MA RÉPONSE À UN AMI SUR L'ACTE XII DES GILETS JAUNES A BORDEAUX
Cher ami,
Je me suis jusqu'à présent gardé de commenter vos publications Facebook sur les manifestations des #GiletsJaunes par respect d'une part, pour la liberté de vos opinions, et par stupéfaction d'autre part, pour l'analyse que vous en faîtes, post après post, a tel point que je me suis souvent dis qu'il doit s'agir d'une forme d'ironie dont vous avez le secret et qui m'échappe, et non la pensée profonde d'un homme respectable comme vous.
Mais je dois avouer que votre dernière contribution pour commenter l'Acte XII de la manif des #GJ qui s'est déroulée hier à Bordeaux m'a fait sortir de ma réserve, quand vous écrivez que : << La ville prend peu à peu des allures d'Alep >> ou <<
C'est vrai, la vie est difficile pour beaucoup. Et sans doute, nous mêmes, représentons nous une classe sociale de nantis, insupportable pour ceux qui manifestent, une classe qui doit être a tout pris, éliminée pour que le bonheur revienne.>>
En effet, j'ai été profondément choqué par cette comparaison horrible que vous établissez sans sourcier, entre le martyre d'un peuple enterré vivant sous les décombres d'une ville brisée par le déluge des bombes lâchées par l'armée d'un dictateur qu'il a osé défier pour réclamer sa liberté, et les dégradations de quelques rues et vitrines du centre ville de Bordeaux, survenues suite au 12ème week-end consécutif de mobilisation des #GJ pour revendiquer l'instauration d'une véritable justice sociale afin de mettre fin aux inégalités qui divisent la France.
Et vous poursuivez plus loin, pour porter l'estocade finale, en réduisant la révolte du peuple qu'incarne le combat des #GJ à la seule volonté "d'éliminer" la "classe des nantis", classe à laquelle vous vous identifiez.
Pas un mot pour la souffrance de ceux qui bientôt depuis trois mois, de façon inédite, crient leur colère sur les ronds-points ou dans les cortèges des manifestations qui déferlent tous les samedis après-midi dans les rues de France pour interpeller le pouvoir sur leur détresse, et qui comptent dans leurs rangs beaucoup de retraités qui n'arrivent pas à boucler leur fin de mois, de femmes seules avec des enfants à charge sans ressources, des travailleurs précaires qui n'arrivent pas à s'en sortir avec ce qu'ils gagnent, des jeunes inquiets pour leur avenir, pas un mot pour ce peuple qui souffre.
Pas un mot également pour les plus de trois cent blessés, mutilés, avec des mains arrachées, des jambes fauchées par les grenades de désencerclement, des visages gazés par les bombes lacrymogènes, des yeux crevés par des tirs de LBD 40 régulièrement utilisés par les forces de l'ordre, et fidèlement documentés par le journaliste #DavidDufresne qui s'en sert pour interpeller le Ministère de l'Intérieur sur cet usage disproportionné de la force contre des citoyens qui manifestent pour revendiquer leurs droits dans une vieille démocratie comme la France.
Pas un mot pour les milliers d'arrestations, de garde à vue et de condamnations fermes pouvant aller parfois jusqu'à plus de six mois de prison, pour des manifestants qui réclament seulement une vraie justice sociale et l'instauration d'une véritable démocratie participative à travers l'inscription dans la loi fondamentale du pays de la possibilité du recours au référendum d'initiative citoyenne (R.I.C.), pour permettre aux citoyens d'avoir une prise sur les décisions et orientations qui engagent le pays et qui sont aujourd'hui le monopole du pouvoir.
Pas un mot sur la Loi Anti-Casseurs qui vient d'être votée à la hâte cette semaine par un Parlement aux ordres de l'Exécutif, dans le but de dissuader les citoyens de faire usage de leur droit constitutionnel de manifestation contre un ordre injuste, dans l'espoir d'affaiblir le mouvement des #GJ que le pouvoir n'arrive pas à circonscrire, et qui a fait dire au député UDI, Charles de Courson, lors des débats dans l'hémicycle, que l'adoption de cette loi s'apparenterait "à un retour au régime de Vichy".
Enfin, pas un mot pour la dizaine de personnes mortes au cours de ces douze semaines de manifestation des #GJ dans tout le pays, même pas pour l'octogénaire Zineb Redouane, décédée suite à un tir de grenade lacrymogène reçu en plein visage à Marseille.
Vos mots, votre solidarité, votre compassion, vous les avez semaine après semaine, adressés aux vôtres, le "clan des nantis", à leurs intérêts menacés, au patrimoine de Bordeaux en danger, à la tranquillité des touristes dérangée, au bonheur paisible des bourgeois perturbé, à l'ordre régnant remis en cause par une horde de gueux unis dans le port d'un gilet jaune de très mauvais goût que les riches ne daignent porter que quand chose rarissime, ils tombent en panne sur le bord de la route.
J'avoue que j'ai du mal à vous reconnaître dans ce portrait, notamment quand je pense à la charité chrétienne qui vous anime et à travers laquelle vous avez accueilli sous votre toît tant de jeunes gens issus de l'Afrique venus faire leurs études en France, continent dont vous déplorez régulièrement le pillage et l'exploitation des richesses par l'Occident, pillage qui entraîne des guerres, des massacres, des famines et de la misère, ainsi que des exils qui nourrissent les filières de l'immigration et ses drames, toutes choses que vous déplorez souvent dans vos publications.
Oui, j'ai en effet du mal à unir vos deux positions dans la même personne, et surtout à trouver une logique dans l'expression admirable de votre solidarité envers les africains, exploités par l'Occident avec la bénédiction de leurs dictateurs, quand vous refusez cette même solidarité à vos concitoyens en lutte contre un ordre injuste qui se déroule sous vos yeux.
D'où mon choix de clôturer cette réflexion sur le mystère de votre position sur le combat des #GJ par cette phrase du Pasteur Martin Luther- King qui à mon avis, la résume assez bien.
<< A la fin, nous nous souviendrons non pas des mots de nos ennemis, mais des silences de nos amis. >>
Avec affection, espoir et détermination
AbdouRahmane