d) Lean et Grand Dialogue ? Des doutes...
Nous venons de le voir, le travail sur le Lean a débuté bien avant la période ouverte par le Grand Dialogue... La Poste, dans une note de sens publiée sur sa DistriBox (mais visiblement retirée depuis suite à l’intervention de la CFDT !), y faisait d’ailleurs un lien direct
« La note de sens Elan, publiée sur l’intranet distri’box, ne convient pas à la Cfdt. D’abord sur la forme, cette note n’a aucun statut. Ce n’est pas une note chartée ni référencée, elle n’est pas datée ni signée du Directeur Général, ce n’est pas un texte ayant une valeur contractuelle ou réglementaire. Elle a de jolies couleurs, mais elle manque un peu de modestie en prétendant être une réponse au Grand Dialogue (alors que la synthèse n’est pas encore connue) et elle comporte une forte dimension mystique, comme un acte de foi.
La Cfdt a souligné que dans les nouveaux risques qui guettent le monde de l’entreprise, il y a la dérive sectaire, et la dérive mafieuse. Si nous n’en sommes pas là bien sûr, il est de la vigilance de tous de s’assurer que langage commun n’emploie pas de nouvelles irrationalités, qui par accoutumance ouvriraient la voie à des dérives sectaires pour les personnes les plus fragiles.
Madame Llobères a excusé l’enthousiasme de ses auteurs. Elle a convenu du risque et du caractère inapproprié de cette note, et a proposé son retrait de l’intranet.» (voir le blogspot de la CFDT)
Une réponse au grand dialogue ??? (qui plus est avant la publication du rapport de synthèse !). Cela ne figure pourtant pas ni dans le Rapport Kaspar, ni dans les accords Qualité de Vie au Travail présenté par La Poste depuis...
Dans son tract Elan n°11, la CFDT va plus loin à ce sujet :
« Pour la Direction, la démarche Elan correspond bien aux priorités définies par la commission Kaspar. La directrice rappelle que le Directeur Industriel a demandé de dissocier les chantiers Elan et la recherche de productivité »... Et ce paragraphe hallucinant (de naïveté ?) : « Plusieurs consultants sont confrontés à des questionnements de salariés, qui comprennent bien que ce n’est pas l’objectif d’Elan de supprimer des emplois, mais qui savent qu’après avoir fait des améliorations il va forcément apparaître des sureffectifs. Et la baisse de trafic et l’absence de perspectives d’activité nouvelles créent donc chez eux de l’inquiétude. En fait personne n’est dupe, c’est dommage que La Poste feigne toujours de l’ignorer »... (et la CFDT un peu aussi quand même !).
On pourrait pousser la paranoïa un peu plus loin. Jim Womack, grand prêtre du Lean (Lean Enterprise Institute), propose ainsi une expérience à mettre en oeuvre dans son « Retour au boulot» :
« Expérience n° 1 : décidons d’un moratoire sur l’introduction de nouveaux outils jusqu’à ce que nous soyons capables de créer un contexte managérial propice à la mise en oeuvre de chaque outil. C’est une expérience facile à mettre en oeuvre. »
D’ici à ce que La Poste se soit servie d’un tel moratoire pour pouvoir développer dès septembre son grand projet de professionnalisation-territorialisation-décentralisation au courrier...
e) Le Rapport Kaspar ? Aveugle ou complice ?
Dans ses remerciements, Kaspar appelle à « jeter les bases d’une refondation des pratiques de gestion, managériales et sociales ». Tout cela dans une parfaite ambiance de collaborationnisme social, « la balle (n’étant) pas d’un côté ou de l’autre ». Et de conclure que cela doit se faire en « associant largement le personnel et ses représentants, en faisant l’apprentissage d’une démarche de co-construction, en faisant le pari de l’intelligence individuelle et collective ».
Dans son introduction, il présente, sans la nommer, la généralisation du Lean comme étant un facteur de « l’affaiblissement global des collectifs de travail et de la désorientation des salariés » : « C’est le double processus caractérisé par la restructuration quasi-permanente des activités industrielles et la montée en puissance d’une économie de service mondialisée et hyperconcurrentielle, pilotée par les multiples exigences du client »... « Emergence d’un nouveau paradigme, celui de la réorganisation permanente, de la réactivité et de la flexibilité » avec en parallèle « un renouvellement des modes de management ». Ces évolutions étant jugées comme ayant quelques corollaires bien connus : « l’individualisation des tâches et de l’évaluation, la polyvalence, le «juste-à-temps», le temps partiel, la mobilité géographique, l’externalisation... ».
Kaspar continue sur ce qu’il appelle un paradigme...
Définition du « paradigme » : Un paradigme est une représentation du monde, une manière de voir les choses, un modèle cohérent de vision du monde qui repose sur une base définie (matrice disciplinaire, modèle théorique ou courant de pensée). C'est une forme de rail de la pensée dont les lois ne doivent pas être confondues avec celles d'un autre paradigme et qui, le cas échéant, peuvent aussi faire obstacle à l’introduction de nouvelles solutions mieux adaptées.
Kaspar : « Ce nouveau paradigme vient non seulement modifier le contenu du travail et le rythme des activités mais aussi remettre en cause les modes traditionnels de reconnaissance, le fonctionnement habituel des équipes et la conception classique du management »... « Car les mutations et contradictions que nous venons de mentionner, bien documentées par la littérature scientifique, peuvent favoriser l’apparition de ce que l’on désigne sous l’expression générique de « troubles psycho-sociaux » : stress, anxiété, dépression, burn-out, voire suicides sur le lieu de travail ».
Il est tout de même tout à fait étrange que la commission Kaspar se soit plus attachée aux conséquences... qu’aux causes :
« Ces données présentent un paradoxe : alors même que les conditions physiques du travail s’améliorent, l’état physique et psychique des agents semble se dégrader. Plusieurs hypothèses explicatives, pas nécessairement exclusives les unes des autres, peuvent être formulées : l’effet mécanique du vieillissement, l’intensification des cadences rendue possible par les nouveaux matériels, le rythme du changement qui entraîne des souffrances psychiques, les situations de reclassement (voire de déclassement) qui favorisent des états dépressifs. Faute d’informations plus précises, ces hypothèses constituent un programme de travail plus qu’une réponse... C’est bien dommage !!! Car il semblait que cela pouvait être la base même de ce travail !
Pas grave ! M. Kaspar va offrir à La Poste les moyens d’aller bien au-delà de ce qu’elle a su faire jusqu’à maintenant en matière de décentralisation, de professionnalisation.. et finalement de généralisation du Lean Management à tous les étages !!! D’ailleurs comment ne pas noter l’extrême réactivité de La Poste à ce rapport (septembre 2012), capable donc de sortir ses premiers textes sur la Décentralisation en octobre, puis dans la foulée d’imposer sur tout le territoire sa « professionnalisation des managers », tout en mettant ELAN (au courrier) sur un rythme de croisière ?
« Que le chemin soit difficile ne signifie pas qu’il faille se contenter d’un fonctionnement imparfait. Au delà des obstacles naturels certains autres facteurs doivent être pris en compte, pour lesquels de nouveaux progrès peuvent être envisagés.
Il convient d’abord de souligner que la décentralisation est loin d’être parfaite. Le centre de gravité des processus de décisions managériaux reste le NOD, c’est à dire le niveau intermédiaire entre le siège et le terrain. C’est à ce niveau en particulier qu’est exercé l’essentiel des pouvoirs réglementaires de gestion RH et que se concentre une bonne part du dialogue social. Le risque est de développer des « bureaucraties intermédiaires », qui peuvent dans certains cas créer plus de problèmes qu’elles n’apportent de solution et de support aux opérationnels.
Se pose clairement la question, alors, d’une nouvelle étape à franchir, décentralisant cette fois plus clairement et plus complètement des responsabilités et les moyens de gestion aux établissements. Cette question n’est certes pas facile (l’entreprise est vaste, et les établissements de taille très variable) mais doit incontestablement être posée et instruite..»
Mais non ! M. Kaspar... pour La Poste rien n’est difficile ! Dès le mois d’octobre, la Poste publiait son numéro 1 de la Décentralisation... Dès le 23 novembre, une note AGIR propose la modification des délégations de pouvoirs données aux DE... et dans toutes les DOTC un projet de professionnalisation des managers était présenté aux organisations syndicales (ici l’Essonne). Comment être plus réactif ??? si ce n’est qu’en... co-construisant le rapport Kaspar ?
Même empressement côté RH (voir également le projet de professionnalisation)...
Une des deux grandes tendances « à souligner » pour Kaspar est la suivante :
« La première est due à l’évolution déjà évoquée des modalités de modernisation industrielle de l’entreprise. Celle-ci étant moins liée à de grands projets nationaux est placée plus directement et plus complètement sous la responsabilité des managers opérationnels de terrain. Désormais, la conduite du changement est moins l’affaire de protocoles définis et négociés dans le cadre de grands programmes mais est plus librement pilotée par les managers, dont l’autonomie devient de ce fait beaucoup plus large. La présence auprès de professionnels RH formés à la conduite du changement dans toutes ses dimensions et en particulier dans ses dimensions sociales et humaines devient dans ce contexte un impératif absolu. » « Le renforcement d’une fonction RH de proximité apparaît donc constituer un des enjeux forts de la période à venir ». Encore une fois.. aussitôt dit.. aussitôt fait !
Sur la conduite du changement, Kaspar fait finalement le constat que l’utilisation partielle du Lean Management conduit à une impasse, ce qui est généralement le constat fait par les spécialistes du Lean lorsqu’une entreprise se plante en ne voulant faire que de la productivité à court terme sans prendre en compte les autres principes fondateurs du Lean... Finalement, Kaspar serait presque le Monsieur Jourdain de Molière pour le Lean ! « Par ma foi ! Il y a plus de 40 ans que je dis de la prose sans que j’en susse rien, et je vous suis le plus obligé du monde de m’avoir appris cela »...
Ainsi, notre Jourdain postal déclare :
« Comme beaucoup d’entreprises de services soumises à une forte concurrence et aux effets difficilement prévisibles de la révolution numérique, La Poste doit devenir une entreprise en adaptation permanente. Plutôt que de chercher à nier cette réalité, consubstantielle aux marchés contemporains, il conviendrait sans doute, pour pallier les effets négatifs de cette situation, d’aider les agents à affronter dans de bonnes conditions cette évolution continue de l’activité.
Pour retrouver une assise dans un monde mouvant, il est sans doute inutile de rêver d’un monde stable : il vaut mieux apprendre à trouver son équilibre par un mouvement qui réponde aux mouvements du monde. Sous la forme de l’injonction cynique ou du voeu pieux, cette affirmation pourrait faire, à bon droit, figure de provocation.... » OLÉ !
Mais Kaspar n’est pas mort ! Non ! Kaspar vit encore et on apprend même au détour d’une obscure « newsletter » du ......... (communication Impossible ici) qu’il est désormais missionné par Bailly pour suivre esprit et mise en oeuvre de la dynamique de son rapport, mais pas dans un rôle de contrôle (!!!!).
C’est lors du .......... (désolé ! communication impossible ici) qu’il déclare :
« Nous devons tous faire une révolution culturelle
- Progresser dans la stratégie de mise en oeuvre de coopération
Au plus proche des managers de proximité
- Progresser sur la question du management : management de proximité (maillon à conforter), en première ligne sur tous les sujets
- Sortir la tête du guidon, prendre du recul pour faire autrement, expérimenter de nouvelles méthodes.
- Passer d’un processus ou chacun veut convaincre l’autre du bien fondé de ses convictions (organisations syndicales - directions) à un apprentissage de la co-construction : la conviction est importante mais ne suffit plus pour conduire le changement positivement !
Cette méthode de conduite du changement n’est pas révolutionnaire, elle insiste sur le partage avec les OS et les agents. Le formalisme d’écoute doit être auditable, elle cadence et donc elle demande plus de temps. »
Y’a-t-il vraiment besoin d’une conclusion après cela ?? Si ce n’est pour dire que le Grand Dialogue, la commission Kaspar et Kaspar lui-même sont parfaitement intégrés dans la stratégie globale de La Poste à l’horizon 2015 !
Allez une dernière pierre à cet édifice du cynisme... le 7 février 2013, le Memoscope publiait un « Bulletin La Poste » présentant une décision (275-23 du 1er Octobre 2012) portant création de la direction de la qualité de vie au travail, de la direction de l’innovation managériale et du développement du management et de la direction de l’innovation sociétale.
Encore une preuve de l’immense capacité de réaction de notre entreprise... ou un élément de plus prouvant la complicité objective de Kaspar et de la Direction de La Poste ?
f) Une stratégie au service de l’Homme ?
Lorsqu’on lit les documents de La Poste sans recul ou sans analyse, il peut « sembler » que la dimension humaine y tienne une place très importante. Bailly pousse le vice jusqu’à parler de « modèle social ».
Quitte à faire de la peine aux tenants des contes de fée en entreprise, il faut bien se rendre compte que l’utilisation de certains termes, mais plus encore, le développement d’une certaine politique tient beaucoup plus du cynisme que de la philanthropie !
Par exemple, ce fameux « modèle social » qui s’appuie sur le CDI .. Très bien dira-t-on ! Oui très bien... sauf que (on l’a déjà vu dans la définition du Lean), la « stabilisation des conditions d’emploi » est un des piliers du modèle Toyota... Si on veut tirer un maximum de substance du jus de cerveau via les Kaisen, il faut au moins que le personnel pense qu’il a un avenir dans l’entreprise ! Cette stabilisation nécessaire des conditions d’emploi amène aussi les Sensei à expliquer à leurs clients que la Réduction des Coûts en Lean ne peut se faire du jour au lendemain, sans prendre le risque de couper la branche sur laquelle l’entreprise est « assise ». Dans certains cas, même, la solution passe par une augmentation des « stocks » pour satisfaire le client avant de se poser la question de la réduction de ces mêmes stocks une fois l’alerte passée...
Bien sûr au royaume des aveugles le borgne est roi ! Ainsi, on retrouve dans l’obscur congrès du ..... (communication impossible ici, désolé), la prise en compte dans les CAP 2013 des engagements du Président Bailly : « pour la première fois, le personnel n’a pas été une variable d’ajustement, cette variable a été un input pour le rythme de la productivité. Le programme d’investissement est revu et le CA en plus.... ».
Oui ! Encore que, il faudrait faire le tour des CAP 2013 pour être sûr de cette affirmation... Le Lean est encore loin d’être gagné à La Poste, et certains directeurs préfèrent tenir que courir et prendre leurs gains de productivités tout de suite.. et faire le lean après ! Toujours est-il qu’en tout cas, cette mesure n’est pas là pour faire plaisir... mais tout simplement pour prendre le temps de l’évaluation... avant la sanction ! La professionnalisation-territorialisation-décentralisation n’en est qu’à son début...
Pour être bien sûr que le mot « cynisme » soit correctement entendu, nous pouvons citer ce cas possible de « quick-wins » (gains de productivité rapides) :
« Dans l’assemblage, il n’est pas rare qu’une réorganisation des postes de travail libère 20 à 30 % de la ressource humaine... comme la plupart des entreprises travaillent avec un fort volant d’intérimaires, ces gains de productivité peuvent se faire rapidement sans trop de heurts (attention toutefois à bien communiquer et bien traiter les personnes pour ne pas endommager les rapports de confiance entre management et opérateurs qu’il faut développer pour les améliorations futures)»
Si ça, c’est pas du cynisme.. c’est quoi alors ?
g) Organisation de la filière Lean à La Poste.
Dans son tract Elan N° 8, la CFDT annonce encore la couleur :
« Pour la CFDT, les consultants et responsables de zone vont être soumis à des contradictions fortes, en déployant le lean management, tout en dissimulant les caractéristiques pour ne pas être pris en défaut par les syndicats, ou l’inspection du travail ou les tribunaux... Ce qui est caractéristique de situations à risque pouvant entraîner des RPS. »... Admirez au passage le « pour ne pas être pris en défaut par les syndicats », la CFDT ne semblant donc pas concernée par cette phrase !
Parce que dans le même temps la CFDT l’affirme (compte rendu de l’audience CFDT Elan du 17 avril 2012) :
« La CFDT a précisé que les consultants élan sont des agents heureux, contents de faire ce qu’ils font, et d’apprendre. Ils ont envie d’apporter leur savoir faire et le meilleur d’eux-mêmes auprès des services et des collègues qu’ils vont accompagner. La CFDT s’est expliquée de sa démarche syndicale qui n’est pas une démarche de recherche de conflit ni d’opposition interne à la démarche Elan, mais une démarche d’amélioration et de contribution pour une organisation apprenante. »
Nous disposons au moins de l’organigramme complet de l’Equipe Elan