LE PIEGE DE LA FRACTURE
I/ Mis bout à bout sur un très laps de temps (moins d’un mois) :
1) La mort d’Adama Traoré qui rappelle la longue liste des victimes des « bavures » policières issues souvent de la communauté musulmane,
2) L’interdiction de la journée burkini,
3) Les attaques islamophobes contre des mosquées,
4) La proposition par François Hollande de Jean-Pierre Chevenèment pour diriger la Fondation des Œuvres de l’Islam de France,
5) Le traitement du cas de Moussa, humanitaire français de confession musulmane, emprisonné pendant plus de 70 jours au Bengladesh dans l’indifférence totale du Gouvernement,
6) Les différentes lois et projets de loi pour encadrer l’islam et les musulmans,
7) L’islamophobie assumée et décomplexée d’une partie de la classe politique,
8) La couverture médiatique de l’actualité concernant l’islam et les musulmans,
II/ S’ajoutent à cela :
9) Les discriminations à l’emploi et au logement dont sont victimes les musulmans au quotidien,
10) Les ravages de l’échec scolaire et du chômage dans les quartiers populaires,
11) La destruction d’un certain nombre de pays musulmans suite aux interventions militaires des pays occidentaux,
III/ Sans oublier :
12) La logique du deux poids deux mesures pratiqués par les pays occidentaux dans le conflit israélo-palestinien, la France y compris ou « et surtout » la France,
13) Etc.
Sans être exhaustive, cette liste des différentes injustices, vexations, humiliations et stigmatisations qui ont cours dans la République à l’endroit des citoyens français de confession musulmane représente une véritable menace pour notre vivre ensemble.
MONTESQUIEU (1689-1755) disait :
" IL N’Y A POINT DE PLUS CRUELLE TYRANNIE QUE CELLE QUE L’ON EXERCE A L’OMBRE DES LOIS ET AVEC LES COULEURS DE LA JUSTICE "
« Considérations sur les causes de la grandeur des Romains »
C’est face au danger de cette menace que j’ai lancé la semaine dernière un appel « au réveil de la conscience citoyenne » pour lutter contre la banalisation de l’islamophobie, du racisme et de toute forme d’exclusion dans notre société afin de préserver ses valeurs fondamentales de Liberté, Egalité et Fraternité.
Ce cordon sanitaire citoyen est de mon point de vue une nécessité vitale pour protéger et préserver notre vivre ensemble et éviter le choc des communautés quand ce n’est pas le choc des civilisations auquel certains nous prédestinent.
D’aucuns s’étonnent de voir tant de jeunes français de confession musulmane, éduqués dans l’école de la République, basculer dans l’extrémisme et la violence terroriste à travers lesquels ils s’en prennent à la France.
Loin de moi l’idée d’apporter une justification aux actes barbares avec lesquels ces personnes ensanglantent depuis le 7 janvier 2015 notre pays, causant la perte de vies innocentes et brisant l’élan de beaucoup d’autres, mais il nous faut faire usage de discernement et de sagesse pour comprendre les ressorts psychologiques qui entraînent ces jeunes (une petite minorité parmi la jeunesse française de confession musulmane, rappelons le) dans la trajectoire suicidaire du terrorisme.
Une telle démarche dans l’analyse nous paraît indispensable pour éviter de tomber dans le piège de la théorie « de guerre de civilisation » qui opposerait la France à cet islam « incompatible avec les valeurs de la République ».
Il nous faut comprendre ce mécanisme de basculement dans l’extrémisme et la violence de la part d’une partie de ces jeunes, n’en déplaise au 1er Ministre, Manuel Valls qui rejette catégoriquement cette démarche, car pour lui « essayer de comprendre, c’est excuser ».
En effet, sans cette compréhension nécessaire des causes de cette désaffection qui se transforme en haine chez certains jeunes, la lutte contre le terrorisme risque de se transformer en slogan publicitaire qu’on affichera notamment en période pré-électorale, mais qui ne pourra pas anticiper de façon opportune le moment où un jeune va basculer dans l’extrémisme et la radicalisation.
C’est ce que François Burgat, directeur de recherche CNRS à l’IREMAM (Institut de recherches et d’études sur le monde arabe et musulman) a essayé de mettre en évidence dans l’excellente interview qu’il a accordé à Médiapart le 27 juillet, deux semaines après l’attentat de Nice.
Il y déclare : « S’il est le fruit d’un passage à l’acte solitaire, sur une toile de fond d’échec individuel, le passage à la violence s’inscrit néanmoins, à Nice comme ailleurs, dans une dynamique de “globalisation du ressentiment” qui demeure pour moi éminemment politique »
C’est sur les germes de cette « globalisation du ressentiment » que nous avons voulu attirer l’attention avec les éléments de notre « liste » qui montre des exemples d’atteintes au droit et à la dignité que les musulmans subissent aujourd’hui en France.
Oui nous sommes d’accord avec cette idée que défend François Burgat, l’accumulation des sentiments de domination, d’exclusion, de stigmatisation et humiliation peut constituer pour des jeunes en échec individuel, l’élément déclencheur de leur radicalisation et de leur passage à l’acte, concomitamment au sentiment d’injustice né de la destruction de plusieurs pays musulmans provoquée par les interventions militaires des pays occidentaux et à l’émergence de Daech.
D’où l’importance de notre appel « au réveil de la conscience citoyenne », qui si il s’exprime avec force en chacun d’entre nous indépendamment de nos origines, de nos confessions et de nos ancrages politiques, servira de protection à la société contre la folie destructrice de ceux qui ne croient plus en eux-mêmes et qui se sentent exclus et rejetés par le système, et il servira également de protection pour ces derniers contre leur renoncement à croire au pacte républicain.
C’est sur le renoncement aux valeurs du pacte républicain que prospèrent aujourd’hui dans une impunité effrayante, l’islamophobie, la haine anti musulmans et les discours les plus racistes qu’on pensait appartenir à un autre temps.
Là où les musulmans ont besoin du soutien de la République et de ses piliers fondamentaux que sont la Liberté, l’Egalité, la Fraternité et l’application d’une laïcité égalitaire entre toutes les confessions, on leur oppose les valeurs de la République et une défense de la laïcité qu’ils mettraient en péril du fait d’être musulmans.
A ce sujet, une fois de plus, l’éclairage de François Burgat apporte un soutien de taille à notre analyse, il déclare : « Pour recoudre les déchirures latentes du tissu politique national meurtri, pour réduire le mal-être de centaines de milliers de citoyens de confession musulmane, il aurait fallu, plus que jamais, y appliquer du baume de confiance et de reconnaissance. À l’opposé, Valls et son logiciel électoraliste y ont versé l’acide d’un surcroît de stigmatisation et de suspicion. Avec les dégâts causés par l’usage des facilités inhérentes à l’état d’urgence (3 000 irruptions violentes dans les intimités de citoyens totalement innocents pour… un nombre infime d’affaires transmises à la justice), il n’est pas impensable que, pour un djihadiste arrêté, une telle méthode ait contribué à nourrir dix fois plus de nouvelles vocations… »
Face à ce constat accablant, nous disons qu’il est urgent pour tout un chacun de se ressaisir et de prendre ses responsabilités de citoyen pour d’une part, interpeller nos élus au niveau local et national sur ce danger qui menace notre vivre ensemble, et exiger d’eux des actions concrètes pour le préserver et non des mots, et d’autre part, nous engager individuellement et collectivement dans des rencontres, des dialogues constructifs, des actions pédagogiques auprès des enfants, des jeunes et des adultes pour éduquer les uns et les autres au respect, à la tolérance, à la paix, à la fraternité.
Quant aux citoyens français de confession musulmane, je nous fais cette mise en garde, que cette épreuve ne nous pousse pas à nous replier sur nous-mêmes car c’est le résultat qu’escomptent ceux qui nous agressent pour pouvoir par la suite crier au communautarisme contre nous, des vrais pervers !
Ne tombons pas non plus dans la posture victimaire sclérosante qui paralyse et empêche la pensée constructive dont nous avons tant besoin, ne nous divisons pas en « musulmans modérés contre les musulmans radicaux », « les progressistes contre les salafistes », travaillons à l’union de notre communauté dans le respect de nos différences d’opinions, mettons en avant l’intérêt général au détriment de nos intérêts particuliers égoïstes, œuvrons pour promouvoir le bien, nous serons utiles à l’ensemble de la nation.
A propos de la nation, et je concluerai par ça, méfions nous du piège que nous tend nos ennemies à ce sujet. En effet, leur véritable objectif se dissimule derrière cet enjeu essentiel pour eux, à savoir nous en exclure. Toutes leurs attaques, discriminations et autres manipulations de la loi ( on les entend beaucoup ces deniers temps invoquer l’adoption de nouvelles lois pour mieux nous contrôler et nous domestiquer) ne visent que cet objectif suprême de faire la démonstration que « notre religion, et donc nous, ne sommes pas compatibles avec les valeurs de la République » et que par conséquent nous ne pouvons pas faire partie de la nation française.
Ne tombons pas dans leur piège avec des réactions émotionnelles et ne cédons pas à la tentation de la fracture que ces vendeurs de haine veulent provoquer entre nous et la nation française.
Avec affection, espoir et détermination.
RIDOUANE Abdourahmane
Président du Rassemblement des Musulmans de Pessac
(R.M.P)