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Il y a 35 ans, le 13 mai 1987, Michèle Barzach ministre de la Santé et médecin de formation mettait en place un décret autorisant la vente libre de seringues en pharmacie. En 1987, 30% des contaminations au VIH sida touchent des personnes toxicomanes contre 2% aujourd'hui. Le seul moyen pour les usagerEs de drogues à l'époque de se procurer une seringue était d'acheter un « ribo », un ribomunyl, un pack contenant un vaccin contre le rhume des foins et une seringue. Peu de pharmaciens acceptaient de le vendre et il fallait s'acquitter de 23 francs pour pouvoir l’acquérir. Jusque-là existait un décret de 1972 élaboré dans le cadre de la loi de répression de 1970, qui permettait de vendre aux clientsEs majeurEs sur ordonnance des seringues ou sans ordonnance sur présentation de pièces d’identité.
Quelque mois avant la parution du décret Barzach, les pharmaciens invoquaient une clause de conscience. Une semaine avant le 6 mai, Jean Marie le Pen évoquait les sidatoriums pour pouvoir soigner les sidaïques. Ce décret du 13 mai 1987 est instauré en pleine épidémie de sida, où les toxicos sont assimilés à des terroristes et non des personnes malades. Albin Chalandon, alors garde des sceaux, veut construire pas loin de 1600 places de prison pour les toxicomanes et se montre favorable à l’extension d’agréments publics pour le programme thérapeutique. Le patriarche dont les méthodes coercitives et répressives sont controversées va être fortement condamné des années plus tard.
La vente libre de seringues en pharmacie est mise en œuvre à titre expérimental pour un an dans un 1er temps. Et l’expérimentation est renouvelée en 1988 avant d’être définitivement pérennisée par Claude Evin en 1989 avec un changement de gouvernement après un constat positif de l’Inserm. En 1990, l’expérimentation des premiers programmes d’échanges de seringues est suivie par la mise en vente des steribox en 1991, puis la mise à disposition gratuite de seringues par les associations en 1995. Tout cela amène progressivement à la généralisation de la réduction des risques en France. Il a fallu presque une décennie pour qu'enfin, on oppose à cette politique répressive de lutte contre les drogues une véritable réflexion sur une politique sanitaire en termes de réduction des risques.
Le décret Barzach se heurte à de nombreux obstacles dans un contexte répressif, alors que l’épidémie était encore très meurtrière : jusqu’au début des années 90, avoir une seringue sur soi était considéré comme un délit et les forces de l’ordre venaient gonfler leurs chiffres en arrêtant les toxicos qui sortaient des pharmacos. En 1992, le ministre de l’Intérieur Paul Quilès nomme le flic Broussard à l’origine de l’arrestation de Mesrine pour une mission d’évaluation des programmes d’échanges de seringues, il se déclare publiquement contre, et ce encore une fois en pleine période électorale, alors que la pression de l’opinion publique se veut forte quant à la poursuite d’une politique répressive envers les usagers-ères de drogue. Asud, créée durant l’hiver 1992, le dénonce et témoigne de la précarité des UD, obligés-es d’attendre le dernier moment dans une situation d’urgence pour éviter les arrestations. Le professeur Luc Montagnier, dans un rapport remis en 1993 dénonce ces pratiques délétères uniques en Europe.
Que dire aujourd’hui 35 ans plus tard sur la libéralisation de la vente de seringues en pharmacie? Il reste encore beaucoup à faire, notamment sur la généralisation des programmes d’échange de seringues en prison, la dépénalisation de l’usage des drogues. Ce sujet comme d’autres doit être traité uniquement sous l’angle de la santé publique. Et doit relever donc entièrement du ministère de la Santé et non du ministère de l’Intérieur ou de la Justice, comme le sont malheureusement aujourd’hui un trop grand nombre de politiques sanitaires, sociales et médicosociales.
Les usagerEs de drogues dans le cadre de la lutte contre le sida ont été invisibiliséEs durant des années, alors qu’un grand nombre de personnes toxicomanes a été contaminé et que beaucoup sont mortsEs. C’est pourquoi les personnes concernées ont réagi et ont pris en main leur santé avec et aux côtés de médecins, associatifs, militantsEs, soignantEs. Ce combat pour les seringues en vente libre en pharmacie mettra en lumière l’avènement de l’autosupport, l’autodétermination, la pair aidance et le caractère incontournable de la dimension communautaire dans le cadre de la lutte contre le sida. A cette époque et aujourd’hui encore plus que jamais.
Il est important de ne pas oublier que les toxicos ont été et sont encore des acteurICEs de la lutte contre le sida et qu’ils-elles ont payé un lourd tribut.
A nos morts-es