Lundi 5 octobre
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La froidure n'est rien ; les gouttes de pluie – dès lors que l’on jouisse d’un plafond de béton protecteur –, si peu de chose ; mais les gouttes de pluie apportées par un vent ivre de rage qui se jette peu ou prou sur votre corps (paisiblement posé sur une serpillière) est une souffrance véritable qui vous force à fermer votre ouvrage et vous pousse peu ou prou vers l'ennui – un parfum de souffrance cruel et subtil pour un mendiant quelque peu cultivé – me dis-je à moi-même, alors même qu'un soufflet venteux s’abattait sur ma joue...
Ainsi restai-je assis deux heures durant à méditer avant de me décider à trouver refuge Dans un jardin qu'on dirait éternel (non sans avoir salué auparavant une jeune femme fort polie à qui je rendis son « Bonjour »), film ô combien poétique ! de Tatsushi Ōmori sur la cérémonie du thé, art typiquement japonais.
Mardi 6 octobre
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Ce matin-là, j'avais rendez-vous à Cap Emploi, aussi en profitai-je pour me rendre au préalable sur mon lieu de travail où je constatai, avec effroi, qu'un déluge de pluie s’y était abattu, on eût dit qu’un sarkozyste s'était acharné à le karcheriser ; aussi renonçai-je provisoirement à travailler.
Un ancien syndicaliste de classe, fût-il viré par Solidaires en raison de sa fidélité aux engagements tenus devant les salariés, ne saurait renoncer, peu ou prou, à son bien-être : mendier oui, mais à la stricte condition que l'employeur que je suis puisse assurer à lui-même de bonnes conditions de travail. Je passai donc une paisible demi-journée tantôt sur mon ordinateur, tantôt en compagnie de DVD de Nikita Mikhalkov.
Mercredi 7 octobre
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Je me réveillai à sept heures trente afin de me rendre au tribunal de Dijon dans le but d’y soutenir quelque peu Les jardins de l'engrenage – et prendre par la même occasion mon petit-déjeuner – jugé ce même jour par les servants du Capital pour occupation illégale, la mairie ne partageant pas la vision des militants desdits jardins : « Occupation de terres : la ville, c'est par et pour les habitants. Pour plus de nature en ville, pour des arbres dans les jardins et pas seulement le long du tram. La ville veut respirer, se nourrir et se lier les uns aux autres. Vive les jardins libres ! ». La centaine de personnes présente, selon France Bleue, apprit que le délibéré serait rendu le 4 novembre.
L'après-midi, mon espace de travail n'étant malheureusement toujours pas sec, et ma serpillière n'ayant point envie d'être souillée, je décidai de remettre au lendemain ce que j’aurais pu mendier le jour même.
Jeudi 8 octobre
A onze heures, la rue n'était pas encore sèche : certaines flaques d'eau laissaient présager que mes conditions de travail ne seraient pas optimales ; néanmoins, je me décidai à occuper de nouveau le lieu. A treize heures quarante-cinq, je me plongeai dans la lecture d'Adolphe, court roman – ou longue nouvelle – de Benjamin Constant dont le style parfois hésitant, pour ne pas dire incorrect, peut déconcerter le lecteur.
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Vers quinze heures, je fus tiré de ma lecture par un « Bonjour monsieur ; on se connaît ! ». Je levai la tête et découvris le Président d'une association. Je l'avais rencontré naguère alors que celui-ci envisageait de reprendre les locaux loués par Ressources, et revu lorsque l’association s'était retrouvée en situation judiciaire (j'avais répondu à un appel afin d'aller mettre un petit coup de pression amical sur le Conseil Départemental).
Je lui contai la fin de l'histoire de Ressources, celle d'un ex-délégué du personnel Solidaires – à jamais droit dans ses bottes – trahi par les plus hauts sommets de Solidaires (local et national). Cela sembla le surprendre, tout comme je fus surpris par la carte de visite qu'il me tendit afin que nous puissions nous entretenir en fin d’année et envisager une embauche éventuelle (un temps partiel – mais de combien d’heures ? –), non pas en qualité de mendiant, mais d’agent administratif –L'association devrait sortir de sa période de redressement judiciaire en novembre –.
Je lui expliquai que je pourrais être intéressé par un emploi d'une durée de vingt heures, mais que j'étudierai toute proposition (plus de travail, moins de mendicité). Nous verrons en temps utile...
Je cessai de travailler vers dix-sept heures, non sans me demander s’il était préférable que j’emportasse des CV le lendemain.
Vendredi 9 octobre
« Elle croyait ranimer mon amour en excitant ma jalousie ; mais c'était agiter des cendres que rien ne pouvait réchauffer », disait Adolphe, le narrateur éponyme du roman de Benjamin Constant dont je continuai la lecture.
J'étais arrivé en retard, une fois de plus – sans toutefois craindre l'ire de moi-même – et m'étais installé à mon poste de travail.
Alors même qu'Éléonore venait d'être rétablie dans la jouissance de ses biens (Adolphe – chapitre sept), je fus interrompu par l'un des voisins de la maison des syndicats, qui s’interrogeait depuis quelque temps déjà sur les raisons de ma présence devant ce saint lieu de la lutte. Je lui contai mon histoire et lui dévoilai les dessous de l'appareil bureaucratique du syndicat dont je fus exclu. J'ignorais s'il approuvait ou non ma conduite, aussi ne manquai-je pas de lui préciser que mendier est un droit dont je comptais bien user et abuser la semaine prochaine, et pour longtemps encore.
LA SEMAINE PROCHAINE
LE JOURNAL D'UN MENDIANT – SEMAINE SIX