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Portfolio 11 février 2023

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Mayotte et le droit d'asile : le déshonneur

Près de 200 demandeurs d’asile vivent à la rue, pressés sur les trottoirs entourant le siège de l'association officiellement chargée de leur accueil. Le tribunal administratif a, chaque fois, rejeté les recours des cinq familles souhaitant bénéficier des protections internationales, d’une aide alimentaire et d’une mise à l’abri. Les populations pauvres ont-elles encore accès à la justice ?

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

  1. Illustration 1

    Samedi 11 février. 5 heures du matin. Mayotte. Ile française dans l’océan Indien. Occasionnellement département. Saison des pluies oblige, des trombes d’eau s’abattent sur Mamoudzou. Et sur tous les sans-abri dont le nombre augmente considérablement en raison des démolitions administratives de l'habitat pauvre et la mise à la rue des populations les plus démunies.

    Samedi, 10 heures, la pluie commence à s'épuiser.

    Depuis des mois, des personnes réfugiées, venues pour la plupart de la région des Grands Lacs en Afrique, vivent à la rue, totalement négligées par un État qui ne songe même pas à respecter ses obligations internationales et européennes. Elles se regroupent contre les façades de l'immeuble de Solidarité Mayotte, association à laquelle la préfecture a confié la mission d’accueil et d’accompagnement des demandeurs d’asile et des réfugiés statutaires sur le territoire mahorais. Cette compétence s'exerce sur les trois volets de l'accueil, de l'aide alimentaire et de l'hébergement d'urgence. La seule question qui vaille est la suivante : qui de l’État ou de l'association se défausse sur l'autre de ses obligations ?

  2. Illustration 2

    En attendant, les demandeurs d'asile s'agglutinent autour du bâtiment sans autre perspective que le répit fragile qui vaudra à chaque ménage de bénéficier à tour de rôle d'un hébergement d'urgence de trois semaines. Ensuite retour à la rue. Début février dormaient "à la belle étoile" ou sous la pluie cinglante 50 célibataires, et 37 familles composées de 53 parents, dont 4 femmes enceintes, et de 82 enfants. Soit une population totale de 185 personnes. Celles qui ont obtenu l’attestation de demande d’asile reçoivent une aide alimentaire mensuelle sous forme d’un bon d’achat de 30 € pour un célibataire. Selon une arithmétique difficile à suivre, une famille de deux parents et de trois enfants recevra un supplément de 10 €, soit un versement global de 40 € attesté sur un petit carnet remis à la famille. Pour Solidarité Mayotte ou ses commanditaires, un couple ne vaut pas deux adultes : regroupés en famille, ils ne font plus qu'un, et leurs besoins d'autant diminués.

    Voilà pour les obligations de l'association ou de la préfecture.

  3. Illustration 3

    La plupart des personnes vivent dans une détresse insondable, cernées entre l’espoir d’une solution prochaine, chaque jour reportée, et les journées qui n'en finissent pas. Les nuits n’offrent le sommeil qu'aux nombreux enfants protégés par les parents qui eux grappillent ce qu’ils peuvent de rêves entre les cris, les pleurs, les peurs et les menaces nocturnes. Mais le malheur en réalité se mesure à l'aune de l'histoire personnelle, aux horreurs traversées lors du parcours migratoire. Merveille, une jeune femme originaire du Congo, raconte :

    "J'aurais tellement de choses à vous dire mais je ne peux pas. Quand tout cela sera terminé, je chercherai un journaliste qui accepte de m'écouter et d'écrire un livre avec moi. Mais c'est terrible ; vous n'êtes peut-être pas capables de l'entendre. Elle ajoute : alors ce que je subis là, je remercie la France de me permettre de vivre sur ce petit bout de trottoir sans risquer la mort. Parce qu'en Afrique, il y a longtemps que les milices nous auraient tous tuer avec leurs mitraillettes. Là on est en sécurité."

  4. Illustration 4

    La dame continue son récit :

    "Le soir on s'installe, on partage les places et on dort comme on peut, d'un œil. Hier soir trois enfants de Mayotte sont venus menacer mes fils avec des couteaux pour prendre les portables. Ils appuyaient la pointe de la lame sur la peau jusqu'à ce qu'ils donnent, mais ils n'en avaient pas. Il a fallu l'intervention des jeunes gens qui habitent les bangas sur les collines pour les neutraliser. En fait nous sommes protégés par les jeunes des bidonvilles. Ils veillent sur nous gratuitement, ne nous demandent rien. Ils nous laissent tard dans la nuit lorsqu'il ne peut plus rien nous arriver de fâcheux. Parfois ils se débrouillent pour nous trouver de quoi manger alors que ce problème est déjà critique pour eux. C'est Dieu qui nous les a envoyés.

  5. Illustration 5

    Non seulement les réfugiés des Grands Lacs ne reçoivent pas ce qui leur permettrait de sauvegarder le minimum de dignité, mais ils sont surtout harcelés par la force publique. Déjà le vendredi 25 novembre, suite à un arrêté pris la veille par le maire de Mamoudzou, le « campement » improvisé fut démantelé avec le concours de la préfecture. Mayotte-hebdo rapporte que « le personnel de la mairie, aidé de camions, a procédé à l’enlèvement des matelas, des chaises, sièges, palettes, tiroirs ou casseroles amassés au fil des mois. […] Aucune solution d’hébergement n’a été envisagée. Livrés à eux-mêmes, les occupants du camp ne devraient pas aller très loin. « Ils vont revenir, ils n’ont nulle part où aller », fait remarquer un ressortissant congolais, qui suit le sort de ses compatriotes. « On reviendra à chaque fois », promet Chaharoumani Chamassi, le directeur de la police municipale.

    Qu'importe que ces gens n'aient nulle part où se replier, et qu'ils n'auront d'autre choix que de revenir se recroqueviller contre l'immeuble, tassés les uns contre les autres. L'objectif des autorités semble de les priver du confort inconsistant qu'ils avaient pu aménager : des mousses pour s'étendre, des cadres de chaises pour s'assoir, des réchauds pour cuisiner. Rien d'autre.

  6. Illustration 6

    Bien évidemment les conditions de vie sur les trottoirs encombrés qui bordent les façades sont aggravées par l'absence de sanitaires, la privation d'eau potable, des ressources de première nécessité.  Bien sûr les mousses qui servent de matelas endurent mal les longues pluies tropicales, les frottements sur les palettes ou le bitume : les nids de bactéries qui les colonisent infligent aux corps des dermatoses non soignées, gonflent les chairs des pieds et des jambes, des bras et des mains. Certains grattent inlassablement des prurits intraitables. Les visages épuisés accusent des souffrances empêchées. Bien sûr cette cour des miracles gêne les riverains dont les inclinations à la compassion ou à l'empathie sont rudement mises à l'épreuve.

  7. Illustration 7

    Sophie raconte l'attitude des habitants : les actes de méchanceté gratuite se répètent : les seaux d'eaux usées versés sur la chaussée en pente qui les canalisent vers les matelas disposés pour la nuit amenant humidité et puanteur ; la femme qui sort de sa cour pour retirer le linge qui sèche sur sa clôture et le jeter à terre manifestant son agacement. Mais aussi cette maman qui est sortie de sa maison pour distribuer du linge, des draps...

    Le plus souvent tout le monde s'ignore.

  8. Illustration 8

    Une source d'eau non potable sortant d'un tuyau fiché dans un mur de béton fournit une eau trouble à cette population démunie ainsi qu'aux habitants des quartiers avoisinants dont les habitations de tôles ne sont pas reliées au réseau de distribution d'eau potable de la SMAE. -Mahoraise des eaux. Le matin, dès le point du jour, tout le monde se presse sans aucune discipline ni souci d'organisation vers le tuyau pour une toilette matinale. Les femmes se plaignent de l'absence de tour selon les sexes. Elles dénoncent également la curiosité des riverains qui viennent au spectacle et se moquent, rassemblés sur la chaussée qui domine le point d'eau. Vivre à la rue condamne toute intimité.

  9. Illustration 9

    La seule attitude qui vaille convoque la résignation soutenue par une lente patience. Chacun, chacune d'espérer la reconnaissance par l'OFPRA du statut de réfugié.e qui permettra de s'intégrer et de bénéficier de plein droit des prestations sociales : enfin relever la tête et prendre activement en main son avenir et celui de sa famille. En attendant, l'accès au droit des populations pauvres, à Mayotte et en France plus généralement, semble une chimère, et personne n'y songe spontanément. Les requérants sont le plus souvent accompagnés par une association qui doit faire valoir son intérêt à agir.

    Mais à Mayotte, les associations humanitaires se neutralisent mutuellement ne voulant pas mettre en cause leurs collègues de Solidarité Mayotte par une initiative pourtant nécessaire. Ainsi les réfugiés ne peuvent compter sur aucun secours. 

    Pourtant quel que soit son statut administratif, toute personne présente sur le sol français a droit à la protection de l’État. Si celui-ci manque à ses obligations, elle peut en principe requérir en justice.

  10. Illustration 10

    Telle est la procédure judiciaire que cinq familles ont cru utile d'engager pour se mettre en sécurité. Un père et une mère accompagnés de leurs deux enfants ; une mère et ses trois enfants mineurs ; une jeune femme enceinte de six mois ; un père et sa fille âgée de 11 ans ; une mère de deux enfants mineurs, enceinte de sept mois et demi. Les conditions de vulnérabilité sont dans chaque cas réunies à des degrés divers. Les cas semblent facilement plaidables et le juge des référés, lors de la première audience, a reconnu qu'il n'avait d'autres choix que de rappeler la loi qui stipule que « 1. Les États membres font en sorte que les demandeurs aient accès aux conditions matérielles d’accueil lorsqu’ils présentent leur demande de protection internationale. / 2. Les États membres font en sorte que les mesures relatives aux conditions matérielles d’accueil assurent aux demandeurs un niveau de vie adéquat qui garantisse leur subsistance et protège leur santé physique et mentale (...) ». 

  11. Illustration 11

    Le lendemain de la première audience, avant même que le juge des référés n'ait rendu son ordonnance, la première famille requérante a été logée dans un hébergement d'urgence et l'aîné des garçons scolarisé dans un collège de Mamoudzou. Il semble clair que les administrations compétentes avaient alors admis leur manquement aux obligations internationales auxquelles l’État français avaient souscrit en ce qui concerne l'accueil et la protection des réfugiés et demandeurs d'asile.

    A l'inverse un vent de prudence avait soufflé sur les ardeurs à requérir en justice parmi la population vivant à la rue. Plus personne ne souhaitait en appeler au juge craignant pour l'issue de leur demande d'asile à l'OFPRA.

    Les deux premières familles se sont présentées à l'audience et ont décrit pour le juge des référés leurs conditions d'existence actuelle. Celui ci qui avait annoncé sa décision au plus tard le lendemain, prendra près de deux semaines pour rendre les ordonnances. Voilà pour l'urgence !

  12. Illustration 12

    Les requérants suivants, le père et sa fille, la jeune femme enceinte, ne se présentent pas à l'audience. La jeune femme, selon les informations recueillies sur place, aurait été hébergée le matin même. Le jeune père n'a pas donné d'explication sur son absence. Par contre, la préfecture a dépêché deux représentants pour défendre sa position. La démonstration pourrait paraître hors sujet : de nombreuses personnes vulnérables vivent à la rue. Telle est la confuse réalité. Il suffit au préfet de décliner sa responsabilité. En l'occurrence, l'esquive pour la préfecture emprunte une voie simpliste : Solidarité Mayotte a été missionné pour l'accueil, l'aide alimentaire et l'hébergement d'urgence par convention renouvelable annuellement. La dernière remonte au 26 juillet 2022.

    "Pour l’exécution de cette convention, des crédits ont été mis en place, après évaluation de l’association, à hauteur de la somme de 4 337 492 euros en 2022" rappelle le préfet dans sa défense.

    L'association est-elle comptable de résultats auprès de la préfecture ? Pourquoi celle-ci, en tant que commanditaire, se dégage-t-elle de tout contrôle ? Toujours est-il qu'en fin de compte, les réfugiés africains demeurent les seules victimes d'une telle incurie.

  13. Illustration 13

    Les deux représentants du préfet, celui qui s'exprime à la barre, celui qui écoute dans la salle, s'envoient régulièrement des clins d’œil de connivence. Celui qui parle rappelle que le problème des demandeurs d'asile vivant à la rue avait déjà été réglé avec succès une première fois par le démantèlement du campement de fortune le 25 novembre dernier. Il faut l'entendre pour le croire ! Mais une nouvelle arrivée d'Africains à Mayotte avait rapidement pris le relais et renouvelé le problème. On n'en sort pas ! soupire-t-il devant l'afflux croissant de réfugiés.

    Celui qui parle ment : il dit que l'aide alimentaire remise aux demandeurs d'asile s'aligne sur l'aide versée aux populations nécessiteuses de Mayotte par la Croix-Rouge, laquelle consiste en un bon d'achat de 30 € par mois. Il ment encore quand il ajoute que l'aide est établie selon le calcul suivant : un bon de 30 € par adulte et 10 € supplémentaires par enfants. Cela suivrait effectivement les règles d'une arithmétique apparemment plus correcte, mais ce n'est hélas pas le cas. Lui, en tant que sbire de la préfecture, n'a pas à le prouver, il lui suffit d'énoncer pour être cru sur parole. Par contre la personne concernée doit présenter le carnet sur lequel sont consignées les remises de bons pour attester qu'il n'en est rien. Par chance pour la préfecture, le plaignant est absent. Mais le juge peut consulter le document joint à la requête transmise par l'avocate s'il souhaite vérifier.

  14. Illustration 14

    Au tribunal administratif, selon toute apparence, le dernier qui parle a raison. Il emporte la mise. Ainsi les premier requérants, la famille composée du père, de la mère et de deux enfants, par ailleurs hébergés et l'aîné scolarisé, ont été déboutés et leur recours rejeté. Le juge prend motif que "si les requérants soutiennent qu’ils n’ont bénéficié d’aucun hébergement depuis leur admission, très récente au demeurant, au statut de demandeurs d’asile et que les conditions matérielles d’accueil ne sont pas satisfaisantes, il résulte des termes mêmes de l’article 1 de la convention citée au point 10 que l’hébergement, l’accompagnement social et l’aide alimentaire relèvent de la compétence de l’association Solidarité Mayotte qui a reçue délégation de l’État pour ce faire. Par suite, les conclusions de M. X et Mme Y tendant à ce qu’il soit enjoint au préfet de Mayotte de mettre sans délai à leur disposition un logement adapté à sa situation et leur faire bénéficier des aides matérielles adaptées à leurs besoins, doivent, dès lors, être rejetées. Il y a également lieu de rejeter, par voie de conséquence, les conclusions à fin d’injonction".

    Le caractère d'urgence, admis de facto par la mise à l'abri de la famille dès le lendemain de l'audience, n'a pas accéléré la décision du juge. La décision de rejet par ordonnance du 6 février a fait suite à une requête enregistrée le 27 janvier précédent.

  15. Illustration 15

    Le bilan de ces contentieux est dur pour les pauvres.

    La seconde requête, déposée le même jour par une mère isolée accompagnée de trois enfants mineurs, a demandé au juge le même temps de réflexion, négligeant sa propre promesse à l'issue des deux premières audiences de rendre sa décision au plus tard le lendemain. La famille peut rester à la rue. Elle s'y trouve encore.

    L'ordonnance concernant la troisième requête déposée le 28 janvier fut rendue le 6 février dans les mêmes termes : la jeune femme enceinte peut rester à la rue. Entretemps, elle aurait été hébergée en urgence par l'association Solidarité Mayotte.

    La quatrième requête, nécessitant les mêmes délais, a connu le même rejet dans les mêmes termes.

    La cinquième requête, concernant une femme enceinte de plus de sept mois et mère de deux enfants de 3 et 5 ans vivant à la rue, a connu un sort encore plus implacable : le juge a dédaigné l'entendre. Son recours fut rejeté sans audience.

    Elle attendra sous les étoiles la perte des eaux.

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