A Montignac, en Périgord noir, en pleine vallée de la Vézère (Dordogne), berceau de Cro-Magnon, sous une colline calcaire entourée d’une couche de marne imperméable, un puits menant à une grotte sèche est découvert fortuitement par 4 adolescents en 1940.

Ouverte au public en 1948, la cavité ferme définitivement en 1963, après l’apparition sur les parois de multiples tâches, conséquences de la « maladie verte » (algues et bactéries) et de la « maladie blanche » (calcite) dues à la sur-fréquentation du lieu. Un fac-similé partiel est reproduit en 1983. Lascaux (avec un petit accent occitan : « Las Coutz », « La Coux » traduisant un endroit pierreux) conte la préhistoire et expose l'art esthétique des cavernes, l’art pariétal (ici une licorne peinte à l’ocre jaune et au manganèse).

Les chercheurs situent l’âge des chefs-d’œuvre (aujourd’hui 1900 répertoriés) désormais entre 20 000 à 21 500 ans avant le présent (hypothèses émises d’après certains objets retrouvés). Grotte ornée, signe et reflet des gestes des premiers peintres, capteurs d’images saisies au vif.

Ainsi, en 1960, « Le jardin d’hiver », œuvre de Jean Dubuffet, peintre, sculpteur et plasticien français s’inspire et reproduit une caverne à taille humaine : « De l'art donc où se manifeste la seule fonction de l'invention, et non celles, constantes dans l'art culturel, du caméléon et du singe. »

En 2016, le Centre International de l'Art Pariétal offre une reproduction intégrale, originale et à l'identique de la Grotte, Lascaux IV, parfois surnommée « l’Altamira française », « la chapelle Sixtine de l'art pariétal » ou « le Versailles de la Préhistoire », patrimoine artistique de l’humanité, témoin de nos origines, source du sacré, naissance de l’art, âme de la préhistoire.

Les hommes et les femmes de la préhistoire en France comme ailleurs (Afrique, Australie, Eurasie…) ont laissé beaucoup de traces de leur existence, bien plus qu’on ne peut l’imaginer ! Ce cerf aux longs bois a été peint à l’oxyde de manganèse.

« Ce qui m’émeut, m’anime, et va loin en moi, c’est ce sur quoi repose la force de cette présence. Au-delà de la représentation, ce que j’interroge et qui m’atteint directement ce sont les qualités concrètes de la trace, de la forme, de la tâche, des contrastes, de la vibration et de la modulation de la couleur, souvent du noir… » Pierre Soulages, artiste peintre et graveur français associé à l’art abstrait depuis fin 1940.

Cette scène du puits dévoile la présence de l’homme, mains de 4 doigts et tête d’oiseau (unique figure anthropomorphe de la grotte). Une histoire énigmatique entre un homme tombant et un bison peut être blessé, laissant libre cours à des interprétations, des hypothèses, des légendes simples, étonnantes, farfelues ou parfois fantaisistes.   

Dans toutes les grottes décorées, éclairés à la lumière des torches, les artistes paléolithiques font parler les parois, s’approprient l’espace et utilisent les reliefs naturels pour faire surgir leurs fresques, lancer des messages symboliques, nourrir l’imaginaire, transmettre une vision de leur monde, perpétuer une mémoire ou un mythe offrant aux entrailles de la terre les mystères du sens de la vie, la magie et la force de la poésie incitant à réfléchir au destin et à la place de l’homme sur cette terre mère.

« Ce n’est pas l’artiste moderne qui est primitif, c’est le premier homme qui était un artiste » selon Barnett Newman, peintre américain et critique d’art, représentant de l’expressionnisme abstrait.

Les reliefs et les accidents rocheux des parois dynamisent savamment les scènes de l’époque. Les animaux chassés, mangés ou craints, regroupés par affinités ou tombés à la renverse se côtoient dans un réalisme parfois original. Bestiaire féérique en fuite soudaine, fauves cavalant dans des rugissements imaginaires.

Lascaux est riche de multiples peintures polychromes, gravures, signes et dessins (principalement aurochs, bovinés, chevaux, cerfs, ours et félins : ces animaux réputés pour leur chair, leur peau, leurs os…). Les figurations pariétales témoignent de la grande liberté esthétique des premiers artistes, déjà chasseurs-cueilleurs.

Joan Miró, peintre, sculpteur, graveur et céramiste catalan mentionne l’importance de la leçon de la préhistoire. En 1961, il reprend son côté art naïf et peint sur plusieurs toiles au fond bleu azur, à l’instar de celle-ci intitulée « Bleu II », des ponctuations artistiques laissées, dans la sombre clarté de la grotte de Lascaux, par un artiste anonyme plus de 18 000 ans auparavant, comme si l’art avait fait du surplace.

Dans la nef, la vache rouge à collerette noire se trouve sur un soutènement où ont été découverts des lampes, des bruloirs, des colorants, des burins ainsi que des restes alimentaires.

Les œuvres de ses artistes anonymes sont réalisées, uniquement de mémoire, avec des pigments naturels broyés d’origine minérale (manganèse, limonite…) et d’ajouts de colorants organiques, de la graisse de sabot comme liant. Palette de couleurs chaudes relativement restreinte (jaunes des goethites, rouges des hématites, bruns), le charbon pour le noir, le kaolin pour le blanc. Absence totale de bleu et de vert.

Cet univers, vieux de tant de millénaires, offre une multitude d’émotions et dépeint la vie authentique et naturelle des sociétés harmonieuses du passé (rites, partage social, magie, croyances, méditations, chamanisme…). Réelle symbiose avec la nature et recherche absolu d’un équilibre avec l’environnement.

« Jamais au grand jamais il ne m’a été donné un tel bonheur de peinture. Jamais je n’ai reçu comme à Lascaux cette pluie de peinture diffusée dans l’obscurité dérangée et l’innocence », une libération reconnue par Gérard Gasiorowski, photographe, peintre et artiste plasticien français.

Les pinceaux, tampons, pochoirs en peau, grattoirs, tubes d’os ou de bois creusés pour les pulvérisations sont largement employés pour les peintures. Les silex pour les gravures. Techniques ancestrales simples, à la main ou au doigt, mais aussi germes et ferments pour les artistes contemporains.

Un va et vient pour les créateurs entre la préhistoire et nos origines relatées dans ces terres inconnues que sont les grottes et le temps présent inquiets du devenir de la planète. L’art paléolithique reste une fascination certaine et un engouement des artistes de notre époque, posant sans doute un regard nouveau sur le monde, un éternel retour à son recommencement.

« L’artiste doit tout inventer, il doit se lancer à corps perdu dans l’inconnu, rejetant tout préjugé, y compris l’étude des techniques et l’emploi des matériaux considérés comme traditionnels » écrivait Antoni Tapiès, peintre, sculpteur, essayiste et théoricien de l'art espagnol d'expression catalane. De la paille aux chiffons ou aux vieux draps, du papier déchiré à de la corde, des pointes de poudre d’argile et de marbre ajoutées à la peinture, il s’oriente vers l’art brut et qualifie ses œuvres de « champs de batailles où les blessures se multiplient à l’infini ». 

Instant, durée ou éternité, l’horloge dirige le cours de l’existence. Le temps défile sous nos yeux et rappelle que l’homme est mortel, perdant à ce moment précis, tout sens de richesse ou de pauvreté. Le temps, être puissant, destructeur, toujours vainqueur, simplement, tragiquement, destinée ou hasard.

Le temps naturel (la nuit, le jour, les saisons…) entraine l’alternance du balancier, un engrenage mécanique. Récits temporels, images imprévisibles et indomptées, déplacements dans l’espace, c’est ainsi que l’art, découvert, exposé, partagé, adopte différents visages et n’en finit sans doute jamais d’interroger.

« En même temps que nous effacions de nos mémoires certaines catégories d’images, nous en retrouvions d’autres beaucoup plus anciennes, créées durant la Préhistoire, dans un temps qui produisait des images universelles. » Giuseppe Penone, sculpteur contemporain italien associé à « l’arte povera » (le corps en relation avec la nature, la terre, l’air, l’eau, le feu mais aussi le temps, l’être, le devenir, l’infini, le mouvement).

Beaucoup d’artistes talentueux ont été ou sont encore fascinés par l’art pariétal ou rupestre de la préhistoire : Jean Dubuffet, Pierre Soulages, Barnett Newman, Joan Miró, Gérard Gasiorowki, Antoni Tapiès, Giuseppe Penone, Pablo Picasso mais aussi tant d’autres…

L’art pariétal, l’hier aujourd’hui, de découvertes en hypothèses, d’inquiétudes en certitudes, du passé au présent, de maintenant à demain, a dessiné un étrange voyage artistique : « il n'y a pas de passé ni d'avenir en art. Si une œuvre ne peut vivre toujours dans le présent, il est inutile de s'y attarder » : Pablo Picasso, peintre, dessinateur, sculpteur et graveur espagnol.

 

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Art pariétal : les photos ont été prises dans « l’Atelier de la grotte de Lascaux IV »@Edmey  :

Licorne peinte à l’ocre jaune et au manganèse,

Cerf aux longs bois, peint à l’oxyde de manganèse  

L’homme tombant corps surmonté d’une tête d’oiseau devant un bison blessé 

Scène chevaux, éléphant

La vache rouge à collerette noire 

Cheval

Scène de chasse, pointes de sagaies décorées en bois de renne plantées

Animation chevaux