Il y a douze ans, Stéphane Hessel (1917-2013) appelait chacun à s'indigner dans un court ouvrage manifeste qui allait être « le plus gros succès éditorial des quinze dernières années » selon Livres Hebdo. Dix ans après sa mort et afin de raviver le message de l'écrivain-résistant qui n'a jamais été aussi nécessaire alors que se multiplient les motifs d'indignation, parait la bande dessinée éponyme qui, loin d'être une simple adaptation imagée, conte l’aventure d’un jeune homme qui aura porté tous les drames et les espérances du XX^e siècle : de la Résistance aux camps de concentration (il s'évadera de trois d'entre eux), à New York où il participe aux côtés d’Eleanor Roosevelt à la rédaction de la Déclaration universelle des droits humains. Avec Frédéric Debomy pour scénariste et Lorena Canottiere pour dessinatrice, et la complicité de sa fille et légataire Anne Hessel, l'époustouflante épopée retrouve sa vigueur et rappelle combien il est important de ne jamais s'habituer à l'inacceptable alors que l'état de droit n'en finit pas d'être restreint en France. 

Frédéric Debomy, Lorena Canottiere, Indignez-vous ! – La Violente espérance de Stéphane Hessel. 64 pages, 220 x 290 mm. Harmonia Mundi Livre/Diffusion distribution France. 18€. ISBN 2375951131

En parallèle de l'importante rétrospective de General Idea qui circule actuellement, le MAMCO à Genève accueillait cet hiver un ensemble de deux-cents dessins, dont la plupart inédits, du collectif canadien. Moins connus que le reste de sa production, ils ont tous été produits par Jorge Zontal mais la conception collective de la signature en fait des oeuvres de General Idea. « Les dessins sont, d'une part, d'une richesse vertigineuse - c'est particulièrement vrai des derniers dessins où les cafards naissent et se multiplient au milieu de points et d'éclaboussures de couleur - et, d'autre part, d'une vacuité obsédante, consistant en de simples taches ou des contours à peine visibles, même au sein d'une seule série. Pour éviter que l'on ne s'attache trop à un rendu particulier, un autre suit, faisant mentir le précédent. Dans leur mutabilité et leur flux continu, ils sont une manifestation intime de la nature théâtrale de l'existence, démontrant l'insuffisance de la représentation tout en reconnaissant son urgence » écrit Claire Gilman, conservatrice en chef du Drawing Center de New York, dans l'introduction du catalogue édité et introduit par Lionel Bovier et elle-même, qui sont aussi les co-commissaires de l'exposition Ecce Homo. The Drawings of General Idea, 1985-1993 organisée en 2022-2023 au MAMCO, Genève et au Drawing Center, New York. L'ouvrage comprend également une conversation avec AA Bronson et un index des dessins.

Lionel Bovier et Claire Gilman (Ed.), Ecce Homo. The Drawings of General Idea, 1985-1993, 2022, JRP Editions, 204 pages, 50€. ISBN 978-3-03764-594-9

Comment habiter demain ? C'est la question que pose le livre de la série théâtrale « Vous êtes ici » programmée dans les théâtres genevois durant la saison 2020-21, une série en partie empêchée par la crise du coronavirus. L'ouvrage revient sur cette aventure humaine malmenée à travers les textes des neuf épisodes écrits sur commande par une dizaine d'auteurs. Autour de ces textes, des schémas veulent rendre compte de ce qui a été préparé lors de répétitions mais a très peu ou pas été joué, et donc partagé avec le public. « Ce livre aura terriblement importé, car l'aventure prépare une suite ou plutôt elle en aura auguré les conditions » écrit Vinciane Despret dans la préface. « Elle sera à la création théâtrale ce que sont les ZAD à nos territoires : un lieu d'expérimentation et de résistance qui ne pourra qu'essaimer, qui fera proliférer d'autres manières de créer, de faire, d'entrée en rapport, et donc de vivre. Et surtout d'imaginer ».

Julie Gilbert, Michèle Pralong, Vous êtes (encore) ici, Préface : Vinciane Despret. Textes et contributions: Stéphane Bouquet, Lucile Carré, Eléonore Cassaigneau, Brice Catherin, Jihane Chouaib, Rémi Dufay, Yan Duyvendak, Julie Gilbert, Katja Hagerdon, Stefan Kaegi, Nathalie Küttel, Sylvie Kleiber, Marine Magnin, Joël Maillard, Barbara Métais-Chastanier, Jeremy Narby, Dieudonné Niangouna, Jonathan O’Hear, Michèle Pralong, Marion Quintard, Jérôme Richer, Antoine Rubin, Marina Skalova, Charlotte Terrapon, Antoine Volodine, Judith Zagury, collectif anthropie, des activistes… Photographies: Christian Lutz, Isabelle Meister, Samuel Rubio, Dorothée Thébert, Philippe Weissbrodt, Myriam Ziehli. Vidéo: Gabriel Bonnefoy, art&fiction, collection Contextuel, Co-édition République éphémère, 528 pages, 27€. ISBN 978-2-88964-037-9

Publié à l’occasion de l’exposition Beautés qui se tient en ce moment au FRAC Auvergne à Clermont-Ferrand, ce livre présente les œuvres de trente-neuf artistes de sa collection. Chaque œuvre est accompagnée d’un texte de Jean-Charles Vergne. « Acquises par la collection du FRAC Auvergne entre 1985 et 2023, les « beautés » réunies dans cette exposition sont nées des « caprices » de celles et ceux qui les ont créées. Par caprice, il faut entendre l’impulsion, la fantaisie, la générosité et la profusion, il faut éprouver le frisson (capriccio en italien) dont elles ont gratifié les artistes qui les ont imaginées bien avant de nous être données. Pas une beauté mais des beautés, associant leurs contraires dans une indémêlable étreinte. L’harmonieux se joint à la discordance, la magnificence accueille la stridence, le lustre accepte les plis urticants et les fascinantes désintégrations. Les remous d’une assemblée de carpes à la surface d’une mare cadrée par Rinko Kawauchi offrent une beauté déjà menacée par le frémissement d’une fragilité de vitrail ; la lumière d’aube des encres de Claire Chesnier affleure les tourbes originelles en même temps que le devenir boueux du monde ; la composition parfaite de Gregory Crewdson révèle son harmonie à l’aune de la solitude des êtres qui s’y trouvent figés dans une grâce, malgré eux ».

Beautés, 240 pages, textes de Jean-Charles Vergne, format : 22.50 x 29.00 cm, 19€. ISBN 9782907672375

Cette monographie d'une des figures majeures de la scène artistique française accompagne l'exposition personnelle de Philippe Cognée qui a lieu actuellement au Musée du Tessé au Mans. Peintre, graveur et dessinateur né à Sautron, près de Nantes en 1957, Cognée est connu pour sa pratique de la peinture à la cire, dont il détourne l’usage traditionnel en projettant sur la toile les motifs photographiés ou filmés pour les peindre sur le support avec de la peinture à l’encaustique. Il recouvre ensuite la toile d’un film plastique et utilise un fer à repasser pour liquéfier la cire. Les motifs commencent alors à se déformer sous la chaleur, créant un effet de flou et de profondeur. Cette technique lui permet de dissoudre des éléments représentés, brouillant souvent la frontière entre peinture figurative et abstraction.

Philippe Cognée. Le réel sublimé, Textes de Philippe Piguet avec la participation de Philippe Cognée, Snoeck, 2023, relié, 96 pp., 28,7 x 22,5 cm, 25€. ISBN 978-9-4616-1786-6

Communiste, résistant, fils d'ouvrier, Michel Chomarat est passionné par l'histoire du livre. Typographe, il a fondé plusieurs revues, suscitant des collaborations avec des artistes et des écrivains. Homosexuel et franc-maçon, meurtri par l'épidémie du sida et sa cohorte de disparus, il s'engage dans la vie politique lyonnaise, se distinguant par un goût prononcé pour la confrontation publique et la provocation. Il n'a cessé d'interroger l'image de la ville elle-même. La constitution du fonds tel qu’il est aujourd’hui présent dans les collections anciennes et spécialisées de la bibliothèque ne dit pas autre chose. Comme il l’écrit en 2001, il s’agit d’interroger « l’histoire officielle de notre ville » qui « a fait l’impasse depuis trop longtemps sur l’importance du rôle de ces communautés qui avaient le tort d’être plus ou moins “en marge”. »

Dans les marges : 30 ans du fonds Michel Chomarat à la Bibliothèque municipale de Lyon. Sous la direction d’Antoine Idier, avec des contributions de Jacqueline Allemand, Françoise Biver, Serge Boarini, Sylvain Bouchet, Antonin Crenn, Christian Delorme, Nicolas Galaud, Catherine Goffaux, Régis Le Mer, Jean-Marc Scanreigh et Siegfried Plümper-Hüttenbrink, Éditions Mémoire Active 2022, 25 euros. ISBN 979-10-96156-09-8

Le livre est le catalogue de l'exposition rétrospective que la Fondation de l'Hermitage à Lausanne consacrait au printemps dernier à l’un des artistes les plus importants de la création belge du début du XXème siècle : Léon Spilliaert (Ostende 1881-Bruxelles 1946), auteur d'une oeuvre d'une profonde singularité, emprunt d'interrogations métaphysiques et de culture flamande. L'ouvrage suit l'organisation thématique et chronologique de l’exposition qui réunissait une centaine d’œuvres, couvrant toute la carrière de l’artiste. « Autodidacte, formé au contact de la littérature de son temps et persuadé de son destin d’artiste élu, tel que le concevait Nietzsche, Spilliaert est l’auteur d’une œuvre réalisée presque exclusivement sur papier. Mélangeant les techniques graphiques comme l’encre de Chine, la mine de plomb, la craie noire, le pastel, les crayons de couleur, puis l’aquarelle et la gouache, l’Ostendais tisse des liens avec le symbolisme et l’expressionnisme contemporains, et semble annoncer, dans ses paysages les plus radicaux, simplifiés à l’extrême, l’abstraction géométrique et le minimalisme ».

Léon Spilliaert - Avec la mer du Nord... Sous la direction d'Anne Adriaens-Pannier. Éditions Snoeck, Gand/ Fondation de l'Hermitage, Lausanne, 2023, broché, 24 x 29 cm, textes en français, 192 pages, 45€, ISBN 978-94-61617-65-1.

Trente et uns courts textes composent ce catalogue des oeuvres les plus emblématiques du plasticien Pierre Petit avec cette subtilité qu'il est dépourvu d'images. Depuis plus de quarante ans, l'artiste élabore une oeuvre incisive et cocasse en utilisant comme matière première des objets souvent dissonants qui vont être déplacés, transformés, assemblés. L'art est pour lui un jeu cependant non dépourvu d'une pensée critique. « Les objets font signe et sens au sein d'une société, ils véhiculent modèles et images » rappelle-t-il. « Pièces contées » invite à s'immerger dans l'univers mental d'un artiste en oubliant, le temps d'un livre, ce que l'on voit pour imaginer, selon ses propres critères, ce qui est écrit.

Pierre Petit, Pièces contées Préface d'Éric Fabre. Postfaces de François Coadou et Michel Giroud, les presses du réel, 2020, édition française, 11 x 17 cm (broché), 120 pages, 10€. ISBN : 978-2-37896-211-1

Le très beau catalogue de l'exposition que consacrait le Mudam Luxembourg au travail récent de l'artiste britannique Tacita Dean est divisé en deux volumes. Le premier est consacré à One hundred and fifty years of painting (2021). Tacita Dean savait que les artistes Luchita Hurtado et Julie Mehretu partageaient la même date d'anniversaire et avaient exactement cinquante ans d'écart. Réalisant qu'elles allaient avoir cent cinquante ans ensemble en 2020, elle les a filmées en conversation dans l'appartement de Luchita Hurtado à Santa Monica, ce que nous montre le film 16 mm qui en résulte, Cent cinquante ans de peinture. Dans la salle baignée de soleil, les deux peintres parlent librement de la vie, de la mort, de la maternité et de la peinture. Ce livre richement illustré comprend une transcription complète de leur conversation. Le second volume est consacré à The Dante Project, collaboration avec le chorégraphe Wayne McGregor et le compositeur Thomas Adès, d'après La Divine Comédie (1308–21) de Dante Alighieri, mise en scène au Royal Opera House de Londres en octobre 2021. Le ballet et les dessins de Dean formaient trois parties distinctes reflétant le voyage de Dante à travers les royaumes des morts : Inferno, Purgatorio et Paradiso.

Tacita Dean, 2 vol. (120 pp. x 2), Walther Konig/ Mudam Luxembourg, 2022, 47€, ISBN 9783753302553 et 9783753302546

Livre de poésie, déclaration érotique aux métaphores gigognes, Tu passes du il au elle au lit rassemble cinquante-huit textes écrits en 2020 et 2021. Ils semblent s’adresser à une personne, un lit ou l’auteur, on ne sait pas. Dans la tradition de la lettre d’amour, passant de la mièvrerie à la grossièreté d’un Bukowski sans alcool, ce texte poétique, en prose, dépourvu de ponctuation, est un flux, une longue mélopée apparemment langoureuse sans cesse trouée dans sa syntaxe, ses sonorités et son sens. C'est dans un va-et-vient entre pudeur et impudeur, mélange de délicatesse et de brutalité, que tout semble malgré tout permis. Inconnue du milieu de la poésie contemporaine, Clémence Périgon expose une écriture assurément singulière. Artiste-plasticienne, elle développe un travail de vidéoperformances accompagné par le dessin et l'écriture.

Clémence Périgon, Tu passes du il au elle au lit, After 8 books, 2023, 12,5 x 19,5 cm, 64 pp., 19€, ISBN 978-2-9585852-0-4