Pourquoi ne pouvons-nous pas comprendre ce geste extraordinaire de survie des migrants exilés ? Ne pas comprendre ni admettre leur désir d’une vie qui ne soit pas moins libre que la nôtre. Au point de les abandonner à leur sort ultime, tandis que le vent se rit des frontières et que la mer les enfouit comme de vulgaires déchets de plastique. Au point de les retenir dans leur élan pour trouver de quoi vivre décemment. Et laisser faire la logique absurde d’un CROSS qui va à l’encontre de l’éthique immémoriale des secours en mer. Cela nous indiffère-t-il, vraiment ?
Qu’importe qu’il y ait plus de 75 000 morts en 5 ans ! Qu’importe le couperet d’une mascarade de justice administrative qui conduit tous ces exilés derrière des barbelés et des murs de sinistre mémoire ! Qu’importent ces geôles, ces centres de rétention faits pour retenir leur élan vers une vie meilleure ! Qu’importe vraiment ? Du moment que nous pouvons continuer à vivre barricadés derrière nos écrans, nos certitudes, bien à l’abri derrière le rideau de fumée de notre très chère liberté d’expression ! Notre confort, notre besoin inépuisable de sécurité, notre épicurisme à quatre sous et le mirage de nos gadgets scintillants, indispensables à nos plaisirs éphémères, sont-ils à ce prix ?
La volonté, la ténacité dont font preuve ces exilés ne pourraient-elles pas plutôt interroger notre propre enfermement, nos petitesses de vue, notre totale confusion entre la dignité d’être, de vivre en harmonie et le fait d’avoir, de posséder toujours plus ? Ne viennent-elles pas rappeler notre vieille habitude d’exploiter autrui jusqu’à la moelle quitte à le délaisser lorsque son utilité n’est plus évidente ? Le notre de procès qui le fera et quand ?
« Ils » devraient retourner là d’où ils viennent ! Sommes-nous prêts à faire de même ? A lâcher l’exploitation des peuples et des continents en Afrique, en Amazonie, au sein de nos ex colonies ? Ces « hordes » qui déferleraient en Europe ne disent-elles pas nos oublis, nos dénis ? Nous sommes devenus aveugles, certes, mais point sourds ni muets. Pendant combien de temps laisserons-nous des Zemmour, des Gérard Collomb, des coquins à géométrie variable, comme ceux du FN/RN, déguisés en bourgeois respectables, en insolents pourfendeurs de contre vérités, prononcer infamie sur infamie et dicter des idées aussi haineuses et amères que l’eau qui recouvre les cadavres ? N’est-ce pas leur vision du monde qui est à enfouir au fond des océans, à voir disparaître une bonne fois pour toute ?
« Bloqué en mer pendant plusieurs semaines, accueilli enfin à Toulon, le navire humanitaire Ocean Viking avait secouru fin octobre au large de la Libye 234 migrants menacés de naufrage et cherchait un port sûr pour y débarquer »//« Depuis le début de l'année, 1 891 personnes tentant de rejoindre l'Europe ont disparu en Méditerranée, selon l'Organisation internationale pour les migrations (OIM) »// « 27 migrants sont morts noyés en traversant la Manche depuis la France en novembre 2021. L’enquête en cours montre les graves carences des secours, tant français que britanniques »(La presse française)//« Ce geste symbolique risque de créer un appel d'air et s'inscrit dans un contexte de faillite de notre système d'immigration et d'intégration »(Le Figaro, 11/11/2022)
Chasse aux Juifs, chasse aux Tziganes, chasse aux Arabes, et maintenant chasse aux migrants qui dérangent notre fausse quiétude. A tel point que nous acceptons des condamnations à mort préméditées au nom d’un ordre social et politique cimenté dans la peur et l’illusion sécuritaire. Autrefois, on disait de certains exilés, plus prestigieux : ils ont choisi la liberté ! A présent, ils peuvent crever de faim, nos migrants, crier à l’aide, au secours, la tête encore un peu au-dessus de l’eau. Nous leur répondons « ce n’est pas notre problème ! » Et lorsque leurs cadavres nous encombrent, nous préférons payer des pays mercenaires pour nous en débarrasser.
A l’heure où une femme pourchassée par les forces de l’ordre peut sombrer dans l’eau glacée d’un torrent frontalier, à l’heure où on risque d’aller en prison pour « délit de solidarité », ne pourrait-on pas se rappeler la cohérence des « baïonnettes intelligentes » ?
Tout soldat est tenu de refuser d’obéir à un ordre manifestement illégal (achever un blessé, torturer…), y compris un commandement de l’autorité légitime qui contrevient aux droits humains fondamentaux.