À MON AMI LE POÈTE ALGÉRIEN 

Tu n'es pas seulement Algérien.

Alors il ne faut exagérer rien d'autre

que ton indifférence pour mieux te solidariser.

(Épigramme de) M.H. (1) 

                                      •

Tu n'es pas, tu ne dois pas, tu ne peux pas être anti-Français. 

Parfois les balancelles ont d'étranges frissons.

Ne dénonce pas dans tes chansons la France,

mais ces Français qui font que j'hésite à mettre une majuscule à leur nationalité.

Ces Français qui n'ont pas respecté le vieux monsieur

qui était peut-être le cousin de Desnos ou de Paul Eluard. 

Mais sur les cimes quand tu iras,

quand tu auras mérité les cimes, 

tes mains seront propres.

Aucune chanson ne résiste à la plaine qui ne serait que champ de bataille. 

Et les ponts, mon ami, s'ils sautent pour l'instant 

c'est qu'il arrive parfois qu'il faille refuser une poignée de main. 

                                   •

Le malheur en danger, Malek Haddad, première réédition, Bouchène, Alger 1988, Bouchène, Paris, 2002, p. 15, 16.

Malek Haddad (1927-1978), romancier et poète algérien. 

(1) ajout parenthésé, E'M.C.

                                      •

Voir :

- La dernière impression, roman, Julliard, 1958.

- Je t'offrirai une gazelle, roman, Aix-en-Provence, septembre 1958, 10/18, Julliard. réédition, 1959.

- L'élève et la leçon, roman (même éditeur), 1960. 

- Le quai aux fleurs ne répond plus, (même éditeur), 1973.

- Les zéros tournent en rond, essai, Maspéro, 1961.

- Écoute et je t'appelle, poèmes, Maspéro, 1961.

- Algériennes, Album de photographies, Alger. Ministère de l'Information, 1967.

                                    •

Choix, découpage, "chapō", notes, quelques apports bibliographiques, E'M.C. 

Poète, mon ami, rendons le cœur intelligent et donnons du cœur à l'intelligence. 

(...) 

Tu feras beaucoup de taches sur ton cahier d'écolier.

Tu choisiras tes manuscrits. 

Et tout d'abord Guelma, tout d'abord le Guergour, par exemple Séoul, par exemple Oradour, par exemple Vercors, par exemple l'Ukraine...

Et ce bois qui consent à me donner sa flamme quand je suis le témoin des forêts à venger...

Debout celui qui sait qu'il faut choisir sa route et qu'il faudra grandir.

Tu vas dire: Ce Malek il a des mots français.

N'importe! Alger peut bien se dire en chinois.

Oui, Aragon, c'est là "le drame du langage". 

Si je savais chanter, j'aurais des mots arabes...

(...)

Tu es trop grand, poète mon ami, pour être sectaire et tu méprises trop les imbéciles pour ne pas être vigilant.

Moi je suis pour les bouquets.

Le poète est plus qu'un partisan; il plane sur sa patrie comme un air de libération. 

(...)

Que je lève le poing et voilà les abeilles.

 

                                    •

Le malheur en danger. Clermont-Ferrand, avril 1956. 

Choix, découpage, E'M.C.