Au fil des articles, des tables rondes, des conférences, il n'est de cesse d'entendre féliciter l'inventivité des formes, les regards si riches, les très forts désirs de raconter le monde, de donner à voir, à dire, à penser.
Célébré comme un lieu potentiel d'émergence des récits et des diverses façons de représenter nos sociétés, nos intimités, nos combats, nos poésies différentes, le cinéma documentaire est vaste et complexe. Rendre libre, éveiller une curiosité renouvelée, permettre d'ouvrir tous les regards, il est une mine d'or aux multiples lumières et c'est tout cela que l'on défend ardemment quand on défend ce cinéma-là.
Le cinéma documentaire doit pourtant faire face à beaucoup d'enjeux, sous peine de disparaitre, ou de le voir se concentrer uniquement autour de quelques œuvres et d'auteurs déjà consacrés (et tant pis pour les autres).
Manque de volonté et/ou de vision politique, manque de sursaut de toutes et tous, manque de détermination pour comprendre les modes de fabrication propres à ce cinéma, les raisons sont nombreuses, mais les résultats sont là : le cinéma documentaire est de plus en plus fragilisé.
Depuis ses conditions de fabrication jusqu'à sa diffusion, ce cinéma se trouve en voie de marginalisation, et la mise en avant de certaines de ses œuvres lors de festivals prestigieux n'est qu'une vision en trompe l'œil du contraire. Ses financements, très sélectifs, sont de plus en plus réduits, souvent insuffisants et inadaptés aux temporalités qui se déploient différemment pour rester singulières.
En plus des acrobaties nécessaires à la fabrication des œuvres, ce cinéma subit une forme de déséquilibre qui perdure avec la fiction, notamment quant aux conventions collectives, actant une rupture d'égalité à bien des égards : les œuvres ne sont pas traitées de la même façon qu'elles soient fictions ou documentaires.
Et puis voilà que l'émergence qui est au cœur de ce cinéma chute de façon critique, notamment vis-à-vis des premiers longs métrages, dont le nombre produit a littéralement fondu de 50% entre la période pré-covid et la période post covid.
Producteur·ices en batailles perpétuelles, distributeur·ices fragilisé·es, réalisateur·ices qui luttent pour toutes les étapes de la vie de leurs films, combien de vaillantes perspicacités et ténacités sont en passe de céder au découragement face à la difficulté, in fine, des conditions de diffusion et d'exposition en salles.
Là aussi, l'hyper événementialisation autour de quelques séances se généralise. Oui, ces séances et les rencontres qu'elles permettent entre les cinéastes et le public sont belles, mais derrière leur généralisation comme unique exposition de ces œuvres, se cache une musique que certains entendront comme le chant du cygne.
Aucun modèle économique viable n'existe autour de ces seules séances évènementielles. Au-delà des salles, ce nouveau modèle ne permettra pas aux différents acteurs de la filière de tenir le coup, et on doute fort de qui voudra distribuer les films et de qui pourra les produire.
Propulsés sur cette pente glissante, il est temps de s'interroger très sérieusement sur la perte possible, sur le deuil que nous devrons faire bientôt peut-être, de toute cette inventivité célébrée, absolument essentielle sur tout le territoire, dans une époque si dangereuse à bien des égards.
Les Cinéastes de l'ACID