Dans un billet précédent, j'ai déjà donné la définition de l'emprise pour Anne-Laure Buffet (*).
Dans une audition reprise par un rapport sénatorial de 2013 (1), le Professeur Philippe-Jean Parquet, psychiatre, en donne une définition, à vocation peut-être encore plus médico-légale, qui comporte neuf critères, dont cinq seulement sont nécessaires pour identifier l'état d'emprise mentale, à proprement parler.
1°la rupture imposée avec les modalités antérieures des comportements, des conduites, des jugements, des valeurs ;
2°l'occultation des repères antérieurs et la rupture dans la cohérence de la vie antérieure du sujet qui accepte que sa personnalité, sa vie affective, cognitive, relationnelle soit modelée par les sujétions, les injonctions, les ordres, les idées, les concepts et les valeurs imposés par une tierce personne, entraînant une délégation générale et permanente de l'individu à un modèle imposé ;
3°l'adhésion et l'allégeance inconditionnelles à une personne, un groupe, une institution. Ce terme d'allégeance est essentiel. On retrouve ce même trait psychopathologique dans les dépendances aux substances psycho-actives, aux drogues et à certaines addictions comportementales ;
4°la mise à disposition complète, progressive et extensive de la totalité de sa vie à une personne ou une institution ;
5°une sensibilité accrue dans le temps aux idées, aux concepts et aux prescriptions ;
6°la dépossession des compétences d'une personne, avec une anesthésie affective et une altération du jugement ;
7°l'altération de la liberté de choix ;
8°l'imperméabilité aux avis, aux attitudes et aux valeurs de l'environnement, avec une impossibilité de se remettre en cause et de promouvoir un changement, voire de croire qu'il soit possible ;
9°l'induction et la réalisation d'actes gravement préjudiciables à la personne.
Mais, qu'entend-t-on par "actes gravement préjudiciables" à la personne sous emprise ou à ses proches ?
Un article du Monde de ce vendredi 20 juin décrit les pratiques sordides d'une ancienne secte bouddhique (2). En voici quelques extraits :
"Dès les débuts de l’organisation, lama Kunzang accueille chaque été ses disciples à Château de soleils. Il y a là un temple où siègent des statues de maîtres, des fanions de prière qui flottent dans le vent, des enfants qui courent autour du stūpa, le monument bouddhiste planté au milieu du terrain. Les parents de Catarina [...] assistent aux célébrations religieuses avec une cinquantaine d’autres adultes… Et, un jour, repartent sans elle. Nous sommes alors en 1985, elle a 4 ans.
« Ça a été un choc immense, dit-elle. Mais ceux qui jugent mes parents ne savent pas ce que c’est que d’être sous emprise : le seul responsable, c’est Spatz. » Comme bien d’autres, les parents de Catarina [...].ont été convaincus par le lama qu’ils avaient des « influences karmiques néfastes » sur leur fille et qu’il valait mieux la laisser à la charge d’une poignée d’« éducateurs » choisis par lui-même. Elle restera huit ans sur place, avant d’être envoyée en 1993 au Portugal dans un autre centre appartenant au même [gourou].
[...]
[Des services administratifs] décrivent pourtant un endoctrinement sévère : « Les enfants expriment un désir fort de progression sur le chemin spirituel pour atteindre un niveau plus élevé de conscience et de sagesse. Des efforts sont nécessaires pour arriver au nirvana. Pour cela, ils ont besoin des enseignements du lama Kunzang qui est le maître à penser. » Cette quête du nirvana ne soulève pas d’inquiétude particulière chez les agents de la République.
Moins d’un an plus tard, en mai 1997, l’OKC fait l’ouverture des journaux télévisés. Des perquisitions spectaculaires sont ordonnées simultanément en Belgique et en France. Quelques mois plus tôt, une disciple adulte a succombé à un cancer à Château de soleils, sans avoir reçu de soins médicaux. Sa famille a porté plainte. Cent cinquante gendarmes et deux hélicoptères font irruption dans le ciel provençal. « Ça a légitimé ce qu’on nous racontait depuis toujours, à savoir que dehors, c’était la guerre », estime Raul [un autre enfant d'adeptes]."
Les personnes prostituées sont aussi sous emprise. Emprise d'un ou plusieurs proxénètes, souvent, emprise du patriarcat toujours.
Le très bon podcast "La Vie en Rouge" a traité, dans son dernier épisode, des clients de personnes prostituées. Je vous invite à l'écouter ci-dessous.
Ainsi l'espoir reste permis par la force de vie et la sororité des victimes survivantes. Je pense que c'est ce qu'il faut se dire : même au fond du pire, on peut demander de l'aide et sortir de l'emprise.
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Crédits et sources :
(*) https://blogs.mediapart.fr/2parnassiennes/blog/140525/representer-l-emprise-notes-scandal
(1) Sénat. "Dérives thérapeutiques et dérives sectaires : la santé en danger (Auditions) Rapports de commission d'enquête n°480" (2013). En ligne : https://www.senat.fr/rap/r12-480-2/r12-480-212.html
(2) Emery, Elodie. "Les enfants sacrifiés de la secte bouddhiste de Robert Spatz" in Le Monde (20/06/2025)
https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2025/06/20/les-enfants-sacrifies-de-la-secte-de-robert-spatz-j-ai-recu-des-gifles-des-coups-de-pied-j-ai-ete-enferme-prive-de-nourriture-plusieurs-jours-d-affilee_6614732_4500055.html
Voir aussi le site de l'association des victimes chardonsbleus.org.
(3) Mouvement du Nid. "Podcast : La Vie en Rouge". En ligne : https://podcast.ausha.co/la-vie-en-rouge