de propriété.

 Il est indéniable, que le Promettant, avant de faire prononcer la caducité, avait dû faire face à un obstacle de taille, qui devait lui sembler insurmontable : il lui fallait convaincre son notaire, et surtout le notaire du Bénéficiaire, de faire cause commune avec lui dans son désir de substituer au Bénéficiaire un second acheteur. Mais comme un fait inédit, qui dépasse l’imagination, les notaires ont souscrit à son dessein fallacieux. Ainsi, pour faire cause commune avec son confrère et le second acheteur Madame B., le notaire B opérait un revirement, trahissait son client et lui portait un sérieux préjudice.

Il semble que le notaire B ait joué un rôle clef en tant que cheville ouvrière dans cette manœuvre spécieuse. L’échange de courrier entre les notaires nous donne à lire un dialogue de fiction d’une hypocrisie totale. En effet, le notaire P avait fait parvenir le 1er juin 2010 à son confrère, le notaire B, un courrier dans lequel il joint une copie de la Notification de caducité et lui demande « l’accord de vos clients en vue de la remise aux [vendeurs]….. de l’indemnité d’immobilisation et séquestrée en mon étude », ainsi que le complément d’immobilisation.

Dans le même temps, il apparaît que le notaire B jouait un double jeu en phase avec son confrère. D’un côté, abusant de la bonne foi du Bénéficiaire, il lui laissait croire que le Promettant n'avait fait parvenir cette Notification que pour activer le processus de vente. D'un autre côté, il n’avait ni répondu au courrier du 1er juin que son confrère lui avait fait parvenir, ni ne l’avait transmis au Bénéficiaire (probablement pour éviter qu’il ne notifie au Promettant une assignation aux fins de non réalisation).Ce n’est que le 18 juin, le lendemain de la signature de la seconde vente qu’il répondraau notaire P, allant jusqu’à lui proposer une date de signature : le 30 juin à 14h 30, « Je vous informe que Monsieur et Madame M., mes clients, ont obtenu leur financement et vous propose un rendez-vous de signature de vente cité en référence le Mercredi 30 juin à 14h 30 en notre étude ». 

Puis, le 22 juin (soit cinq jours après la signature de la seconde promesse de vente) le notaire P envoie un second courriel à son confère : « N’ayant pas satisfait aux dispositions de la dite promesse concernant la notification et les délais de l’obtention ou refus des prêts demandés, je vous remercie de me retourner le dossier qui vous a été envoyé ainsi que me le faire parvenir, comme demandé le 1er juin ». Ce faisant, Maître P cautionnait la Notification de caducité de la promesse, parvenue au Bénéficiaire le 25 mai 2010.

Il ne peut échapper que le notaire dans ce second courrier ait fait référence, d’une façon confuse, non seulement à la caducité mais également aux conditions suspensives. En outre, s’adressant à son confrère, il a utilisé l’expression « à vos clients », manifestant ainsi que le Bénéficiaire n’était pas son propre client. De qui le Bénéficiaire était-il donc le client ? Uniquement du notaire B ? On s’étonne donc que celui-ci ne soit pas intervenu auprès du Bénéficiaire, si la promesse de vente signée le 18 février 2010 était devenue caduque.

Il ne peut également échapper que dans son courrier du 18 juin, le notaire du Bénéficiaire emploie, le terme « ont obtenu leur financement », et non pas « offre préalable », ce qui est révélateur de sa volte-face fallacieuse. Il ne pouvait ignorer que le Bénéficiaire lui avait fait parvenir le 4 juin, une copie de l’édition des offres de prêt, ce qui avait même permis de fixer la date de signature de la vente.

La Défense s’est acharnée à de nombreuses reprises à effectuer des glissements sémantiques autour du terme accord de principe, accord de prêt, offre, offre définitive, employés indifféremment. Maître B ne pouvait non plus ignorer que seule l’utilisation du terme « offre préalable » (édition des offres), a des conséquences juridiques précises pour une banque. Dans ce contexte, les notaires ont même été jusqu’à écrire dans leurs conclusions du 29 mars 2013 : « En ne transmettant à leur notaire l’offredéfinitive de prêt que le 4 juin 2010, soit près de deux mois après la date contractuellement fixée, les époux M. sont particulièrement mal fondés à émettre un quelconque grief à l’encontre de Maître B ». Ce qui est énoncé ici est un sophisme fondé sur une prémisse fallacieuse confondant : offre définitive de prêt/accord de prêt et offre préalable/édition de l’offre de prêt. L’offre préalable a été effectivement produite par la banque B le 2 juin et remise au notaire B le 4 juin. Cette offre préalable permettait après un délai de 11 jours imposé par la loi Scrivener, de fixer la date de la vente authentique.

Le comportement des notaires illustre à quel point ils étaient prêts à transgresser les règles du processus de vente en dépit de l’éthique et de leur charte déontologique de leur profession fondé sur la « parfaite probité » des notaires. Ne peut-on souligner la gravité de cette manière de faire de la part d’officiers ministériels, qui en outre, n’ont pas hésité dans ces mêmes conclusions, à reprocher au Bénéficiaire de formuler des accusations diffamantes portant atteinte « à l’honorabilité qui est due aux notaires en leur qualité d’officier ministériel » ? Les notaires ont-ils essayé par cette déclaration de signifier leur appartenance à une caste d’intouchables ? En fin de compte on peut se demander si tout cela n’aurait pas été conçu dans le seul but de favoriser l’achat du bien par le second acheteur, avec qui les notaires ont fait cause commune.

Dans cette affaire, il apparaît que ces notaires, ont porté un grave préjudice au Bénéficiaire. Les raisons, qui ont conduit le notaire du Bénéficiaire à trahir son client et le notaire P à cautionner ce manquement, dépassent l’entendement, avec comme conséquence immédiate d’avoir masqué la vérité. Cette surprenante et inédite collusion reste une véritable énigme et laisse à imaginer le pire.

Quel ne fut le désarroi du Bénéficiaire lorsqu'il réalisa que son notaire jouait un double jeu, en apprenant le 25 juin par le plus grand des hasards, auprès d’une agence immobilière du quartier, que le bien pour lequel il était sur le point de signer la vente authentique avait fait entre temps, le 17 juin, l’objet d’une seconde vente. En fait, plusieurs agences immobilières avaient été informées et de la mise en vente de ce bien, et de l’étrangeté de son déroulement : dans un laps de temps très court, des acheteurs auraient été contactés puis écartés juste au moment de signer.

Le notaire B avait abandonné son client, tandis que le notaire P, intervenait dans la seconde vente. Le déroulement de la seconde vente faisait écho à l’épisode de la Notification de caducité par ses aspects fallacieux. Il est surprenant que le second acheteur se soit engagé à renoncer à la protection que lui assurait, comme à tout acheteur, l’article 1626 du code civil. Ensuite il est tout aussi surprenant que le Promettant ait associé au texte de la seconde promesse de vente, une déclaration censée justifier le fait d’avoir écarté le premier acheteur. Dans cette déclaration, le Promettant émet plusieurs assertions péremptoires qui ne sont que des contre-vérités, telles les époux M. « n’ont pas justifié de l’obtention des prêts dans le délai imparti ». Pourquoi, dans cette déclaration, le Promettant n'a-t-il pas énoncé tout simplement les motifs qui l'avait conduit à prononcer la caducité de la première promesse de vente, ni joint le texte de la Notification de caducité ?

D’autre part, on s’étonne que lors de cette seconde vente, Madame B. et son notaire Maître E. semblent ne pas avoir sollicité davantage de précisions auprès du Promettant et de son notaire quant aux motifs de cette caducité.On peut également noter que le notaire P était resté complice du promettant en dissimulant auprès de Madame B. la lettre du 20 avril 2010 confirmant le crédit accordé au premier acheteur. Découvrir cette dissimulation aurait pu nuire à sa cliente, dans le cas où « l’action qu’engagerait [le premier acheteur] aboutirait à l’annulation de la présente promesse de vente, ou même à l’éviction de Madame [B]», ainsi que l'indiquait la promesse de vente de madame B. et signée par le Promettant.

Et puisque il semble que Madame B. n'ait pas eu officiellement connaissance de l’existence de cette lettre (et donc de l’accord de prêt), comment se fait-il qu’elle ait fondé l’argumentation de ses conclusions sur cette dite lettre ? Elle en aurait donc bien été informée, et serait donc complice de l'interprétation fallacieuse de cette lettre. Sinon pour quelles raisons alors n'a-t-elle pas remis en cause le contrat signé avec le Promettant ?

En fait, en signant cette clause, ce n’est pas le Promettant qui aurait protégé Madame B., mais Madame B. qui aurait protégé le Promettant ! Madame B. aurait-elle eu ainsi un rôle proactif dans cette affaire ? Ceci sera corroboré par le fait que c’est elle qui a assuré le rôle principal de la Défense. Contrairement à ce qu’elle laissait entendre, Madame B. n’était probablement pas une victime dans cette affaire, et le Bénéficiaire ne fut pas surpris de découvrir sur la toile que Madame B. avait à un moment participé à l’écriture de fictions.

L’épisode de la signature de la seconde promesse de vente initiée par une Notification de caducité ordonnée par le Promettant à l’encontre du Bénéficiaire est accablante pour la Défense et d’une extrême gravité pour les notaires, en tant qu’officiers ministériels. Les données concernant la Notification de caducité ont été soit falsifiées soit sont incohérentes. La Défense n’a jamais été en mesure d’élaborer un raisonnement logique sur le bienfondé de cette démarche capable de convaincre le Bénéficiaire, et ont surtout évité de le présenter à la Cour. La caducité, bien que frauduleuse, s’est alors imposée comme un fait juridique incontestable.

La Défense, en dépit de l’argumentaire du Bénéficiaire, a pu faire en sorte que les juges escamotent l’épisode de la seconde vente, et focalisent leur argumentation sur la levée d’option, d’une façon qui apparaît biaisée et à charge du Bénéficiaire. Pour ce faire et afin de persuader, voire abuser la Cour, dans le seul but de gagner leur cause, la Défense a développé une compétence discursive subtile, jouant sur de multiples tableaux et lui permettant de poursuivre une œuvre de fiction d’envergure. Cette stratégie a consisté à manier différents types de sophismes très élaborés, manipulant plusieurs fausses prémisses et des conclusions fausses, entremêlées dans des raisonnements circulaires, que les Grecs qualifiaient « de forme de raisonnement la plus spécieuse et la plus méprisable dans l’art d’embrouiller l’interlocuteur ».

Ces techniques peuvent susciter un stress allant jusqu’à provoquer des perturbations émotionnelles chez le lecteur (dans le cas d'écrits), sachant qu’il est établi que notre cerveau ne peut admettre en même tempsdeux réalités contraires. Dans cette affaire, quoiqu’il en soit, de tels stress auront des effets différents pour un lecteur extérieur, pour le Bénéficiaire ou bien pour un juge. Chez le Bénéficiaire, ils seront susceptibles d’introduire le doute et l’acceptation d’un raisonnement spécieux. Un juge, s’il n’est pas rompu à de telles formes de raisonnement, ne pourra s’en remettre qu'à son intuition. Ainsi il adoptera (souventinconsciemment) la solution la plus facile. On supposeque dans de telles circonstances une procédure judiciaire sera donc empreinte de subjectivité, et que la Cour sera conduite à s’en remettre à son appréciation souveraine.

Concernant la levée d’option, la Défense a tout d’abord surfé sur l’ambiguïté de ce terme qui est, employé indifféremment dans le sens classique de « volonté d’acquérir » ou bien de « demande de Réalisation de la vente ». Cette confusion est d’autant plus dommageable que dans ces deux cas de figure la levée d’option doit satisfaire à deux conditions bien différentes. Dans son sens classique, la levée d’option qui indiqueun consentement doit s’exprimer comme un fait juridique qui peut être prouvé par tout moyen, ce que le Bénéficiaire avait amplement effectué. En revanche, dans le sens d’une « demande de réalisation », il fallait satisfaire aux dispositions « expresses et déterminantes ». Mais l'utilisation interchangée des conditions associées à chacune des deux significations du terme "levée d'option", a créé volontairement une  confusion : la Défense a pu faire croire que la levéed’option, dans le sens classique, devait obéir à des règles strictes, qui en outre, ont donné lieu à des modifications induites par la Défense. Ainsi, la Défense a cherché à réorienter à son bénéfice le sens de la première promesse de vente, par le biais d’un discours qui pouvait sembler pertinent en dépit des mensonges.

Le Jugement rendu le 13 février 2014, illustre bien notre propos.

D’entrée de jeu, les juges indiquent que le Promettant et le second acheteur (madame B.) « contestent que l’option ait été levée conformément à la promesse ». En fait l’argumentaire autour de la levée d’option devenait celui de Madame B., qui prenait ainsi un rôle primordial.

Le texte du premier jugement reflète la confusion (en réalité les sophismes) créée par la Défense autour du terme « levée d’option ». Les premiers juges mettent l'accent sur le fait que la clause relative à la Réalisation a trait à la levée d’option, et que le Bénéficiaire devait sous « certaines formes »  manifester sa « volonté de réaliser la vente pour que celle-ci se forme ».

Puis, comme si un doute s’était installé, dans un contexte emprunt d’un tel imbroglio, les juges en viennent à admettre que ce courrier reçu le 20 avril pourrait « manifester une volonté d’acquérir », puis ils affirment qu’« il [ce courrier] ne satisferait pas aux conditions posées pour la levée d’option ». La suite du texte concerne plus spécifiquement ces conditions, témoignant étrangement de la grande confusion qu’avait générée la Défense : « En effet, à peine de validité, la levée d’option doit être accompagnée, d’un engagement de l’organisme prêteur de remettre les fonds, au jour de la signature de l’acte. Or, le courrier du 20 avril 2010 ne mentionne nulle date de disponibilité des fonds. Il fait uniquement état de l’accord de la banque pour consentir un prêt immobilier [au bénéficiaire] sans même qu’il soit indiqué qu’une offre de prêt a été émise puis accepté par ces derniers ».

Les trois phrases sont incohérentes et contradictoires, et révèlent une absence de connaissances rudimentaires du déroulé d’une vente faisant appel à des conditions suspensives de prêt.Les juges ne tiennent pas compte du fait que la lettre du 20 avril indiquait que les fonds seraient disponibles le jour de la signature de l’acte authentique, et dans la foulée ils introduisent un argument fabriqué de toute pièce, repris tout au long de cette affaire, selon laquelle la date de disponibilité des fonds aurait dû être mentionnée dans la lettre du 20 avril. Poursuivant la même erreur, les juges ont estimé qu’à cette date une offre de prêt aurait dû être émise et acceptée par le Bénéficiaire.

On note une confusion patente entre les termes « octroi de crédit », comme stipulé dans la clause Réalisation et « émission d’une offre ». Le 21 avril 2010, le Bénéficiaire, selon le processus d’acquisition lui-même, et en accord avec les clauses de la Promesse de vente, ne pouvait de toute évidence disposer d’une « offre préalable », encore moins l’avoir acceptée. L’argument avancé frise l'absurdité.

Il est probable que les juges ont été à leur insu abusés par la Défense. On remarquera que la dernière phrase du jugement se fait l'écho des conclusions du texte de Madame B. (celui du 29 mars 2013) : « Si, le 1er juin 2010, la banque n’avait pris aucun engagement quant à la date de libération des fonds, a fortiori cet engagement existait d’autant moins le 20 avril 2010 au jour de l'« accord de principe ». Ici ce texte fait à nouveau mentiondu 20 avril comme date de libération des fonds, avec encore la confusion entre les termes accord de principe et émission des offres. Il ne fait aucun doute que Madame B. a joué un rôle clef dans la Défense, et a fait preuve d’une étonnante capacité hypnotique auprès de la Cour.

L’argumentaire des juges concernant les notaires n’apparait pas moins surprenant et spécieux : « Cependant, la vente ne s’est pas réalisée faute pour les époux M. d’avoir valablement levé l’option dans le délai stipulé, Maître B n’avait donc pas de diligences particulières à accomplir ». Ce raisonnement fermé apporte une conclusion comme étant juste, sans même en démontrer la véracité. En fait la question à laquelle il fallait répondre et qui a été esquivée aurait due être : si, et seulement si, il était considéré que les époux M. (le Bénéficiaire) n’avaient pas levé l’option, alors n'aurait-on pas dû considérer que le notaire du Bénéficiaire avait failli, en ne s’assurant pas que l'option n'avait pas été levée. Sous cet angle l’analyse est accablante pour ce notaire, si l'on fait référence au code de déontologie des notaires, qui stipule qu’« un notaire est tenu, en toutes circonstances d’un devoir d’information et de conseil envers les parties à l’acte qu’il a rédigé ». De surcroît, ce devoir d’information et de conseil envers son client était d’autant plus essentiel que c'était lui qui avait rédigé et reçu l’acte en question. Enfin, loin d’alerter le Bénéficiaire sur l’insuffisance éventuelle de la transmission du courrier de la banque pour lever l’option, le notaire B s’était au contraire comporté comme si toutes les conditions étaient réunies pour préparer la signature de l’acte authentique de vente, et d'ailleurs, dans la perspective de la signature définitive, il avait même demandé au Bénéficiaire le 30 avril de lui communiquer le titre de propriété de sa résidence principale afin de prendre une inscription d'hypothèque sur ce bien telle que voulue par la banque, et que le 12 mai 2010, toujours dans la perspective de la signature, son étude avait même communiqué au Bénéficiaire le montant des différents frais d'actes de vente et de prêt. Moins de trois semaines plus tard les démarches du notaire conduisaient à l'émission des offres de prêt envoyées par la banque le 2 juin.

De façon étonnante, l’Arrêt rendu le 17 septembre 2015, reprend l’argumentaire des premiers juges. Tout d’abord, on y fait à nouveau l'impasse de la Notification de caducité qui avait pourtant conduit à la signature de la seconde vente, alors que le Bénéficiaire, dans ses conclusions récapitulatives d'appelant ainsi que dans une note complémentaire, avait apporté un ensemble de pièces et d’arguments faisant état du caractère fallacieux et de l’imposture que constituait cette seconde vente. En outre, contrairement à la première audience, les juges semblaient avoir pris conscience du comportement étrange des notaires, et avaient assuré qu’ils accorderaient la plus grande attention aux argumentaires et à la note que le Bénéficiaire leur avait fait parvenir.

En résumé, l’Arrêt s’efforce d’effacer les incohérences trop apparentes de ce premier jugement. C’est ainsi que le texte concernant la levée d’option est résumé en trois lignes. Puis les juges occultent l’argument fallacieux du premier jugement affirmant qu'il manquait à cette lettre du 20 avril remise par le Bénéficiaire, en mains propres, contre signature au Promettant, l'indication que les fonds seraient disponibles le jour de la signature de l'acte authentique de vente. Ce faisant, les juges éliminaient un argument antinomique à celui concernant la disponibilité des fonds : « étant observé que les termes du courrier de cette banque du 20 avril 2010 ne permettent pas de justifier de la disponibilité effective des fonds à la date d'émission de ce courrier qui se limite à la connaissance des appelants d'octroyer le prêt sollicité ».

Ce dernier énoncé met clairement en exergue, sans confusion mais de façon fallacieuse, le fait que les fonds auraient dû être disponibles dès le 20 avril : cet énoncé ne peut en aucun cas résulter d’une confusion dans l’interprétation du texte de la promesse de vente, et ainsi  devient une preuve irréfragable de la fraude constituée par cette affaire, et justifie qu’elle soit rejugée. D’aucuns diront que cette affaire est complexe. En fait, la Défense a volontairement créé cette complexité, en jouant sur la confusion pour tromper la justice, nuire au Bénéficiaire et arriver à ses fins.

La lecture du texte de l’Arrêt concernant les notaires s'attache aussi à masquer les incohérences du texte du premier jugement : celui-ci était court, mais résultait surtout d’un sophisme simple dont l’incohérence était manifeste. Ici, l'Arrêt s'est appliqué à construire un sophisme beaucoup plus élaboré qui donne au discours fictionnel une apparence de vérité.

Nous espérons, monsieur l'Avocat général, que vous entendrez tous ces motifs qui ont conduit le Bénéficiaire à se pourvoir en cassation, et nous nous permettons de vous emprunter votre propre conclusion : « La justice doit être irréprochable. Si elle s'est trompée, c'est parce qu'elle a été trompée »

Jacques Mallet

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