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Portfolio 4 janvier 2022

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Victimes du pouvoir - 2. Détruire, quoi qu'il en coûte (aux pauvres)

Malgré une condamnation infamante par le juge administratif, le préfet de Mayotte n’entend pas rectifier sa politique de démolition des quartiers pauvres. Abrogeant l’arrêté attaqué pour aussitôt en décréter un nouveau tout autant litigieux contre les mêmes habitants, il détruit sans retenue au nom de règlements propres à la France hexagonale que les autorités veulent imposer envers et contre tout. 

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

  1. Illustration 1
    daniel gros, Mnyambani, décembre 2021

    Le 3 décembre 2021, le préfet de Mayotte signe un arrêté de démolition du quartier Mnyambani, commune de Bandrélé. D'après les documents annexés à l'arrêté, le quartier regroupe 86 logements occupés par une population de 188 habitants. Le périmètre concerné par l'arrêté assemble 12 parcelles cadastrales dont une seule appartient au Conseil Départemental de Mayotte, les onze parcelles principales appartiennent à neuf propriétaires particuliers dûment désignés. 

  2. Illustration 2
    daniel gros, Mnyambani, décembre 2021

    Le 28 décembre 2021 l'opération de démolition de Mnyambani est annoncée aux habitants pour le lundi 17 janvier 2022. Quelques jours plus tôt cependant, le préfet de Mayotte avait été sévèrement condamné par le juge des référés du tribunal administratif de Mamoudzou à la suite d’un recours soutenu par un collectif d’associations contre un arrêté similaire programmant la démolition d’un quartier dans une autre commune de Mayotte. 

  3. Illustration 3
    daniel gros, Mnyambani, décembre 2021

    Le juge administratif avait alors condamné le préfet de Mayotte pour avoir méconnu « les dispositions de l’article 197 de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018, l’arrêté litigieux ne comporte aucune proposition de relogement ou d'hébergement d'urgence adaptée à chaque occupant. » (Ordonnance du 23 décembre 2021).

     

  4. Illustration 4
    daniel gros, Mnyambani, décembre 2021

    Sa condamnation n’empêche pas le préfet de persévérer dans sa politique et de s’orienter vers l’exécution de l’arrêté contre un quartier du village de Mnyambani pourtant rédigé sur le même modèle que l’arrêté condamné et entaché de la même illégalité.

  5. Illustration 5
    daniel gros, Mnyambani, décembre 2021

    Les habitants de ce quartier de la commune de Bandrélé, informés des revers du préfet dans sa politique de destruction des quartiers pauvres, s’organisent collectivement et déposent à leur tour le 3 janvier 2022 un recours au tribunal administratif de Mamoudzou contre l’arrêté organisant la destruction de leurs logements.

  6. Illustration 6
    daniel gros, Mnyambani, décembre 2021

    Anticipant la décision du juge, le préfet de Mayotte préfère abroger l’arrêté du 3 décembre 2021. Ce qu’il fera par un arrêté du 19 janvier et qui étrangement n’est jamais apparu dans le recueil des actes administratifs (RAA) en ligne sur le site de la préfecture. Le même jour, il missionne à nouveau l’association commise aux enquêtes sociales préalables aux démolitions pour réactiver l’opération dans un sens plus conforme selon lui à la légalité.

  7. Illustration 7
    daniel gros, Mnyambani, décembre 2021

    La plupart des habitants étaient absents ce jour-là. Ils avaient quant à eux décidé d’attendre l’audience et la décision du juge ; ils ont fait connaître leur position. Contrarié dans ses plans, et assuré du bon droit conféré aux puissants, le préfet a décidé de leur faire payer leur impertinence et de passer outre. Le 2 mars 2022, il publie un nouvel arrêté de démolition du quartier présentant quelques différences avec le précédent. Le nombre de parcelles sur lesquelles sont bâties les constructions illicites passe de douze à quatre : une parcelle appartenant au Conseil Départemental, les trois autres à des particuliers.

  8. Illustration 8
    daniel gros, Mnyambani, décembre 2021

    Dans sa précipitation, le préfet n’attend pas l’audience prévue le 3 février ni la publication de l’ordonnance du juge. Pour lui sans doute un non-lieu à statuer est acquis suite à l’abrogation de l’arrêté contesté. Ainsi l’ACFAV, acronyme pour association pour la condition féminine et l’aide aux victimes, se déplace le 24 janvier dans le village condamné et tente de convaincre les habitants de signer une attestation sur laquelle figure l’adresse du logement dans lequel ils seront hébergés. Les habitants sont sommés de signer après avoir coché une case selon qu’ils déclarent avoir « accepté » ou « refusé la proposition d’hébergement ». Il n'est question ni de réfléchir, ni de visiter le logement.

  9. Illustration 9
    daniel gros, Mnyambani, décembre 2021

    La réduction du nombre de parcelles concernées implique-t-elle que certains logements sortent du périmètre ? Sans être géomètre, il est impossible de le savoir. Car la liste nominative des familles concernées a disparu des annexes. Ni le nombre des habitants, ni celui des maisons ne figurent dans les documents en annexe. Faut-il se référer au premier arrêté qui n’a plus de valeur légale du fait de son abrogation ? Le second arrêté s’adresse à la cantonade. Aux premières heures du 3 mars, un agent municipal sera venu le placarder sur une palissade du quartier. Un petit tour et puis s’en va.

  10. Illustration 10
    daniel gros, Mnyambani, décembre 2021

    Au-delà de la manière de procéder sont dénoncées les modes de vie traditionnels des populations d’origine. En vertu d’une départementalisation à marche forcée*, les autorités de l’Hexagone entendent effacer toute trace d’un mode de vie « passé ». Ainsi tous les considérants motivant la prise de décision renvoient-ils les uns à la suite des autres à un espace culturel européen que les autorités veulent imposer.

    *Lire à ce sujet : Blanchy, Sophie. « Mayotte : « française à tout prix » », Ethnologie française, vol. 32, no. 4, 2002, pp. 677-687. Lire ici.

     

  11. Illustration 11
    daniel gros, Mnyambani, décembre 2021

    « Considérant que l’ensemble des constructions en tôles concernées ont été édifiées sans droits ni titre par les occupants eux-mêmes et qu’elles constituent un ensemble homogène d’un habitat informel et illégal ». (Arrêté n°2022-SGA-0177 du 02/03/2022. En ligne ici, pp.24-40 du document).

    Suite à la réforme foncière de 1996, l’île de Mayotte passe progressivement d’un foncier traditionnel ou local à un foncier de parcelles attribuées par l’État*. La constitution en cours du cadastre entraîne depuis le début de la première décennie de ce XXI° siècle des pressions sur le foncier et des stratégies d’appropriation dont savent tirer profit les habitants les mieux informées parmi les élites. L’illégalité d’une occupation peut alors saisir  à tout moment les habitants jadis autorisés selon le droit traditionnel.

    *Lire à ce sujet : Carole Barthès, « Effets de la régularisation foncière à Mayotte. Pluralisme, incertitude, jeux d’acteurs et métissage », Économie rurale 313-314 | Septembre - décembre 2009. En ligne ici.

  12. Illustration 12
    daniel gros, Mnyambani, décembre 2021

    « Considérant l’instabilité des bâtis : la plupart des logements sont construits avec une structure en branchages et tressage de coco, ou bien avec des poteaux de bois, sur laquelle sont clouées des tôles, qu’ils sont sans fondation, non conformes aux règles de l’art. »

    La maison traditionnelle mahoraise a peu évolué chez les populations pauvres, les tôles ayant remplacé le végétal pour des raisons pratiques de fabrication et de durée. Toutefois le coût élevé des maisons en tôles peuvent inciter les populations pauvres des villages de brousse à conserver le bâti traditionnel contre un peu plus de travail. Aussi derrière des clôtures en palmier tressé du plus bel effet sont regroupées autour d’une cour plusieurs maisons fabriquées à l’ancienne, avec des murs en torchis ou feuilles de cocotier tressés, recouverts d’un toit d’un chaume de fibres végétales. Sur le quartier de Mnyambani se rencontrent les deux types de construction.

    Pour info : "Patrimoine du XX° siècle : une architecture mahoraise", Département de Mayotte. Plaquette téléchargeable ici.  Ou encore sur Mayotte la première "Archives d'Outre-mer - Mayotte : connaissez-vous l'histoire des bangas traditionnels ? " à visionner ici.

  13. Illustration 13
    daniel gros, Mnyambani, décembre 2021

    « Considérant l’étanchéité et l’isolation thermique de ces locaux : les murs, les sols, et les plafonds de ces constructions ne sont pas toujours jointifs, aucun dispositif d’isolation n’a été mis en place, ces habitations ne sont ni étanches ni à l’air ni à l’eau… »

    Le critère de l’isolation thermique des locaux trahit l’absurdité de l’ensemble des défauts de construction alignés dans les considérants de l’arrêté en question. Quel type de logements résisterait à la comparaison à l’aune des critères les plus récents de l’habitat européen bourgeois. De plus les campagnes contre les passoires thermiques en Europe ciblent surtout les gaspillages d’énergie dans le cadre d’une lutte globale contre le dérèglement climatique. Ce qui à Mayotte est hors sujet.

  14. Illustration 14
    daniel gros, Mnyambani, décembre 2021

    « Considérant le surpeuplement de ces habitations : le nombre de personnes présentes sur le site en regard de la superficie des habitations, montre que plusieurs logements sont vraisemblablement en état de sur-occupation, ce qui peut entraîner une atteinte à la santé mentale des occupants... »

    Le premier arrêté qui, contrairement au second, avait pris la peine de compter les habitations et de recenser leurs occupants, avait dénombré 188 habitants pour 86 logements, ce qui ne dénote pas à première vue une surpopulation. Mais quand bien même le nombre d’habitants atteindrait-il la moyenne de cinq occupants par habitation en tôle estimés par l’INSEE, le mode de vie tropical incite les gens à vivre dehors, dans la cour et non dans les maisons surtout destinées à la nuit et au sommeil.

  15. Illustration 15

    « Considérant la présence massive d’étrangers en situation irrégulière : le village de Mgnambani est un lieu de vie pour de nombreux étrangers en situation irrégulière au dire de la population locale et le lieu de repli des auteurs de nombreux méfaits, notamment perpétrés au Mont Choungui, et d’acte de délinquance avec violence aux environs du village. »

    Qui veut tuer son chien...

    Tous les arguments alignés en vrac par le préfet ne visent qu'à légitimer et accentuer la pression sur la population pauvre, supposée d'emblée native des autres îles, fut-elle de nationalité française. La destruction des quartiers pauvres complète un arsenal déjà important dans la lutte contre l'immigration illégale : contrôle incessant de la population ; interpellation arbitraires et reconduites à la frontière à hauteur espérée de 30 000 individus par an ; exclusion des étrangers même en situation régulière de tous les dispositifs de la solidarité nationale ; traficotages législatifs permettant d'exclure les natifs de Mayotte de la nationalité française. N'en jetez plus.

    En un mot : comment s'en débarrasser ?

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