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DÉ-GOMMAGE D'IMAGE
- Simone Boué, qui êtes-vous, qui étiez-vous avant de rencontrer Cioran?
- Vous savez, c'est Cioran qui m'intéresse, pas moi.
- Vous pourriez dire tout de même quelques mots sur vous. Vous êtes née en Vendée ?
- Oui.
- Vous avez fait des études d'anglais?
- Oui.
- En Vendée ?
- Ah non, on ne pouvait pas faire des études d'anglais en Vendée !
DÉBOÎTER À POITIERS
La Vendée dépendait de l'Université de Poitiers, et c'est là que j'ai commencé mes études.
- Après ?
- Après, j'ai eu une bourse pour venir à Paris et préparer l'agrégation. Je suis arrivée à Paris en quarante.
À ce moment-là, tout était désorganisé.
Le grand philologue Huchon s'était suicidé à l'entrée des Allemands.
(...)
C'est comme ça que j'ai fait la connaissance de Cioran, non pas au cours d'agrégation, mais parce que j'étais descendue au Foyer International, une maison d'étudiantes, Boulevard Saint-Michel.
(...)
D'IMPÉCUNIEUX ÉCLAT
Il y avait un foyer ou l'on pouvait manger, et qui était ouvert à tous les étudiants.
C'est là que j'ai rencontré Cioran. Je m'en souviens très bien, c'était le 18 novembre 1942.
Je l'avais remarqué auparavant, car il était très différent des autres, et puis, il était plus âgé que la moyenne des étudiants, il avait 31 ans.
Je faisais la queue pour aller déjeuner.
Il fallait remplir un coupon, on devait y noter la date et son nom, et quand on passait à la caisse, il fallait présenter ce coupon.
RESQUILLE AU DESTIN
Lui, au lieu d'attendre, est venu à côté de moi, et il m'a demandé quelle était la date.
C'est pour ça que je me souviens : c'était le jour de mon anniversaire.
Ma mère m'avait envoyé un gâteau.
Je lui ai dit quel jour nous étions, et puis après...
- Alors, s'il est venu près de vous, c'était pour resquiller ou pour vous aborder ?
- Les deux, je crois.
- Et vous avez vécu ensemble dès ce moment ?
- Ah non, pas tout de suite ! (...)
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CONFLUENT DE FÉES
Quand il a commencé à écrire en français, est-ce que vous l'avez aidé ?
- Non, à l'époque, j'étais à Orléans.
Je sais qu'il avait écrit ça, le Précis,
mais je n'ai aucun souvenir d'y avoir été mêlée.
Tout ce que je sais, c'est qu'il a écrit une première version, qu'il avait déposée chez Gallimard,
il avait montré le texte à un ami français qui lui avait dit:
c'est à réécrire, c'est du métèque,
et Cioran avait été absolument ulcéré,
mais finalement il s'est rendu compte que son ami avait raison,
et il s'est mis à réécrire le texte.
Je sais qu'il voyait une femme,
je ne sais plus exactement qui,
je ne l'ai jamais rencontrée,
je n'ai jamais su son nom :
il l'appelait la "grammairienne".
Parce que Cioran avait la manie, propre, paraît-il, aux gens de son pays, de Rasinari, de donner des sobriquets.
Donc, il semble que ce soit elle qui l'ait aidé.
Moi, la seule façon dont je suis intervenue, c'est que je lui tapais ses textes.
Tous les textes de Cioran, c'est moi qui les ait tapés.
Là, j'ai eu du mérite.
Les fautes de frappe le rendaient fou.
Ce n'est pas moi qui ai tapé la première version du Précis de décomposition,
il avait pris une dactylo, mais cela lui coûtait très cher, et ensuite, elle faisait des fautes tout le temps,
alors je le suis mise à la machine,
et j'ai même appris à taper avec mes dix doigts.
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Avertissement (page 9);
Merci à Simone Boué d'avoir bien voulu accorder pour la première fois une interview qui nous permet d'offrir ici une image entièrement inédite de Cioran.
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Interview de Simone Boué par Norbert Dodille, directeur de l'Institut français de Bucarest, treize pages de la page 11 la page 41.
dans Lectures de Cioran, textes réunis par Norbert Dodille et Gabriel Liiceanu, l'Harmattant, 1997.
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Choix, dé-coupage, chapõ, titre et titres intérieurs, E'M.C.
Portfolio 22 octobre 2017
SIMONE BOUÉ, LA "GRAMMAIRIENNE" ET CIORAN
Si pour Cioran, le français devenu langue provinciale, les indigènes s'en accommodent; seul, le métèque en est inconsolable; lui seul prenant deuil de la nuance. Une tente sans femme c'est comme un violon sans cordes, lui rétorquerait un dicton roumain; à l'endroit de l'Indigène, insespérée "Squaw", l'anglo-agrégée Simone Boué, ainsi que l'Innommée "grammairienne" autre gardienne d'ombre...E'M.C.
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