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Billet de blog 30 novembre 2018

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LE PRIX DES DROITS DE L'HOMME DE LA CNCDH ACCORDE AUX ASCN, OUI MAIS A QUEL PRIX ?

Si bien entendu, les dirigeants africains et leurs peuples ont leur part de responsabilité dans la faillite de leurs pays, l'ingérence française dans leurs affaires y a joué un rôle déterminant, et continue de fragiliser les tentatives courageuses des acteurs politiques et de la société civile qui essayent de préserver les maigres acquis de la démocratie issus des luttes de la décennie 90.

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LE PRIX DES DROITS DE L'HOMME DE LA CNCDH FRANÇAISE ACCORDE AUX ASCN, OUI MAIS A QUEL PRIX ?

Nous apprenons via la #PageSamiraSabou sur Facebook, que la CNCDH (Commission Nationale Consultative des Droits de l'Homme) en France, a décidé d'honorer cette année les défenseurs des droits de l'homme à l'occasion des 70 ans de la Déclaration Universelle des Droits de l'homme, et des 20 ans de la Déclaration des Nations Unies sur la Situation des défenseurs des Droits de l'Homme.

Quelle ne fût notre surprise d'apprendre que figure parmi les lauréats, le mouvement TLP (Tournons La Page) animé par son coordonnateur, Maikoul Zodi, et à travers lui, l'ensemble des acteurs de la société civile nigérienne (ASCN), qui luttent depuis l’avènement du régime de la (Dégénérescence)/Renaissance de Mahamadou Issoufou pour le rétablissement de la démocratie et le respect de l'Etat de droit au Niger !

Non pas parce que nous pensons que les ASCN ne méritent pas ce prix ou n'en sont pas dignes, bien au contraire, mais notre surprise est provoquée par l'hypocrisie de la stratégie politique de la France vis à vis du Niger et des pays africains en général, en matière de droits de l'homme et de respect des règles et principes de la démocratie, hypocrisie qui ne date pas d'aujourd'hui.

Pour l'histoire, voilà en effet, un pays la France, qui grâce à l'habilité politique de son ancien président, le socialiste François Mitterrand, aidé de ses "sous-préfets locaux" sur le continent, a su déjouer et faire avorter le " Printemps Africain " des anciennes colonies françaises d'Afrique de l'Ouest, qui à la fin des années 80, profitant de la faille creusée par la chute du mur de Berlin et le vent de démocratie qu'elle a soulevé, voulurent s'affranchir à leur tour de la tutelle française en brisant les chaînes de l'hégémonie et de la dictature des partis uniques installés depuis les indépendances à leurs têtes et soutenus par la France.

Le Président Mitterrand, en vieux renard politique, sentant le vent tourné sous la pression de la multiplication des manifestations de protestations et de revendications de la fin du système des partis uniques, conduites par les syndicats et les étudiants soutenus par les populations, et qui partout en Afrique, jalonnaient son "pré-carré", décida de subordonner désormais la poursuite de la coopération française avec ces Etats, à la mise en place en leur sein, d'une politique de "bonne gouvernance" que devraient conduire dorénavant leurs dirigeants, et il fît cette annonce à l'occasion du 16e sommet des chefs d'Etat de France et d'Afrique, organisé le 20 juin 1990 à la Baule en Normandie, que les "experts en analyse politique", considèrent depuis comme l'acte de naissance de la démocratie dans le pré-carré français en Afrique.

Cependant, malgré cette opération de "toilettage démocratique" imposée à ces valets africains dans le but de leur éviter la déchéance de pouvoir à laquelle ils étaient promis face à la colère des peuples au Niger, au Mali, au Bénin, au Togo, au Cameroun, au Gabon et ailleurs sur le continent, la France ne cessa jamais d'interférer au gré de ses intérêts dans le processus de démocratisation en cours en Afrique, instaurant ou soutenant ici un dictateur, détrônant là via un coup d'Etat ou un assassinat tel dirigeant gênant, peu docile ou nationaliste, validant ou invalidant là ou bon lui semble tel scrutin électoral pour favoriser un camp sur un autre, toujours en vertu de la défense de ses intérêts à préserver, au détriment des droits de l'homme, de la liberté des peuples et des principes de la démocratie sacrifiés sur l'autel de l'impérialisme français.

Si bien entendu, les dirigeants africains et leurs peuples ont leur part de responsabilité dans la faillite de leurs pays, l'ingérence française dans leurs affaires y a joué un rôle déterminant, et continue de fragiliser les tentatives courageuses des acteurs politiques et de la société civile qui malgré le contexte,essayent de préserver les maigres acquis de la démocratie obtenus après de longues et âpres luttes menées depuis le début de la décennie 90.

Les effets de cette ingérence sont visibles partout dans le pré-carré français en Afrique, de la Côte d'Ivoire au Mali, à la Centrafrique, au Gabon, au Togo, au Burkina, au Cameroun, au Tchad et particulièrement au Niger, où le président français, Emmanuel Macron, a délivré lors d'une visite en décembre 2017, un quitus au dictateur en place, Mahamadou Issoufou, en l'érigeant en "modèle pour la démocratie", malgré son bilan lourd pour les libertés individuelles, celles de l'opposition, des journalistes et des médias, des acteurs de la société civile, auquel s'ajoute celui tout aussi catastrophique de la corruption endémique qui a ruiné le pays et paralyser son fonctionnement comme l'a souligné le récent rapport de la Banque Mondiale sur la situation économique du pays, justifiant auprès de cette institution l'éternel rang de dernier de la classe de notre pays au classement mondial des nations à l'IDH (Indice de Développement Humain) du PNUD.

Ainsi, c'est réellement une véritable ironie de voir la CNCDH en France, même si nous ne doutons pas de l'excellent travail qu'elle mène pour la défense des droits de l'homme, récompenser aujourd'hui le combat des acteurs de la société civile nigérienne pour leur engagement au service de la défense de la démocratie et des droits de l'homme à travers le prix accordé au mouvement citoyen TLP de Maikoul Zodi, et constater dans le même temps l'Etat français soutenir le régime autoritaire et corrompu de Mahamadou Issoufou, dans une sorte de jeu de rôle dans lequel le prix de la CNCDH attribué à TLP représente un pansement de fortune posé sur la plaie béante provoquée par le soutien de la France à l'oeuvre de démantèlement de la démocratie en cours au Niger.

Aux acteurs de la société civile nigérienne et au peuple nigérien de rester vigilants et exigeants envers la France afin de ne pas tomber dans le piège de sa diplomatie qui 
vise à leur faire céder les acquis de notre démocratie à vil prix dans les mains d'un régime au service de ses intérêts.

La lutte toujours paye, le renoncement appauvri pour toujours.

Avec affection, espoir et détermination

AbdouRahmane

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