… par ses découvertes et ses perspectives, les théories explicatives habituelles sur les névroses et les psychoses, et partant les « dérivées » de ces théories qui entraînent les abus. Naturellement, ces résumés ne sauraient remplacer la lecture que vous pourrez faire vous-même de cet excellent dossier (1).
Dans le premier billet, la médecine de précision a été définie comme la médecine personnalisée à des sous-groupes de patients, délimités à partir de leurs biomarqueurs, quitte à questionner les catégories nosographiques existantes, et partant les préjugés sur certaines maladies psychiatriques.
Dans ce deuxième billet, la remise en question des typologies de maladies est poursuivie, en parlant des troubles du neuro-développement, avec Anton Iftimovici, et al. (2).
« Dès son premier usage en 1820, le concept de maladie développementale reposa sur la description d’une trajectoire clinique qui déviait de la norme », distinguée des maladies mentales contractées au cours de la vie.
Les statisticiens du XIXe siècle ont expliqué la distribution de toutes les maladies fréquentes multifactorielles par un paradigme développemental. Puis, les progrès de la génétique et de l’épidémiologie ont expliqué ces variations par des facteurs génétiques et environnementaux contribuant chacun de manière limitée, mais additive, au risque de développer une maladie.
« Étendue aux troubles du spectre de l’autisme, au déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité, ou aux troubles des apprentissages, la notion d’une déviation précoce du développement, associée à la forte comorbidité qui existe entre tous ces troubles, a conduit progressivement à leur regroupement, dans les classifications internationales, au sein d’une catégorie nosographique, intitulée « troubles neuro-développementaux » ».
Mais, aujourd'hui, « le paradigme neuro-développemental, qui implique une interaction entre une vulnérabilité génétique et des facteurs environnementaux, dans une fenêtre particulière de développement cérébral, dépasse simplement la catégorie des troubles neuro-développementaux et offre un cadre essentiel à toute recherche transdiagnostique en médecine, et en psychiatrie en particulier ».
Jusqu'à récemment, la séparation entre psychiatrie de l’enfant et de l’adulte a conduit à sous-estimer la fréquence des comorbidités neuro-développementales, chez les adultes, alors même que la prévalence des troubles neuro-développementaux, tels que les troubles du spectre de l’autisme, et les troubles du déficit de l’attention, chez les enfants était connue, et malgré le fait que ces troubles soient notoirement chroniques et donc persistants à l’âge adulte.
Ainsi, les classifications internationales actuelles manquent de validité biologique, au regard du continuum qui existe entre les troubles dits neuro-développementaux et les maladies psychiatriques, au niveau de la génétique, de la neuro-imagerie et de la neuro-physiologie.
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Trois éléments importants ont été définis pour s’interroger sur le caractère neuro-développemental d’un trouble :
- quelle est sa trajectoire développementale (« s’agit-il d’une progression linéaire ou non-linéaire au cours du temps, quel système se développe avant quel autre, devant une anomalie constatée, s’agit-il d’un retard, d’une déviation, d’une régression ? ») ;
- la période de vulnérabilité, favorable à son développement, « en lien avec le moment de développement de chaque structure fonctionnelle (ainsi, durant le développement précoce, une atteinte de la neurogenèse serait plutôt associée aux troubles du spectre de l’autisme tandis qu’à l’adolescence, une atteinte des dernières phases de maturation des interneurones, serait plutôt associée à la schizophrénie) » ;
- les effets de l’interaction dynamique entre systèmes cérébraux fonctionnels.
Ce paradigme neuro-développemental « permet de mieux appréhender les chevauchements symptomatiques observés, tels que les déficits neurocognitifs, la cognition sociale ou les anomalies sensorimotrices, retrouvés aussi bien dans les troubles neuro-développementaux que dans les troubles schizophréniques ».
Aujourd’hui, il est possible de concevoir pour chaque individu présentant un trouble psychiatrique quel qu’il soit, une « charge neuro-développementale » plus ou moins marquée.
Ainsi, pour les chercheurs, l’intégration de la dimension neuro-développementale dans l’évaluation systématique des troubles psychiatriques ouvre de nouvelles perspectives pour permettre une prise en charge plus globale et personnalisée. « Ses applications peuvent être distinguées en fonction des différents niveaux de prévention : primaire (c’est-à-dire, la prévention des facteurs de risque neuro-développementaux), secondaire (c’est-à-dire, la diminution du retentissement des troubles neuro-développementaux et prévention de la survenue de troubles psychiatriques surajoutés), et tertiaire (c’est-à-dire, la prise en charge des troubles psychiatriques en tenant compte du terrain neuro-développemental) » (2).
Il ne s’agit pas du tout de nier l’impact que peuvent avoir les conflits intrapsychiques d’un individu ou un traumatisme au cours de sa vie, mais plutôt d’en mesurer précisément les conséquences et de les traiter plus efficacement, avec ou sans médicament. Autrement dit, il y a des symptômes que les psychothérapies, et a fortiori l’emprise thérapeutique, ne feront jamais disparaître et l’analyse de chaque patient sous un angle neuro-développemental permettra de le montrer clairement.
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Crédits et sources :
(1) Leboyer, Marion, coordination. Enjeux et objectifs de la psychiatrie de précision in Médecine/sciences volume 41 / numéro 5 (2025). Url : https://www.medecinesciences.org/fr/articles/medsci/full_html/2025/05/
(2) Iftimovici, Anton, Jardri, Renaud, Lefebvre, Aline, Mallet, Jasmina et Lefrere, Antoine. "Le neuro-développement : une dimension transnosographique" in Médecine/sciences volume 41 / numéro 5 (2025) (pp. 451-459).