Ouvrant la seizième édition du Festival de Cinéma chinois de Paris, la nouvelle adaptation cinématographique du roman fleuve de l’écrivain Cao Xueqin (1715 ou 1724 - 1763 ou 1764) - monument de la littérature chinoise du XVIIIème siècle qui occupe, traduit, deux volumes de la Bibliothèque de la Pléiade -, Le Rêve dans le pavillon rouge (2024), de Hu Mei (2 septembre 1958, Pékin - ), révèle sans doute aux spectateurs français ce que serait l’équivalent d’un cinéma hollywoodien venu de Chine.
Plastiquement irréprochable, enfant cinématographique hybride conjuguant la perfection stylée des estampes japonaises au fini fascinant des laques chinoises, elle emporte au sein de la famille Jia, qui occupe le luxueux domaine Rongguo, à Pékin. Éprise d’esthétisme - Hu Mei a longtemps été réalisatrice de publicités, puis de séries télévisées -, la caméra suit principalement le personnage de Jia Baoyu (Bian Cheng), jeune homme tout juste sorti de l’adolescence et qui déçoit les attentes de son puissant père, puisqu’il préfère s’adonner aux jeux, à l’oisiveté et aux intrigues amoureuses plutôt qu’aux études. Bien vite, s’organisera autour de Baoyu une tension entre une jeune héritière à la santé fragile, Lin Daiyu (Zhang Miaoyi), d’emblée placée sous le signe de la mort, puisqu’elle rejoint endeuillée le domaine, suite à la disparition de son père et ultime protecteur, et Xue Baochai (Lu Yan), autre protégée, brillante et dernièrement arrivée au domaine.
À l’arrière-plan de ces jeux d’approches et de retraits amoureux, sont dépeints d’autres enjeux, de pouvoir, liés au déclin d’une famille prestigieuse et aux difficultés qu’elle rencontre sur les plans judiciaires et financiers. D’où la problématique : comment faire front, parvenir à se maintenir, à la fois dans sa trésorerie et sa renommée ? On le sait, les êtres humains sont peu de chose, face à la grande machine à broyer des ententes de pouvoir…
À la fois ingénieusement et classiquement construite, sur un grand flashback consécutif à un rêve, la nouvelle réalisation de Hu Mei n’est peut-être pas servie par les acteurs qu’elle mériterait, surtout chez ses jeunes représentants qui, essentiellement dans le triangle amoureux, manquent un peu d’épaisseur et de complexité, donc de séduction, au bout du compte… Ses appâts se trouvent ailleurs : dans la musique non dénuée de charme, surtout lorsqu’elle s’abandonne à des sonorités très asiatiques, en résonance parfaite avec l’image aux couleurs chatoyantes ; moins lorsqu’elle se laisse gagner par de grandes envolées très illustratives, tout droit venues du petit frère américain (« petit frère » quant à l’ancienneté de la civilisation…). Dans les costumes, les accessoires, les décors, intérieurs comme extérieurs, à travers les jardins, tous véritablemement magnifiques, et donnant à palper et à contempler toute la délicatesse propre à la Chine, son sens aigu de l’harmonie, tout autant que du contraste exhausteur de beauté. Et dans le traitement des scènes de rêve, souvent très réussies et authentiquement oniriques. Ce qui n’est pas sans importance, compte tenu de l’œuvre adaptée.