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Billet de blog 10 mars 2025

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Du pain et des jeux.

C’est presque le début du printemps. Par un joli dimanche ensoleillé de mars, faut bien qu’on  se détende, qu’on s’amuse un peu, tout en faisant preuve d’efforts méritoires ! Y paraît que c’est le plus grand marathon d’Europe ou du monde, déclare, sur la chaussée parisienne, un monsieur admiratif.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Certains peuples de la terre crèvent et peuvent crever- Palestiniens, Ukrainiens, Syriens, Congolais, Soudanais, en attendant qu’il y en ait d’autres. Pas grave, pas si important que ça ! Ils peuvent même aller en enfer, pas de souci madame ! Du moment que 50 ou 60 000 marathoniens venus de toute la France (et d’ailleurs, qui sait ?) déferlent sur les quais de la Seine, puis remontent, en sens inverse, la rue de Rivoli, la rue Saint Antoine, jusqu’à la Bastille, sous les acclamations d’un public en liesse,  tout est bien.

 Qu’on ne puisse plus marcher sur les trottoirs ni trouver un autobus, alors qu’on a une carte senior, pas grave ! Du moment que « c’est bon pour la santé » ainsi que me le confie une brave dame tout aussi senior que moi et tout aussi déçue de ne pouvoir compter sur les transports en commun.  Ah, bon ! courir dans les rues  de Paris, certes honorablement débarrassées d’automobiles,  c’est bon pour la santé ? Doit pas y avoir assez de « chaussées vertes » en province pour accueillir de si sympathiques et vaillants coureurs zé coureuses de tout âge, dont la moyenne tourne quand même autour de 25-30 ans. Avec, allez, parmi d'autres accoutrements, des tee-shirts frappés « Hôpital Gustave Roussy ». Qui d’entre ceux-là, celles-là, qui arborent fièrement sur leur poitrail le logo violet, savent qu’outre ses réelles prouesses médicales et ses vaillantes équipes soignantes, cet établissement hospitalier eut comme fondateur un collabo sympathisant nazi ? Lesquels parmi eux savent que des chercheurs ont subi des tentatives d’empoisonnement, via la machine à café, partagée dans un couloir, avec des «confrères » de labos rivaux, il y a à peine 10-15 ans ?

Il ne faut pas avoir mauvais esprit ni chercher la petite bête. Le trot de tous ces méritants, aux efforts soutenus, les hurlements de joie et  les salves d’applaudissements sur les trottoirs appellent toute notre considération. Et puis, c’est quand même pas la fosse aux lions avec des gladiateurs en  train de risquer leur vie ! Allez, du pain et des jeux, y a que ça ma brave dame !  

 Faut ce qui faut.  On me susurre à l’oreille que des gens « bien », pas beauf du tout, capables de se mobiliser pour de nobles causes, ont participé à des marathons par amour de la course et du sport en général. Il faut donc se garder des stéréotypes, des impressions de mamie ronchonneuse, de verdicts à la va comme je te pousse.  C’est noté, comme disent au téléphone, les petits technocrates efficaces d’aujourd’hui. N’empêche. Un tel déploiement de corps et de jambes dans la cité, les ardeurs courageuses des marathoniens, exaltées par la haie des spectateurs, toute cette grande mise en scène dans les rues de Paris, n'a pas de quoi réjouir tout le monde. Un défilé interminable, même pas drôle ou ironique comme le fut la course des garçons de café de Montparnasse à Montmartre en 1914, rabattue par la suite à 2 km dans les rues du Marais. A la gloire des métiers sous-estimés de la restauration et pour le plus grand bénéfice des tenanciers de bistros. A présent, c'est  une prise de pouvoir de l’espace urbain, un exhibitionnisme à gogo, et le sport comme premier ou dernier ciment national. Le sport, avec hommage rendu à la beauté de la nature et à la perfection physique qui  permet de « se dépasser, de se dépasser »!  Il semble, en guise de morale et d’appel massif à faire lien, qu’on a déjà vu cela… sous régime fasciste !

 Le sport? Elles l'ont pratiqué en leur temps et apprécié ses vertus, les mamies qui se lamentent et rouspètent- pas qu’elles, d’ailleurs. Mais ont-elles tort de se dire qu’on ne voit pas 50 000 personnes défiler dans les rues de la capitale contre la course aux armements, contre la précarité qui galope ni courir ou marcher pour soutenir la résistance des peuples face la volonté de les anéantir. Est-il si déplacé, si inopportun, que ça  d’y songer ?

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