Il paraît que Christelle Morançais est « courageuse » (c'est elle-même, et le Figaro Magazine qui le disent) parce qu'elle tient un « discours de vérité » et qu'elle est « réaliste ».
En 2025, donc, être « courageux » consiste à taper sur les plus fragiles – de préférence à coup de tronçonneuse, c'est plus impressionnant et plus rapide – c'est-à-dire celles et ceux pour qui, précisément, il existe des politiques publiques, qui les protègent et défendent leurs droits. Parmi ces droits, l'accès à la culture – garanti, faut-il le rappeler, par une loi – qui suppose une architecture institutionnelle et humaine complexe, décentralisée, nombreuse, formée et informée. Qui rapporte infiniment plus qu'il ne coûte : la possibilité d'une société diverse, émancipée, ouverte et généreuse. Ce gain est évidemment inestimable.
En s'attaquant (mais elle n'est pas la seule) aux financements qui permettent de garantir cet accès à la culture pour toutes et tous sur l'ensemble du territoire, la « courageuse » Morançais et ses suiveurs pratiquent la coupe rase. Rentabilité immédiate de court-terme (budgétaire et électorale) mais effets de moyen et long terme dévastateurs : dans ces paysages là, la diversité de la vie s'éteint, et pour longtemps.
Cessons d'être naïfs, le projet idéologique de celles et ceux qui veulent la mort de l'action culturelle est clair. Ce qui est visé, c'est la prise de pouvoir et la reprise en main de la culture au profit de ceux qui attendent qu'on la leur serve sur un plateau, à savoir les acteurs hégémoniques de l'industrie culturelle. (De ce point de vue, et soit dit en passant, le fait que seuls trois films du « Top 10 de la fréquentation Art et Essai 2024 » soient portés par des distributeurs indépendants devrait inquiéter l'ensemble de la profession sur l'état de la diversité de la création et de la diffusion en France…).
Que les publics bénéficiaires d'un accès à la culture pour tous et toutes grâce au travail des acteurs culturels soient parmi les premières victimes de cette stratégie de prise de pouvoir est parfaitement cohérent avec les outils que celle-ci entend mobiliser. Tout commence toujours par un dévoiement du langage qui fait dire aux mots ce qu'ils ne désignent pas. Un exemple, puisqu'il est à la mode : non, la liberté d'expression n'est pas « à géométrie variable » (Christelle Morançais), elle a toujours été encadrée et limitée, c'est même la condition sine qua non de son bon exercice. Non, un pays (ou une région) ne s'administre pas comme « une entreprise ou une famille » (Christelle Morançais encore). Tous ces discours qui s'abreuvent, en outre, aux sources mêmes du fascisme contemporain le plus autoritaire (Trump, Musk, Orban…) ne doivent pas nous tromper : la société dont ils rêvent et qu'ils promeuvent écrase ceux qui n'ont pas les moyens de se défendre, pour mieux l'uniformiser.
« Mais comment parlez-vous ? Les mots sont importants ! Qui parle mal, pense mal et vit mal ! » hurlait, fou de rage, Nanni Moretti contre une journaliste à la novlangue trop bien pendue dans Palombella Rossa (1989). Contre ceux qui, comme Christelle Morançais, pensent et vivent mal, ne capitulons pas. La colère de Nanni Moretti ne demande qu'à être réactivée. Aucun réalisme, aucune fatalité ne nous commande de disparaître sans rien dire. Le cinéma nous enseigne précisément le contraire. À nous d'en tirer les leçons.
Les cinéastes de l'ACID