Il y a ce qui se compte et que l'on mesure, l'objectivable des statistiques. Et puis il y a le reste, tous les inquantifiables : affects, émotions, relations… Cela peut se dire ou se montrer – c'était l'objet du texte du mois dernier, qui revenait sur l'expérience de l'accompagnement des films en salles : tournage, tournée, ça tourne. Mais parfois, cela même ne se voit pas. Les formes nous travaillent de l'intérieur, souterrainement, elles nous retournent : telles les taupes, chères aux philosophes, elles sapent les fondements de nos certitudes rabâchées, créant des galeries aux directions imprévisibles, communiquant les unes avec les autres en des parcours subtils et déroutants. Ainsi cheminent en nous les œuvres, dessinant ces réseaux singuliers qui ne se voient donc pas, mais qui sont immenses.
Comment concilier le temps long de l'infusion des œuvres en nous et le temps de la diffusion des films sur un territoire dont le maillage fin devrait être le ferment de toutes les découvertes et rencontres possibles ; oui, comment concilier ce temps avec l'accélération panique propre à une certaine économie de l'attention, dont les intérêts consistent à saturer les regards, occuper tout l'espace, régner sans partage sur les imaginaires ?
Mais faut-il seulement réconcilier ces temps-là ? Ou bien assumer au contraire que se joue ici sinon une lutte, du moins un rapport de force entre des visions du monde qui n'entrevoient ni ne désirent le même futur ? Répétition du même contre extension du singulier ; ouverture sur l'en-dehors et l'autre contre repli identitaire sur des formes recuites… Dans ces luttes déterminantes s'activent aussi des forces qui ne se voient pas, mais sont immenses. Le travail de fourmi de l'ACID en est une.
Plus que jamais, il s'agit de visibiliser. Tout. Tout ce que nous faisons, jour après jour, dans nos pratiques de cinéastes et de passeurs de la cinéphilie, pour faire vivre au présent le divers d'un monde complexe. Mais aussi dévoiler et mettre au jour ceux dont le projet vise à uniformiser la réalité et n'ont pas notre prudence, notre modestie ou notre pudeur : leurs taupes ravageuses s'activent aussi et minent frénétiquement le champ des possibles.
Ce travail de déminage suppose que nous parvenions à faire relais, partout. Nous ne serons jamais trop nombreux·ses d'où cet appel renouvelé à toutes et tous les cinéastes que ces enjeux préoccupent : où que vous vous trouviez dans quelque région, ville, village de l'Hexagone ou d'Outre-mer, l'ACID est votre maison, votre outil de travail pour que vive puissamment et combativement une vision juste et généreuse d'un monde que des puissances négatives s'affairent à rendre inhabitable.
* « Ainsi, à quatre pattes, il s'en fut aux quatre coins de la pièce, reniflant tout, faisant le tour de tout, de tout ce que nous voyions, ce qui était peu de chose, et de tout ce que nous ne voyions pas et qui était, paraît-il, immense. », Gaston Leroux, Le mystère de la chambre jaune.
Cinéastes de l'ACID