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Billet de blog 8 octobre 2022

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« L’Amour l’après-midi » (1972) d’Eric Rohmer

Le dernier des « Six Contes moraux » du grand Rohmer constituerait un formidable bain de réjuvénation pour ouvrir une ère post MeToo…

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Quel film régénérant ! Quelle incroyable modernité, quelle superbe liberté, bien au-delà des interdits, cloisonnements et anathèmes produits, entre autres, par le mouvement MeToo ! Une magnifique exploration du désir, aussi bien féminin que masculin.
    Dans ce dernier des « Six Contes moraux » d’Eric Rohmer ( 21 mars 1920, Tulle - 11 janvier 2010, Paris 13ème ), sorti le 1er septembre 1972, Frédéric (Bernard Verley), associé dans un cabinet d’affaires, vers la Gare Saint-Lazare, et marié à la belle Hélène (Françoise Verley), professeure d’Anglais qu’il aime sincèrement, s’interroge sur ses réactions au mariage et sur les fantasmes que soulève en lui le tournoiement des autres femmes. Ces rêves s’incarneront dans le corps de la non moins belle et de la plus lascive Chloé (Zouzou, actrice, chanteuse et mannequin), qui le soumettra à la plus intense et la plus active des tentations, jusqu’au joli détournement du titre, qui déjouera finalement les attentes créées, tournant ainsi résolument le dos à la banalité du marivaudage.
    Car tout est affaire, dans ce fascinant Rohmer, de subversion douce, de questionnement et d’humour. Un questionnement très littéraire, superbement traduit par la voix off, celle-ci se faisant toutefois de moins en moins présente au fil du film, signe, sans doute, que la « vraie vie » prend sa place et reprend ses droits, en congédiant peu à peu le roman et l’errance intérieurs. Une subversion douce car, bien qu’écrit et tourné par un homme, bien qu’adoptant le point de vue du personnage principal et masculin, le film fait la part belle aux femmes et à leurs désirs, que ce soit à travers le personnage, en définitive très viril et conquérant, de Chloé, qui affirme hautement aussi bien ses aspirations à l’indépendance que ses volontés de séduction, ou à travers les deux figures des secrétaires de Frédéric (Malvina Penne et Babette Ferrier), qui lorgnent leur joli patron d’un œil gourmand et lui adressent des battements de cils de gazelles. Sans compter les grands yeux pâles et rêveurs de Frédéric, sa douceur, son indécision, sa soumission, voire sa passivité, jusqu’à un certain point, face à Chloé, tous traits volontiers et fréquemment prêtés aux femmes et qui font de Frédéric une sorte de Madame Bovary, revisitée au masculin, et plus timorée. Sans compter, également, la merveilleuse ambiguïté des larmes finales de l’épouse : aveux de remords adultérins inavouables et faisant pendant à ceux de son mari ? Soulagement et émotion au moment de regagner l’époux et de sauver le couple ? Et l’humour, trait constant parcourant finement chaque scène du film, avec bienveillance, autodérision, tendresse… À commencer par le fait d’avoir confié le rôle des époux fragilisés à un authentique couple à la ville, Madame et Monsieur Verley…
    Une œuvre réjouissante, salutaire, en ce qu’elle questionne les impasses et circulations du désir sans intention démonstrative, sans plaquer de réponse prescriptive et dans une véritable visée pacificatrice, plutôt qu’en cherchant à ouvrir une guerre des sexes.

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