Avertissement
Je profite de ce mois d'août pour publier mon mémoire sous forme d'épisodes. Il est par contre amputé de toutes les interviews des salariés que j'ai faite sur plusieurs entreprises, n'ayant pas forcément l'autorisation des intéressés pour une diffusion publique. J'ai conscience qu'il en sera moins intéressant, mais il restera tout de même suffisamment de matière pour avoir une idée précise de l'impact des ordonnances Macron et des lois Travail sur la situation des salarié-es.
La mention "retiré pour publication" signifie que j'ai retiré les noms des personnes ou les entreprises concernées. Ces extraits sont évidemment disponibles dans mon mémoire que je peux transmettre pour information si vous me le demander (en MP s'il vous plaît).

Introduction
- « Il y a un réel risque de voir passer certains salariés à « l’action directe ». Il y aura d’autres Georges Besse (1) ».
Cette phrase, au jugement assez définitif, n’a pas été lancée par un « enragé », un militant de l’ultragauche ou un gilet jaune un jour de visite enfumée de l’Arc de Triomphe. Non ! Cette phrase c’est l’introduction faite par un avocat à l’occasion d’une réunion d’information d’un cabinet d’expertise parisien le 22 février 2019 sur la mise en place du CSE.
Ce que l’avocat voulait exprimer c’est la violence que pourrait induire la mise en place de cette « Instance Unique du Personnel » introduite par une des ordonnances du nouveau président de la République, Emmanuel Macron. S’il caricaturait de la sorte, pour marquer les esprits présents, c’est peut-être également pour faire comprendre que cette nouvelle « Institution Représentative du Personnel » (IRP) risquait de plonger les salarié-es dans un isolement encore plus grand qu’aujourd’hui, qu’elle ne leur permettrait pas d’exprimer leurs attentes, leurs revendications, leur colère même et qu’il y avait donc un risque de « débordement » et de violence externe à l’encontre des employeurs ou des managers.
Cette analyse prédictive est d’ailleurs largement partagée dès que l’on élargit la recherche au niveau de rencontres, réunions ou sondages. À l’occasion d’un colloque organisé le 11 avril 2019 dans les locaux du quotidien « Le Monde », réunissant le groupe UP (Chèques déjeuner, Chèque domicile, etc), le réseau Cezam (réseau de coopération entre CSE/CE) et les cabinets d’expertise Syndex et Technologia, on pouvait entendre des jugements tout aussi édifiants sur les premiers ressentis de la mise en place du CSE. Là aussi la violence de la situation créée par les Ordonnances Macron est exprimée d’une manière tout aussi évidente :
« Passer en CSE, c’est jouer à la roulette russe avec six balles » (Un élu CSE)
« Les ordonnances renvoient chez eux 300 000 élus CHSCT qui faisaient chaque jour un travail de prévention et nous savons qu’il ne faut pas plus d’un à deux ans pour observer les effets d’une moindre vigilance sur la prévention de la santé au travail. Je m’attends donc à une prochaine remontée des accidents du travail, et même de la mortalité, en entreprise » (Jean-Claude Delgènes, fondateur du cabinet Technologia)
« Chez nous, les premiers cas de burn out apparaissent au sein des RH, qui sont entre le marteau et l’enclume ! Cela montre que la seule logique « je serre les coûts » est mortifère, et que l’employeur va essuyer les pots cassés » (élu CFDT)
« Les représentants du personnel sont aussi un rempart entre les salariés et la direction. A trop jouer le court-terme, les directions risquent de se retrouver avec des gilets jaunes à l’intérieur des entreprises » (Florence Dodin, secrétaire adjointe de l’UNSA)
« Ne tournons pas autour du pot. La fusion des IRP avait pour but la disparition du CHSCT (...). Mais je crois qu’on reviendra sur certaines choses, par simple pragmatisme face aux problèmes, notamment de souffrance au travail, qui ne peuvent que s’amplifier » (François Homeril, Président de la CFE-CGC)
Pour autant, lorsque l’on commence à se pencher sur les questions de « représentation des travailleurs et travailleuses », on ne peut être que surpris par le peu de littérature consacrée au sujet. En dehors des revues spécialisées en droit social ou en sociologie du travail, la question des IRP en général et des ordonnances Macron en particulier ne semble pas passionner les foules. Par exemple, un des derniers livres d’Attac et de la Fondation Copernic au titre pourtant évocateur « L’imposture Macron, un business model au service des puissants » (Attac-Copernic, 2018) (2) ne consacre aucun chapitre à la refonte du droit du travail par les ordonnances Macron. Plus étonnant encore, le volumineux « Bilan et rapports sur la négociation collective en 2018 » (3) (Ministère Travail, 2019), comprend un chapitre sur « la négociation vue par les organisations syndicales de salariés et professionnelles d’employeurs ». Il est très étonnant de ne pas y trouver un mot sur le CSE sur les 11 pages écrites par la CFE-CGC ; un petit paragraphe de la CFTC sur ses 6 pages ; rien non plus tout au long des 16 pages de la CGT ; et enfin 4 lignes dans les 9 pages de Force Ouvrière... Seule la CFDT consacre à cette question plus de 3 pages sur une contribution de 9 pages.
Alors quoi ? Pourquoi un avocat, et pas des moindres, commence-t-il son exposé en alertant d’une manière aussi crue sur les risques d’implosion sociale induite par le système alors que les organisations syndicales représentatives (en dehors donc de la CFDT) passent sous silence ou presque, cette première année de mise en place des CSE ? Nous avons pris le parti, par ce mémoire, d’accorder une place centrale à cette recomposition de la représentation du personnel. Au-delà de cette question, nous suivrons un fil rouge, celui de la santé et de la sécurité au travail, objet par ailleurs du stage que nous avons effectué pour le compte de la Direccte Ile de France, par une étude commune menée par le Centre Pierre Naville de l’Université d’Évry et le cabinet Syndex, étude toujours en cours au moment de la rédaction de ce mémoire.
Afin de comprendre et de cerner les enjeux sociaux, politiques, économiques et organisationnels (notamment pour les organisations professionnelles de salariés), nous pourrons, à l’occasion d’une revue historique des dates marquantes de l’évolution des instances représentatives du personnel (première partie) admettre que cette construction se fait par l’interdépendance entre les rapports de force employeurs/salariés, les rapports de force politiques, l’environnement social et économique.
Dans une deuxième partie, nous traiterons de la légitimation et de la construction des ordonnances Macron, des différents acteurs qui interfèrent dans l’élaboration de la loi et nous examinerons dans le détail les différents points centraux caractérisant une des six ordonnances de 2017, celle sur la fusion des instances du personnel.
Enfin, dans une troisième partie, nous essaierons, malgré des délais très rapprochés depuis l’entrée en vigueur effective de la loi, de tirer un premier bilan, à la fois en nous appuyant sur des rapports officiels, mais surtout en confrontant ces éléments quantitatifs à des analyses qualitatives par le biais des entretiens que nous avons pu avoir avec des syndicalistes de grandes entreprises (Retiré pour publication) et les échanges auxquels nous avons participé au ministère du travail avec six autres entreprises, les représentants des employeurs et des organisations syndicales signataires d’accord de mise en place des CSE (dont Total, EDF, Ricard, ThyssenKrup, etc).
(1) Georges Besse, alors PDG de Renault, a été assassiné le 17 novembre 1986, par Action Directe (Commando « Pierre Overnay », du nom du militant maoïste tué par un agent de sécurité de Renault)
(2) A noter qu’Attac avait sorti un « petit guide de résistance à la loi travail XXL » en 2017
(3) Ouvrage gracieusement remis à tou-tes les participant.es à la première journée consacrée aux « réussites du dialogue social » le 28 juin 2019, journée à laquelle nous avons également participé au Ministère du travail, rue de Grenelle.