Il est indéniable que Fatih Akin (25 août 1973, Hambourg - ) a peu à peu perdu la belle intensité, comme un vent de folie, qui animait ses premières créations cinématographiques et leur donnait sa marque, qu’il s’agisse de la splendeur sombre de Head on (2004) ou de celle, solaire, de Julie en Juillet (2000). Le fond ayant été, espérons-le, atteint avec le laborieux The Cut (2014), qui exposait à grand renfort de grimaces et de costumes maladroits une page de l’histoire turque.
Une certaine fraîcheur semble être parvenue à infuser de nouveau son cinéma avec Goodbye Berlin (2016) et les deux jeunes garçons qui lui apportaient leur énergie. Sans doute aussi Fatih Akin n’est-il jamais si bon - et on peut le comprendre - que lorsqu’il est galvanisé par un duo qui fonctionne, comme c’était aussi plus particulièrement le cas dans les deux premiers films cités.
Sa nouvelle réalisation, Une Enfance allemande. Île d’Amrum 1945, va de nouveau puiser aux sources de l’enfance, tout en se détournant radicalement - fait nouveau dans sa filmographie - de la Turquie. Il nous transporte sur l’Ile d’Amrum, la plus occidentale du chapelet d’îles qui s’étend au large de la région chère au peintre Nolde, le Schleswig-Holstein.
On y découvre Nanning (Jasper Billerbeck), douze ans, réfugié sur l’île avec sa mère et son frère, en 1945, dans les derniers jours de la guerre. Son père, encore au combat, est un haut gradé nazi, soutenu avec ferveur par Hille (Laura Tonke), son épouse, sur cette île qui a sa propre monnaie, son propre dialecte, et qui se positionne plutôt dans une forme de résistance au nazisme. Savoir quel regard porter sur le monde, discerner le bien du mal, sera la quête la plus fondamentale du jeune Nanning, alors que le nazisme plonge avec le suicide d’Hitler et que se révèle l’action peu glorieuse du couple parental vis-à-vis de l’oncle admiré, fugacement incarné par Matthias Schweighöfer, et de sa compagne bien-aimée.
Également au scénario, avec Hark Bohm, Fatih Akin, crée une seconde quête, plus anodine et touchante, et qui emprunte à l’univers du conte : enceinte, puis fraîche accouchée, Hille nourrit le rêve obstiné de pouvoir manger du pain blanc, tartiné de beurre et de miel. Il n’en faudra pas plus pour lancer son fils dévoué dans cette triple quête, afin de réunir ces trois éléments qui, véritablement comme dans un conte, l’exposeront chacun à des épreuves spécifiques. Parmi lesquelles le côtoiement d’un groupe de réfugiés, qui soulèvent le problème de l’accueil de l’autre.
L’ensemble du film repose sur les jeunes épaules de ce petit héros, dont le visage sympathique pourrait donner l’impression de retrouver un Gabin enfant. Loin des tableaux densément colorés que Nolde a réalisés sur la partie terrestre de cet état d’Allemagne, Karl Walter Lindenlaub, à l’image, recueille une palette infiniment nuancée de bleus et de gris magnifiques qui offrent à l’île une présence fascinante, apte à porter les fantasmagories enfantines tout autant qu’à accompagner, en douceur, les prises de conscience les plus douloureuses et l’acheminement réfléchi vers l’âge adulte.