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Billet de blog 25 mars 2013

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Mr LEAN ou comment La Poste s’est servie du «Grand Dialogue» pour développer son accélérateur de productivité (Episode 2)

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

  1. Approche du Lean : KesQueC ?
  1. Tentative de définition 

« De plus en plus d’entreprises sont attirées par le lean. Ce modèle de l’efficacité focalise les moyens de production - de biens ou de services -, le management et les outils de gestion sur le « juste nécessaire », au bon moment. En s’attaquant à des « sources de gaspillage » dans le processus productif - attentes, stocks intermédiaires, mouvements inutiles... - le lean agit à la manière d’une cure d’amaigrissement, avec la promesse d’une rentabilité et d’une compétitivité accrues.

Il revendique aussi une prise de distance par rapport aux mauvaises conditions de travail, assimilées au modèle fordiste, en promouvant la participation de l’opérateur à l’amélioration continue (Kaizen) de l’organisation et du poste de travail. Ses partisans y voient la possibilité d’une union sacrée entre productivité et amélioration des conditions de travail.

Cependant, des salariés, avec l’appui d’organisations syndicales ou de CSHCT dénoncent la mystification que représente cette promesse. Le lean est devenu l’objet de critiques et d’un débat social. Ses détracteurs l’associent à une intensification du travail, ainsi qu’à une aggravation des troubles musculo-squelettiques (TMS) et psychosociaux.» (Magazine Santé et Travail 78, avril 2012)

 Vous pouvez aussi consulter l’article de Rue 89 sur cette question : la méthode Lean, le retour du pire du travail à la chaîne.

 Dans un document du Centre d’Etudes de l’Emploi (Novembre 2006) intitulé « Conditions de travail et santé au travail des salariés de l’Union Européenne : des situations contrastées selon les formes d’organisation », l’introduction nous ouvre un peu plus les yeux sur l’application du lean à La Poste (nous vous invitons aussi à consulter l’intégralité de l’étude).

« Les innovations organisationnelles qui tentent de dépasser les obstacles économiques et sociaux auxquels se heurte le modèle taylorien/fordien conduisent à des transformations profondes de pratiques de travail....

... Elles ont été relayées depuis les années quatre-vingt par la diffusion de pratiques organisationnelles comme la délégation d’une marge d’autonomie dans le travail, le raccourcissement des lignes hiérarchiques, la polyvalence, le travail en équipes (équipes autonomes, équipes transversales et pluridisciplinaires comme les groupes de projets, les cercles de qualité ou les groupes de résolution de problèmes), les démarches de qualité totale et la production en flux tendus. Ces pratiques de travail sont fréquemment développées de façon simultanée. Elles relèvent des principes du modèle de la lean production qui est souvent considéré comme constitutif d’un nouveau modèle d’organisation du travail dont l’efficacité en ferait un nouveau « one best way » qui supplanterait le modèle taylorien/ fordien (Womack, John et Roos, 1990 ; MacDuffie et Krafcik, 1992). Ces « pratiques de travail à performance élevée », selon l’appellation couramment retenue dans la littérature américaine, ont connu une diffusion rapide aux États-Unis depuis le milieu des années quatre-vingt (Osterman, 1994 et 2000), puis en Europe à partir de la fin des années quatre- vingt. .

Dans leur très grande majorité, les conditions de travail des salariés des organisations en lean production sont nettement plus défavorables que celles des organisations tayloriennes. Les résultats sont analogues en matière de santé au travail. Les salariés des organisations apprenantes déclarent beaucoup moins souvent être atteints par les différents troubles de santé au travail étudiés que ceux des organisations tayloriennes, sauf en ce qui concerne le stress, les troubles d’ordre psychologique ou les blessures. La situation est encore une fois beaucoup moins satisfaisante pour les salariés des organisations en lean production. De nombreuses affections y sont nettement plus marquées que dans les organisations tayloriennes et seules quelques problèmes de santé comme les troubles musculo-squelettiques ou la fatigue générale ont une prévalence comparable.»

Ces critiques ou constats semblent devoir être balayés d’un revers de main, par les défenseurs du lean à La Poste comme ce cadre qui écrit dans sa thèse sur le sujet :

« L’application du lean management aux processus de l’entreprise fait l’objet de nombreuses critiques (Isabelle Bourboulon 2011) car les gains qu’il permettrait d’obtenir seraient en partie amputés par un impact nocif sur les conditions de travail.

C’est une notion qui a été totalement intégrée par les écoles de commerce qui adoptent une pédagogie différente en associant au lean management la prévention au travail au travers de l’ergo motricité (Amélioration du confort du mode opératoire par la maîtrise de l’attitude motrice), l’ergonomie (Amélioration du confort au travail en réduisant l’effet des contraintes) ou encore de la psychologie (Management du stress, leadership et conduite de groupe).

Voilà de quoi nous rassurer ! Que les écoles de commerce intègrent ces données dans leur « pédagogie » prouve déjà à l’évidence que les aspects négatifs de cette méthode sont bien réels. De fait, c’est aux salariés de s’emparer de ces problèmes, notamment au travers des CHSCT avec la nécessité de mener des enquêtes, des expertises mettant en évidence, à La Poste, toutes les problématiques liées à la  santé et aux conditions de travail des agents. 

Cherchez le Lean, vous trouverez La Poste. Un simple paragraphe de présentation du lean (Préface à l’Edition «Toyota, un modèle de gestion de crises») et l’on retrouve tous les ingrédients des discussions actuelles dans notre entreprise (nous avons mis en gras les termes récurrents à La Poste) :

 « Toyota invente le lean manufacturing dès les années 1960 en cherchant à concilier stabilité et flexibilité. 

Très complexe à réaliser, cet équilibre ne peut s’obtenir que par une obsession de la satisfaction des clients, et un engagement de tous les employés dans le kaizen, la discipline d’amélioration continue qui permet à tous de se former au changement, tous les jours. Un tel investissement des personnels dans leur travail ne va aucunement de soi : l’obtenir dans la durée requiert le respect, le deuxième pilier du modèle Toyota, ce qui commence par un engagement clair à stabiliser les conditions d’emploi (NDRL : vous comprendrez mieux pourquoi La Poste défend son « modèle social » du CDI). Faute d’une telle garantie, pourquoi les employés pratiqueraient-ils l’absolue transparence requise sur les difficultés rencontrées et le potentiel d’amélioration ? ».

 Nous reprendrons également, pour cette tentative de définition, la synthèse établie par Loïc Le Goff dans son mémoire Poste, synthèse qui a l’avantage de poser sur le papier les considérants principaux du Lean :

 « Le système Lean est composé par un ensemble de dispositifs organisationnels imbriqués constituant un tout cohérent. Le pré-requis à la mise en place du lean dans une entreprise consiste à maitriser et stabiliser ses activités par la standardisation.

Une fois que les fondamentaux des activités de l’entreprise sont maîtrisés, les deux piliers de la maison Toyota peuvent être développés : le juste à temps et le jidoka.

L’idée du « juste à temps » est de ne produire que ce qui est nécessaire pour le client en réduisant les stocks et en organisant la production de l’aval vers l’amont (flux tiré).

Ce principe de gestion de la production, développé par Taiichi Ohno, consiste à créer un flux continu et tendu sur les chaînes de production, du poste aval (le client) au poste amont (le fournisseur).

Le juste à temps implique une certaine flexibilité du système de production qui lui permet de s’adapter aux évolutions de la demande client.

Le deuxième principe du système lean est le jidoka ou autonomation (contraction des mots : autonomie et automatisation), dont l’origine vient de l’industrie textile qui était une des activités d’origine de Toyota. L’idée du jidoka est de mettre en place sur les machines des dispositifs d’arrêts automatiques en cas de fonctionnements défectueux afin d’éviter les surcoûts liés à la non-qualité.

L’autonomation sera étendue par Ohno au travail des opérateurs, par la mise en place d’outils appelés : andon, permettant de signaler les anomalies sur la chaîne de production.

Cependant, au-delà d’une meilleure qualité des produits, l’idée du principe d’autonomation est de réaliser des économies de main d’oeuvre en permettant à une personne de s’occuper de plusieurs machines et ainsi d’augmenter la productivité.

L’articulation des deux principes (juste à temps et jidoka), concrétisés par le dispositif de linéarisation de la production avec le développement de la polyvalence des agents, apporte une flexibilité et  une productivité au système...

Par ailleurs, le système lean, pour réduire les gaspillages et améliorer les processus, s’appuie sur une logique d’industrialisation du processus d’amélioration, à partir de la standardisation et des méthodes de résolution des problèmes.

Si le standard est la référence qui permet de réaliser la tâche efficace, il permet aussi de détecter tout écart potentiel pour mettre en place une démarche d’amélioration.

Ainsi constitue-t-il le moteur de la démarche de résolution de problème et d’amélioration, appelé kaïzen dans la littérature du lean.

Sachant que les standards dans le système lean sont définis selon les mêmes méthodes de décomposition des tâches comme dans le modèle taylorien mais localement avec le management de proximité et les opérateurs.

Le modèle Toyota ne se résume pas à un ensemble de principes et d’innovations organisationnelles. Il intègre un certain nombre d’innovations techniques et sociales.

Ces dernières visent à assurer la participation et l’implication des salariés dans l’atteinte des objectifs de l’entreprise, nécessaire à la mise en place des dispositifs organisationnels :

  • la diversification des activités de production, autrement dit pour les opérateurs une déspécialisation du travail et une réagrégation de certaines fonctions : diagnostic, maintenance, contrôle qualité à des postes d’opérateurs.
  • le développement des savoir faire et de la qualification des salariés dans les domaines de la maintenance, la qualité.
  • la rotation des tâches, la polyvalence et le développement du travail en équipes autonomes
  • le repositionnement du management de proximité sur la qualité par le traitement des anomalies et la mise en place d’une dynamique d’amélioration.
  • la recherche de l’implication des salariés dans les améliorations et la définition des standards (mise en place de rétributions...)

 A partir de cette approche du lean, il est du coup assez aisé de se rendre compte de ce qui se passe au quotidien dans nos services...

2.Le Lean par ses défenseurs...

 Les défenseurs du Lean n’y vont pas par quatre chemins. Mais tant mieux après tout, car ils nous montrent au moins  les questions à nous poser pour notre intervention :

 « Avec le recul, il ne faire guère de doute que le maintien d’une activité industrielle en Europe Occidentale requiert l’adoption du lean. Une telle démarche est la seule façon de compenser par des gains de productivité et de qualité les surcoûts salariaux ouest-européens. Plus subtilement (ah ah !), le lean permet de tirer parti de la qualité de la formation de la main d’oeuvre européenne - et française - en traduisant cette expertise en amélioration continue des processus de travail. » (in « Le Lean en France» , de Michael Ballé, ESG consultants et Godefroy Beauvallet, Télécom Paris).

 « Ce mode de management repose sur le développement des compétences des employés pour parvenir à fabriquer des produits de qualité supérieure. Il s’appuie sur deux piliers : la production « juste à temps » (takt time), c’est à dire les produits juste nécessaires, au moment nécessaire et en quantité nécessaire et le respect des hommes, soit un système de management dans lequel les employés peuvent développer pleinement leurs capacités par une participation active à l’organisation et l’amélioration des postes de travail » (in Le modèle Toyota en France, Michael Ballé, ESG Consultants et Télécom Paris et Godefroy Beauvallet, Télécom Paris) 

 Le système de production lui-même (TPS : Toyota Production System) s’accompagne d’une conception managériale explicite dont les principes fondamentaux sont le genchi genbutsu, challenge, kaizen, respect et travail d’équipe.

Le Genchi genbutsu, c’est la mise en oeuvre d’une méthodologie pragmatique qui commence par aller voir soi-même sur le terrain...(le manager quitte sa salle de réunion).

Le Challenge : résumé par les grandes paroles du président de Toyota : « Etre content du statu quo signifie que vous ne progresserez plus »... ou comme le répètent les experts : le principal problème est de penser que tout va bien.

Le Kaizen ou amélioration continue : contrairement aux solutions inhérentes à la production de masse et qui demandent des investissements conséquents, les solutions lean cherchent à maximiser les gains obtenus par l’amélioration continue en n’ayant recours à l’investissement qu’en cas d’absolue nécessité.

Le respect des personnes et l’esprit d’équipe : suppose la prise en compte des souhaits non seulement des clients et des employés, mais également des communautés locales et de la société en sens large... Bien sûr, rien que cette partie nécessiterait une étude plus approfondie de cette dimension à travers les exemples en France de Toyota, Peugeot, Renault, Valéo, Faurecia ou France Télécom... mais est-ce bien nécessaire ?  

L’objectif  déclaré (d’après les défenseurs du lean) est « de mettre en place un cercle vertueux de confiance mutuelle : le management  attend de l’employé d’accomplir ses tâches avec rigueur et en s’améliorant  en permanence ; réciproquement, l’entreprise démontre qu’elle restitue une part du bénéfice ainsi obtenu à ses employés. L’esprit d’équipe, pour sa part, signifie que toutes les fonctions de l’entreprise doivent travailler ensemble à la résolution des problèmes et au développement des collaborateurs »

  Voici à titre d’exemple, 3 vidéos mises en ligne par La Poste sur sa façon de voir les choses...

 Elan : Exemple de Metz

NordPPDC de Roubaix

Paroles de chantiers Elan

L’argumentaire sur l’extension du Lean dans les « Services » est similaire :                       « L’amélioration de la productivité dans les services est une question cruciale pour notre pays dans les années à venir. Dans ce contexte, il est urgent de formuler une vision d’un modèle efficace de service fondé simultanément sur la satisfaction des clients et la baisse des coûts opérationnels ». 

Retenons bien ces deux choses : « satisfaction des clients » et « baisse des coûts opérationnels »...  et relisons nos CDSP, powerpoint et autres supports de présentation des projets par La Poste... 

La Poste est aujourd’hui exactement à ce carrefour où les outils du lean ont été pour beaucoup mis en place alors que l’entreprise doit maintenant relever le défi de la généralisation de la méthode d’ici 2015. C’est ce que rappelle à titre d’exemple, un DE du 91 dans sa thèse  sur la « diffusion de l’innovation organisationnelle à La Poste » :

« Le lean se décline maintenant à tous les niveaux et sur tous les processus ; il est d’ailleurs devenu la référence au niveau industriel avec le Lean Production qui répond parfaitement aux problèmatiques de mécanisation postale. La philosophie intrinsèque du Lean vise à chercher à augmenter la valeur attendue par les clients au moindre coût.

La déclinaison de cette philosophie, en terme de management, fait maintenant l’objet d’une priorité stratégique du groupe La Poste pour 2013. Cette acculturation s’inspire d’ailleurs d’un management qui vise à se baser sur la qualité et les conditions de travail afin d’influer sur la performance au sens global. Cette transformation de l’organisation du management s’inspire pour beaucoup des 14 points de W. Edwards Deming (1950). »

Les 14 points de Deming

Ces recommandations s'adressent aux dirigeants

 Gardez le cap de votre mission en améliorant constamment les produits et les services. Le but d'une entreprise est de devenir compétitive, d'attirer des clients et de donner du travail.

 Adoptez la nouvelle philosophie. Nous sommes dans un nouvel âge économique. Les dirigeants occidentaux doivent s'informer de leurs nouvelles responsabilités et conduire le changement.

Faites en sorte que la qualité des produits ne demande qu'un minimum de contrôles et de vérifications. Intégrez la qualité au produit dès la conception.

 Abandonnez la règle des achats au plus bas prix. Cherchez plutôt à réduire le coût total. Réduisez au minimum le nombre de fournisseurs par article, en établissant avec eux des relations à long terme de loyauté et de confiance.

 Améliorez constamment tous les processus de planification, de production et de service, ce qui entraînera une réduction des coûts.

 Instituez une formation professionnelle permanente.

 Instituez le leadership, nouvelle manière pour chacun d'exercer son autorité. Le but du leadership est d'aider les hommes et les machines à mieux travailler. Révisez la façon de commander.

 Chassez la peur, afin que tout le monde puisse contribuer au succès de l'entreprise.

 Détruisez les barrières entre les services. Le travail dans un esprit d'équipe évitera que des problèmes apparaissent au cours de l'élaboration et de l'utilisation des produits.

 10 Supprimez les exhortations et les formules qui demandent aux employés d'atteindre le  zéro défaut pour augmenter la productivité. Elles ne font que créer des situations conflictuelles.

 11 Supprimez les quotas de production, ainsi que toutes les formes de management par objectifs. Ces méthodes seront remplacées par le leadership.

 12 Supprimez les obstacles qui empêchent les employés, les ingénieurs et les cadres d'être fiers de leur travail, ce qui implique l'abolition du salaire au mérite et du management par objectifs.

 13 Instituez un programme énergique d'éducation et d'amélioration personnelle

 14 Mobilisez tout le personnel de l'entreprise pour accomplir la transformation.

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