Pardon de m’inscrire autant à contre-courant en cette période d’élection présidentielle mais, vous le savez bien, lorsque, à cause d’un sale microscopique virus (quelle bêtise, ce « Les petites bêtes ne mangent pas les grosses ! », psalmodié aux enfants…!), vous vous retrouvez le cerveau à la dérive, les yeux flous, le cœur comme si vous courriez alors que vous êtes assis, et les cordes vocales prises en glace, vous n’avez pas complètement envie de marcher au pas…
Enseignante dans un petit collège public parisien, je ne peux que constater l’état avancé de délabrement des troupes professorales : dès la fin de la première semaine de décret de retrait des masques (mesure essentiellement électoraliste, on le sait…), sur une quarantaine d’enseignants en exercice, deux se retrouvaient atteints par le Covid. Deux optimistes, qui avaient décidé de tomber le masque dans le même mouvement de libération que les élèves.
D’autres ont espéré que, conservant leur masque chirurgical étroitement vissé sur le nez, ils échapperaient aux virus. Mais, dans les semaines qui suivirent, masqués et non masqués, sans discrimination, ils se mirent à contracter toutes les maladies virales saisonnières : rhino-pharyngites, gastro-entérites… Plusieurs, même masqués, tombèrent entre les griffes du Covid. L’une enchaîna même Covid et gastro. Nous la vîmes, tremblante comme une feuille en salle des professeurs, au bord des larmes et refusant de rentrer chez elle, tant elle était lasse d’être malade…
Le médecin d’une collègue que son masque n’avait pas protégée du Covid lui expliqua que le masque chirurgical avait une efficacité protectrice, au sein d’un groupe, si tous en étaient porteurs. Mais si la plupart des gens sont démasqués, alors il faudrait au moins un masque FFP2 pour assurer une réelle protection à ceux qui supportent de dissimuler leur visage…
Les masques FFP2 ! Parlons-en ! Notre bon Ministre de l’Education Nationale, dès le premier trimestre de cette année scolaire 2021-2022, a clamé, à grand renfort médiatique, son intention de protéger tous ses chers enseignants, si exposés et si dévoués, en les équipant de masques FFP2. Les lycées en ont vu la couleur, car ce sont les régions qui se chargent d’exécuter les injonctions ministérielles. Mais les collèges… point. Eux dépendent des mairies. Et croyez-vous que le Gouvernement s’en soit soucié, ait conçu quelque inquiétude pour ses chers et dévoués enseignants…? Que nenni ! En collège, les masques FFP2 promis par le Ministre ne sont jamais arrivés. Sans explications ni excuses.
L’ébauche d’une conversation avec un ami, que je croyais pouvoir être critique vis-à-vis des mesures prises par l’Education Nationale actuelle (suppressions de postes, surcharge des classes, dévalorisation du métier d’enseignant, déconstruction progressive de l’enseignement public au profit du privé…) m’avait laissée sans voix. À ma prudente amorce, il avait coupé court : « Ah non, moi, je suis plutôt en accord avec ce que dit le Ministre de l’Education Nationale ». « Ce que dit le Ministre de l’Education Nationale »… Il m’a fallu songer à tête reposée à cet échange, repenser aussi à une ambitieuse réunion, organisée en juin 2019 par le Ministère de l’Education Nationale, « La réunion des mille », qui assemblait dans un amphi mille professeurs principaux de Troisième et de Seconde ; l’écart était si grand entre les belles idées énoncées à la tribune (revaloriser la voie professionnelle, développer les filières…) et la réalité côtoyée par les enseignants (restriction de moyens, fermetures de classes, de filières…) que l’échange, au début très protocolaire, avait failli tourner à l’émeute ; une vraie douleur, une révolte sidérée par tant de mauvaise foi intellectuelle, presque d’imposture, jaillissait du côté des « mille », dont les rangs finirent par se clairsemer, sous l’effet de la colère et du dépit.
Il me fallut, donc, repenser à ces nombreux écarts entre annonces gouvernementales et mises en pratique sur le terrain pour parvenir à dégager la stratégie communicationnelle de ce gouvernement, d’un cynisme absolu : proclamer haut et fort, en belles paroles, le contraire de ce que l’on fait, dans la réalité. L’hôpital, public lui aussi, en sait quelque chose. À moins de connaître, de près, les professionnels du secteur, de nombreux citoyens prendront pour réalité ce qui n’est que leurre et, au bout du compte, camouflet aux professionnels du terrain.
Ce n’est plus, selon le mot du philosophe britannique Francis Bacon, « Calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose », mais « Mentez, mentez, il en restera toujours quelque chose, il y aura toujours bien assez de naïfs, ou de gens simplement mal informés, ou dénués des moyens de vérification, pour vous croire… ». C’est ainsi que l’on passe des masques à la question de la parole politique… Et que donc, finalement, on en revient aux élections… Mais la sagesse populaire n’affirme-t-elle pas, avec clairvoyance, « Les promesses n’engagent que ceux qui les croient »…?