Mesdames, Messieurs les défenseur·e·s de l’opprimé.e,
L'enfer est pavé de bonnes intentions. En d'autres termes, il y a des personnes dont l'agressivité, les méthodes et la bêtise n'ont pas de limite lorsqu’il s’agit de condamner au silence les êtres les plus vulnérables aux idéologies.
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Insinuer que les travailleur·se·s du sexe et « prostitué·e·s » n’ont pas droit au chapitre du droit commun et au respect, qu’elles sont des poules sans cervelles, des pauvresses migrantes, des vieilles tradi de rue ou des vilaines libérales d’escorts, des salopes ou des victimes, torturé·e·s par des milliers de mains, bites et doigts de tous ces sales types de clients c’est : essentialiser et stigmatiser une réalité économique et sociale de travailleur·se·s en sous-catégorie sociale et sociétale pour beaucoup, un genre en salopards et une activité en traite.
En réalité, l'exploitation des personnes à des fins sexuelles représente 20% de la catégorie des exploité·e·s dans le monde du travail (chiffres OIT). Certes majoritairement des femmes, certes 20% de trop. Mais quid de votre dégout dans les autres secteurs d'activité où cela sévit ? Quid de votre engagement pour défendre les droits et protéger tou·te·s les travailleur·se·s sauf les travailleur·se·s du sexe ?
En réalité, depuis la loi 2016 concernant la prostitution et la mise en place de la pénalisation des clients, il y a 31% d'augmentation de traite (1).
En réalité ce monde est violent mais la majorité des violences faites aux femmes (harcèlement, actes sexuels non consentis, meurtres, coups, inégalités salariales, intimidations, sexisme, etc.…) ne se situent pas en chiffres et actes dans le travail du sexe mais bien dans la « normalité » professionnelle, sociale et sociétale que vous semblez non seulement privilégier mais aussi défendre.
En réalité 9 femmes sur 10 ont eu au moins une fois dans leur vie des pressions pour un rapport sexuel (2).
En réalité ce n’est pas la situation des professionnel·le·s.
En réalité il y a des personnes à chaque seconde qui sont abusées, exploitées et détestent leur gagne-pain. Elles en témoignent et Ici Paris, Paris Match, Le Parisien, Enquête exclusive et autres médias vous en régaleront. Les faits divers sont rentables pour eux sans rien apporter en solutions pour les concerné·e·s, ni faire avancer nos luttes.
En réalité cette loi de 2016 prohibitionniste a eu pour résultat d’augmenter les violences, les vols, les transmissions d’IST dont les contaminations au VIH et la précarité pour les travailleur·se·s du sexe.
En réalité, et vous le savez, statistiquement les travailleur·se·s du sexe sont les plus impacté·e·s, de manière systémique et intersectionnelle par la xénophobie, la sérophobie, la transphobie, l’homophobie et le sexisme.
Des associations et mouvements œuvrent tous les jours pour pallier les multiples défaillances des pouvoirs publiques dans la lutte contre les violences et les inégalités. Votre absence d’indignation face aux vanités des mesures délétères des pouvoirs publiques et pire, votre aveuglement à un positionnement suiviste et dogmatique concernant la condition et les revendications des travailleur·se·s du sexe, viennent heurter toutes les valeurs inhérentes à l’égalité et aux luttes de classe. De la femme qui use ses mains et son dos à l’usine à la femme qui fait les lois, elles sont toutes des travailleuses dignes. Mais pas la travailleuse du sexe. Nous n’avons toujours pas eu d’explication sur ce grossier distinguo de traitement.
En réalité, quid de votre complaisance envers un système que vous prétendez combattre ou faire évoluer lorsque votre virulence à l’égard des plus vulnérables et de ceux·celles qui les défendent n’a d’égal que votre aveuglement condescendant et « classiste » à rejeter leur parole et leurs expertises.
En réalité le monde est fait de ces choses dégueulasses, de destructions d’êtres, d'animaux, de la nature. Lorsqu'on veut analyser et traiter ces méfaits, on ne se contente pas de se positionner vulgairement. On apporte dans un espace de lutte, des arguments qui tiennent la route.
En réalité, vous vous positionnez en ersatz des dominants de classe à l’endroit des travailleur·se·s du sexe. Tel le grand capital.
Légiférer pour aggraver la condition de personnes et cela sans leur consentement, quel nom cela porte-t-il ?
Vous souffrez de toute évidence d'une intoxication idéologique mortifère à l’égard de cette communauté de travailleur·se·s, bien alimentée par le courant abolitionniste. Bien alimentée par les témoignages de personnes qui comme tant d’autres souffrent de leur condition. Bien alimentée par une association se prétendant féministe mais qui place les travailleur·se·s du sexe au rang de personnes socialement inadaptées, de personnes indigentes, à sauver. Le Mouvement du Nid, dont les demandes de subventions en millions tombent à gogo dans leurs escarcelles pour faire faire un stage à 395 malheureux·ses (sur 5 ans) (3) rémunéré 330€/mois, (4), 3 fois inférieur au seuil de pauvreté. Sans avoir aucun effet aucun sur les conditions de parcours migratoires, leurs causes et l’exploitation.
Qui s’accapare et confisque le corps des travailleur·se·s du sexe pour en faire un objet politique ?
Les travailleur·se·s du sexe peuvent penser par et pour elles·eux-mêmes. Ils et elles n’ont pas besoin de tuteur. Comme tout le monde, les travailleur·se·s du sexe ont besoin de droits pour mettre fin aux violences qu’ils et elles subissent et comme tout le monde, doivent être respecté·e·s.
Votre position, à votre insu, car vous n'êtes pas en capacité de réfléchir faute de connaissance et par affinité avec vos préjugés sur le sujet, est celle du classisme et du continuum du patriarcat : s'approprier le corps de la travailleuse du sexe en l'empêchant d'en disposer et la stigmatiser en légiférant sur sa condition, tels les dominants.
A moins que je ne me trompe, vôtre empêchement au débat et à la bienveillance oblige à vous suggérer soit de ne pas prendre de position, soit de contacter les personnes concernées et non les patron·ne·s d’une association qui touche des millions d’euro et enlève toute légitimité d’autonomie à une catégorie de personnes, sans pour autant protéger celles qui n’en ont pas et pire en plonge des milliers dans la précarité et la violence.
Les travailleur·se·s du sexe sont la dernière roue du corbillard des violences systémiques résultant des lois et des stigmatisations : cela s’appelle la putophobie.
Pendant que vous vous battez pour la palme de la pureté sociale, noyé·e·s dans un océan de compromissions, de guerres d’égos, de divisions, entrainant la disparition des forces de lutte, l’ascension de l’extrême droite et du libéralisme, les travailleur·se·s du sexe travaillent.
MylN Juste, Travailleuse du sexe, coordinatrice du Collectif des Femmes de Strasbourg Saint Denis, membre de la Fédération Parapluie Rouge, adhérente et ancienne secrétaire générale du Strass-Syndicat du travail sexuel, participante à l'élaboration de Jasmine - programme de lutte contre les violences faites aux travailleur·se·s du sexe dans leur activité, membre Act Up Paris.
(3) https://www.senat.fr/questions/base/2021/qSEQ210422366.html