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Portfolio 11 octobre 2017

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PARIS PLEIN EMPLOI

Pressé de "passion de l'insoluble", Emil Cioran s'ulcère, s'ébat, traînard du Quartier Latin, contant chance à l'échec, lancinant nonce d'inaction, à clair de temps bicyclettant la France, n'élucubrant futur qu'en prestation d'instants. Au Paris plein emploi, se sustentant de "l'idée du suicide" pour endurer la vie et de Simone Boué(e), inestimable ectoplasme, concluante héroïne d'arcane. E'M.C.

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  1. Illustration 1
    © Cioran en 1991, pht. John Foley.

                            BICYCLETTE      

    En arrivant à Paris je m'étais engagé auprès de l'Institut français à écrire une thèse (...)

    mais je ne songeais pas du tout à l'écrire.

    Au lieu de cela j'ai parcouru la France entière à bicyclette.

    On m'a finalement laissé ma bourse parce qu'on a trouvé que d'être mis la France dans les jambes n'était pas non plus sans mérite.

                                       ------

    (Avec François Bondy, 1972)

    C'est le fait de partir à bicyclette qui m'a guéri [de l'insomnie].

    (...)

    Ce ne sont donc pas des réflexions philosophiques qui m'ont guéri, mais l'effort physique qui en même temps me faisait plaisir. 

    (Avec Michael Jacob, 1988). 

    Glossaire, Cioran Œuvres, Quarto Gallimard, 1995, page 1738. 

                                 PARIS 

    Pour que tu aies une idée du cauchemar que nous vivons ici à Paris, je t'envoies ci-inclus une feuille, un tract plutôt, que je te prie de lire et méditer. 

    Vivre ici devient une sorte de punition.

    Évidemment, il y a l'habitude.

    On s'attache même à un enfer, quand on n'a pas l'espoir d'en sortir et qu'il dure indéfiniment. (...)

    Je t'assure que la vie ici est à la limite du tolérable. [...] 

    Pour aller en pleine campagne il faut prendre le train et faire un minimum de 60 km.

    La ville s'est étendue comme un chancre.

    (À Aurel Cioran, 1971)

    Ibid, pgs. 1768, 1769.

                                         •

    Pour moi, Paris a été l'idolâtrie. 

    Mais je m'en suis lassé, parce que je vieillis, et la ville aussi. 

    L'enchantement a pris fin.

    Si je ne la suite pas, c'est parce que j'y ai vécu pendant quarante ans. 

    Elle ne m'inspire plus.

    Chamfort a écrit avant la Révolution française:

    "Paris, ville lumière, ville de plaisir, où quatre habitants sur cinq meurent de chagrin."

    C'est une ville triste.

    Elle est abîmée.

    Elle s'est changée en un enfer -- ou en cauchemar --- que je ne peux abandonner. 

    Je ne pourrais vivre autre part.

    (Avec Esther Seligson, 1985)

    Ibid, page 1769.

                                ÉCHEC 

    Celui à qui tout réussi est nécessairement superficiel

    L'échec est la version moderne du néant.

    Toute ma vie j'ai été fasciné par l'échec.

    Un minimum de déséquilibre s'impose.

    À l'être parfaitement sain psychiquement et physiquement manque un savoir essentiel. 

    (Avec Sylvie Jaudeau, 1988)

    Ibid, page 1745.

                              PROFESSION

    La société ne vous pardonne pas d'être libre.

    J'habitais à quelques mètres d'ici, au cœur de Paris.

    C'est la ville des ratés.

    Vous savez pourquoi ?

    Parce que tout le monde vient à Paris avec une idée précise de réussite.

    Mais cette idée, cette "mission", ne dure pas longtemps.

    Parce qu'on échoue.

    Et pour moi, c'était très simple: j'ai décidé de vivre sans profession. 

    Et le grand succès de ma vie, c'est d'avoir vécu, d'avoir réussi à vivre sans profession.

    Dans une ville de ratés, je suis tombé sur des tas de gens, des gens bizarres, un peu louches, toutes sortes de gens.

    J'ai vécu dans de petits hôtels.

    Ici, c'est la diversité de l'échec, c'est la ville de l'échec.

    (Avec Branka Bogavac Le Comte, 1992)

    Ibid, page 1774. 

                              TRAVAIL 

    Pendant vingt ans, avec presque rien, ma subsistance se trouvait assurée. 

    Je vivais dans un hôtel bon marché et je mangeais dans les restaurants universitaires. 

    Un des jours les plus sombres de ma vie a été celui où l'on m'a convoqué à l'université pour m'annoncer que la limite d'âge pour accéder au foyer des étudiants était de vingt-sept ans. 

    Comme j'en avais quarante, c'était fini.

    Tous mes projets, tout mon avenir, se sont écroulés ce jour-là.

    Je me voyais bien en éternel étudiant, raté et pauvre, traînant avec d'autres au Quartier latin.

    Cela correspondant si bien à ma vision du monde!...

    Je me disais: il faut tout faire sauf travailler.

    (Avec Anca Visdei, 1987)

    Ibid, page 1788. 

                                          

                    LIT (É)PREUVE DE VIE

                            (ET D'EXIT)

    Si la vie prend un sens pour moi, c'est plutôt quand je suis au lit et que je laisse errer mes pensées sans but.

    Alors j'ai l'impression de travailler vraiment.

    Mais quand je me mets pratiquement au travail, je suis aussitôt miné par la certitude que je ne fais que poursuivre une illusion. 

    Pour moi l'homme n'existe véritablement que quand il ne fait rien. 

    Dès qu'il agit, dès qu'il se prépare à faire quelque chose, il devient une pitoyable créature. 

    Ibid, page 1789. 

                                 •••    •••    •••           

    Voir: 

    Cahiers 1957-1972, Cioran, Gallimard, 1997.

                                          •

    Choix, dé-coupage, chapō, titre du dernier fragment retenu, bibliographie, E'M.C. 

     

     

     

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