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Avenue du Pont-Trinquat, Montpellier. Un peu partout des palissades qui s'érigent de plus en plus haut, en bois, en parpaings, en grilles métalliques. La densification croissante de la ville et ses nuisances, l'idéologie sécuritaire et ses multiples avatars sur le marché immobilier, un mode de vie de plus en plus centré sur l'espace privé et un espace public réduit et appauvri: sans doute une multitude de facteurs est à l'origine des transformations du paysage urbain telles qu'elles se donnent à voir au regard du passant aujourd'hui. L'hypothèse esquissée ici est que ces facteurs du changement de la ville s'inscrivent dans une dynamique de longue durée plus large de "décivilisation", c'est-à-dire de l'inversion du "processus de civilisation" tel qu'il avait été saisi par Norbert Elias de la fin du Moyen Âge au XIXe siècle. Dans son ouvrage éponyme, le sociologue allemand mettait en évidence la transformation des façons de penser et des façons d'être en public en Occident qui ont permis, progressivement, dans les élites d'abord puis ensuite dans l'ensemble du corps social, de devenir plus poli, plus policé, moins violent, rejetant et reléguant ainsi les pulsions violentes des agents sociaux aux marges de leur conscience et de la cité.
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La ville n'hésite plus à se montrer menaçante, voire barbare, alors que ses sédimentations passées laissent entrevoir un souci de mise en scène, de paraître social et de beauté. La condamnation morale semble peu pertinente ici tant ces transformations sont structurelles et tant le corps social dans sa totalité s'y est depuis longtemps habitué.
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Le rehaussement des palissades visible ici n'est pas sans rappeler le processus d'incastellamento entre le Xe et le XIIe siècle, étudié par l'historien Pierre Toubert en 1973 dans Les structures du Latium médiéval. Proposition anachronique évidemment qu'il faudrait mettre à l'épreuve de manière contrôlée à l'aide de cas précis, contextualisés dans le temps et l'espace, afin de souligner les différences et les points communs entre les deux processus.
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Inséparables de la privatisation croissante de l'espace public, les ensembles résidentiels fermés témoignent de la force et de la rapidité avec laquelle s'est réalisée cette fermeture (ou cet enfermement, suivant le point de vue) au cours des vingt dernières années. François Madoré a depuis longtemps mis en lumière la dynamique sociale du marché immobilier qui est parvenue à imposer la fermeture des ensembles résidentiels au moyen de portails et barrières dans plusieurs grandes villes en France. Cette fermeture marque de manière visible et matérialise les frontières de la propriété privée dans l'espace public de la ville: les panneaux qui rappellent au passant qu'au delà de ce portail se trouve une "propriété privée" sont l'un des traits récurrents de toutes ces frontières urbaines.
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Une forme euphémisée de la séparation: murs végétalisés près du nouvel Hôtel de Ville de Montpellier.
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Maisons à l'ancienne, plus ouvertes sur l'extérieur.
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De manière significative car différentielle, l'habitat populaire ne porte pas l'empreinte des processus de séparation physique et de délimitation comme nous pouvons les voir dans les ensembles résidentiels fermés et les maisons individuelles ci-dessus. Preuve peut-être que le destin des communs de la ville est lié au rôle (politique) des classes subalternes dans la ville.
Portfolio 11 juillet 2020
Ville sans horizon
A l'échelle d'une rue, à Montpellier, recherche de traces de l'inversion du processus de civilisation (Norbert Elias) ou lorsque la ville n'a pour seul horizon que la propriété privée, faisant éclater les communs au fondement de la cité.
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