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« Le mal ne triomphe que par l’inaction des hommes de bien »
La citation faussement attribuée à Edmund Burke peut fort ressembler à un cliché bien-pensant, et bien inoffensif. Ce n’est pas la seule citation à incriminer la passivité des personnes de bien face au mal. Albert Einstein, qui n’est pas le plus idiot des hommes, lui aussi nous a gratifié de sa petite citation qui pèse son poids dans l’Histoire. « Le monde est dangereux, non pas tant à cause de ceux qui font le mal, mais à cause de ceux qui regardent, et laissent faire ».
Aujourd’hui, un grand mal se lève partout. Il tire sa force dans la bêtise certes, mais c’est le désespoir qui est son carburant. Une détresse immense, qui engendre la rancœur, l’amertume, le dégoût de soi tellement insupportable qu’il rejaillit en une haine de l’autre.
Quelle est la source de cette détresse ? Elle tient bien sûr en grande partie à la violence de la crise économique mondiale qui sévit depuis 2008 et touche depuis durablement la France. Mais ce serait une grande erreur de croire que la source profonde de ce retour à une « envie autoritaire » ne serait due qu’à une condition sociale déplorable. Ce qui est en jeu, du moins en France, mais je crois aussi ailleurs dans le monde, c’est que nous ne savons plus qui nous sommes. Nous ne savons plus sur quels idéaux nous raccrocher. Les utopies, les rêves, les projets internationaux, la notion même de progrès humain ont littéralement été soufflés depuis vingt ans. Nous ne croyons plus en rien. Rien.
Les débris de ce qu’il reste d’idéal représentent pourtant encore presque le quart de l’électorat français. Ce n’est certes peut-être pas assez pour arracher la victoire, mais c’est suffisant pour mener la résistance. 25 %, quand le front national en fait lui-même 25 % ! La gauche parait si faible, alors qu’elle représente presque la première sensibilité politique française en termes d’opinion…
Ce n’est pas la première fois qu’une telle désunion est observée.
Communistes allemands et socialistes allemands portent sur eux une lourde responsabilité de la victoire d’Adolf Hitler en 1933. La résistible ascension du Führer n’est que le miroir de l’irrésistible désunion de la gauche.
Remontons à l’origine de cette désunion de la gauche allemande. Tout présent a une histoire, et le présent de la gauche allemande est encore largement influencé par cette histoire tragique qui conduisit l’un des plus grands pays du monde à la catastrophe la plus aboutie.

En 1918, l’Allemagne perd la Grande Guerre, après des sacrifices sans nom, des millions de morts et un blocus continental de près de quatre ans qui a affamé sa population. Dans les derniers mois de la guerre, les désertions, les mutineries se multiplient sur le front et derrière le front. La marine de guerre allemande se mutine et provoque directement l’abdication de l’empereur Guillaume II de Prusse. C’est la fin de l’empire allemand, et le début pour la première fois en Allemagne de la démocratie, qui prendra le nom de République de Weimar. Cette république cristallise directement ce qui permettra l’accession au pouvoir des nazis, une désunion totale des forces de la gauche.

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La République de Weimar est en effet proclamée le 9 novembre 1918, soit deux jours avant la fin de la première guerre mondiale. Dès le mois d’octobre 1918, la dislocation de l’autorité du Kaiser devient patente, et un souffle révolutionnaire balaye l’Allemagne. Sur fond de disette, de désertion massive du front, et les armées alliées aux portes de l’Allemagne, la révolte devient rapidement une révolution. Au cœur des évènements, deux sensibilités politiques commencent dès lors à s’affronter. D’un côté les socialistes, de l’autre côté déjà, les sociaux-démocrates.
La notion de socialiste n’est alors pas du tout la même qu’aujourd’hui. Les socialistes allemands d’alors sont beaucoup plus proches du communisme, qui vient à peine de naître en Russie. Les socialistes, réclament un système socialiste, de répartition des richesses et d’accaparement des moyens de productions qui appartiennent alors aux grandes entreprises allemandes. Les sociaux-démocrates eux, préfèrent un régime parlementaire, une république molle, où discuteront patiemment autour d’une table les représentants de la classe ouvrière et les conservateurs, les nationalistes, les patrons des grandes entreprises, qui ont été les artisans de la guerre et les premiers responsables de la défaite.
Le 9 novembre 1918, la république de Weimar est proclamée, deux heures seulement avant la proclamation de la république socialiste. Une trahison a alors lieu, sous le nez de la classe ouvrière, qui dans le mot « République » entend « justice ». Premièrement nous avons la différence des lieux de proclamation des « républiques allemande ».
Weimar. Petite ville allemande plutôt campagnarde d’aujourd’hui 67 000 habitants. La ville est plutôt cossue, jolies petites maisons bourgeoises, environ verdoyant. Inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO en 1998. Capitale du duché de Saxe-Weimar jusqu’en 1918. Nous sommes loin, très loin d’un bassin ouvrier. La république de Weimar est certes proclamée elle aussi à Berlin, mais c’est dans l’intimité des salons qu’elle sera organisée, bien loin de la foule

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Berlin. Capitale du Reich allemand puis de la République allemande. C’est une ville très ouvrière qui devient à la fin de la première guerre mondiale un chaudron révolutionnaire. La proclamation se fait au balcon du château de Berlin, devant des dizaines de milliers de personnes.
D’un côté, une république fondée dans le confort des salons, de l’autre un régime fondé au cœur de la légitimité révolutionnaire, avec le risque pour les proclamateurs d’être déchiquetés par la révolution elle-même autant que par ses opposants.
Deuxièmement, c’est un Prince d’empire, oui un prince, qui confie au premier dirigeant social-démocrate de la république de Weimar tous les pouvoirs de chancelier. Le 9 novembre 1918, c’est ainsi que le chancelier impérial Max de Bade, grand-duc héritier du duché de Bade, transmet ses pouvoirs de chancelier à Friedrich Ebert, chef du parti Sozialdemokratische Partei Deutschlands ou SPD. Le premier président de la République de Weimar tire donc sa légitimité démocratique d’un prince, tandis que la république socialiste allemande, proclamée à Berlin tire sa légitimité d’une révolution. Le SPD existe toujours, son candidat se présentera face à Angela Merkel, il s’appelle Martin Shulz, ancien président du parlement européen qui fut élu suite à un accord avec les conservateurs.
Rapidement cependant, la confiscation de la révolution devient visible pour les ouvriers, et une deuxième révolution éclate en janvier 1919. Pendant ces quelques mois qui séparent la révolution de novembre 1918 et la révolution „spartakiste“ de janvier 1919, le pouvoir a eu le temps de se consolider, sous l’égide des sociaux-démocrates. L’armée régulière, majoritairement révolutionnaire à ce moment de l’histoire n’est pas engagée pour détruire la révolution.
Les sociaux-démocrates commettent alors un crime affreux, une trahison qui résonne encore de manière inconsciente dans tout l’électorat de gauche, particulièrement en Allemagne mais aussi en France, car cet évènement n’a fait que confirmer l’existence de deux gauches. L’une révolutionnaire et l’autre réformiste, prompte à faire mitrailler le peuple quand sa fin justifie les moyens. Les sociaux-démocrates vont en effet engager les corps francs, des groupes paramilitaires, démobilisés après la fin des hostilités et farouchement contre-révolutionnaire et nationalistes.

Ces corps francs recrutent parmi les anciens soldats et officiers de l’armée allemande qui digèrent mal la défaite et sont prompts à croire la théorie du « coup de poignard dans le dos« . A savoir que l’armée allemande n’a pas perdu la guerre à cause de son manque de combativité et de l’incompétence de ses chefs, mais par la trahison des élites et surtout des juifs qui auraient provoqués la demande d’armistice. La théorie du complot, déjà. Ces corps francs furent dissous en 1921, et beaucoup de ses combattants rejoignirent les SA d’Hitler. En résumé, nous avons donc un gouvernement de gauche, dit social-démocrate qui engage des milices d’extrême droite pour écraser une révolution populaire.
Les deux gauches sont donc irréconciliables dès le début de l’année 1919. La démocratie, qui avaient été appelé des vœux de la part des ouvriers et des travailleurs venait de faire tirer sur son propre peuple. Comment alors ensuite demander à des communistes allemands de se réconcilier avec des sociaux-démocrates face au danger hitlérien. Pour beaucoup de communistes, les nazis avaient l’avantage de ne tromper personne. Ils étaient violent, totalement extrémistes, opposés à la démocratie. Ils promettaient du sang, et respectait cette promesse. Les sociaux-démocrates promettaient la démocratie et la république, et immédiatement tirent sur le peuple en faisant usage de groupes nationalistes et sadiques. Comment à la suite de cet évènement réconcilier le peuple avec la démocratie ? Sans nul doute les premiers mois de la République favorisèrent la parole d’Hitler qui voulait lui la détruire. L’union de la gauche ne pouvait se faire en Allemagne. Le parti communiste allemand, très rapidement aux ordres des bolchéviques russes, n’a jamais envisagé un instant de s’allier aux sociaux-démocrates. Les sociaux-démocrates, n’ont jamais fait amende honorable d’avoir trahi ce peuple qu’ils étaient censés représenter, et ont réussi le tour de force de faire passer la montée du nazisme pour une faute des communistes qui ne voulaient pas se joindre à eux.
La proportion doit être gardée. Mais qu’avons-nous en France ? Toujours ces deux gauches en apparence irréconciliable. Pendant cinq ans, François Hollande a trahi ce peuple qu’il était censé représenté. Il a fait rentrer des banquiers dans son gouvernement au lieu d’y faire rentrer des travailleurs. Il a ménagé le patronat, conclut des accords économiques ne protégeant absolument pas les personnes en situation de fragilité. Il a utilisé comme un félon sa couleur politique comme un écran de fumée. Il a trahi les travailleurs avec la loi travail, il a trahi le mouvement social en envoyant ces chiens de garde du système que sont les forces de l’ordre, il a trahi la république en instaurant un régime d’état d’urgence qui devient un régime d’exception, qui matraque les étudiants, les lycéens, qui emprisonne des journalistes indépendants et laisse dans le même temps manifester des milliers de policiers en armes et cagoulés dans les rues de Paris.
C’est une honte.
Et c’est sur ce bilan, catastrophique dans une démocratie normalement mature, qui n’a rien à voir avec la République de Weimar, que Benoit Hamon vient réclamer l’union de la gauche, autour de sa personne. Il la réclame sans faire la rupture avec ceux qui ont permis cette débauche de renoncements. Il veut nous faire marcher avec Manuel Valls, avec El-Khomri, avec Cazeneuve, et tous ces sous fifres de la social-démocratie qui ont détruit l’idée même de la gauche.
Pourtant, l’enjeu est la prise de pouvoir du FN. Face à cela nous devrions nous unir. Mais sur quelle base ? Il y a une envie de gauche dans ce pays, une envie de plus de justice, une envie de vivre plus heureux. Bref une envie d’idéal et de demain.
Si Benoit Hamon veut l’union, il peut la faire. Il peut rompre. Il peut forcer tous ces parlementaires traîtres a dévoiler ce qu’ils sont vraiment, c’est-à-dire des soutiens de Macron. Il peut faire la décision. Changer la gauche pour enfin rassembler ce qui depuis des décennies sépare la gauche radicale de la gauche réellement socialiste. S’il rompt avec ces ministres qui ont détruit le quinquennat, avec ces députés prompts à voter une loi infâme sur le travail, il aura alors la carrure d’un grand dirigeant de la gauche. S’il ne le fait pas, il ne sera que l’énième répétition de ces dirigeants socialistes sans couleur, qui auront, à force de renoncements, dénaturé ce qui faisait la gauche et contribué à l’accession au pouvoir de Marine le Pen, et la perpétuation des forces de l’argent.
La guerre vient