Nous devions aller vivre en Kibboutz et y construire un socialisme libéré de toutes les entraves individualistes d’une Europe sanglante. Nous ne savions pas que toutes les tentatives de vie collective à la Proudhon étaient vouées à l’échec.
Nous chantions la Tikva, « Garde l’espérance, un beau jour viendra, tes souffrances alors finiront », devenue l’hymne national du jeune Etat d’Israël. Nous ne savions pas que la population juive de cet Etat servait de relais aux puissances occidentales.
Nous dansions jusqu’à plus soif la Hora et des danses au doux « pas yéménite » , sans savoir que les « arabes » combattus par la glorieuse Haganah et le fier Palmach’(« armée de libération ») s’appelaient « palestiniens ». Nous ne savions pas que la Nakba avait eu lieu et que l’Irgoun et les groupes Stern, après avoir fait exploser des bombes sous mandat britannique, étaient considérés comme « terroristes » par les Anglais.
Nos parents, nos familles, tous ceux qui n’avaient pas succombé sous la férule nazie et le régime de Vichy levaient les yeux vers le tout nouvel Etat hébreu de 1948 comme si une lampe éternelle venait de s’allumer. Là-bas, tous les juifs seraient en sécurité. Nous ne savions pas que ce serait l’endroit au monde où ils y seraient le moins.
Nous nous formions bravement de jeunes et fraîches recrues prêtes à faire leur Allyah pour vaincre à tout jamais les humiliations et la peur de l’antisémitisme. Nous ne savions pas que des victimes pouvaient se transformer en bourreau. Nous ne savions pas non plus que le fier Sabra, le juif nouveau, aux épines dures mais au cœur tendre comme le cactus du même nom, irait couvrir 40, 50 ans plus tard au sein de Tsahal, l’armée nationale, les exactions commises par des fanatiques ultra religieux et des cow-boys armés jusqu’aux dents dans les territoires occupés illégalement en Cisjordanie.
Le sionisme était notre barque et notre rivage, et Jérusalem le plus grand symbole de paix. C’était avant 1967, date fatidique. Tandis que notre conscience était mise à mal, nos yeux se sont alors dessillés .
Depuis, les choses se sont aggravées avec, à présent, un point de non retour : la nation israélienne ne pourra plus jamais continuer à se croire invincible ni prétendre à l’impunité totale malgré ses 75 ans de colonisation à marche forcée, son système pervers d’apartheid et un gouvernement composé de fascistes et d'hommes corrompus. Nous ne voulions pas croire Yeshayahou Leibowitz, juif o combien pieux, qui, du haut de sa chaire de l’université hébraïque de Jérusalem, annonça qu’Israël était devenu un Etat judéo nazi ! Mais aujourd'hui, que dire et vouloir encore prétendre?
Les bombardements intensifs sur la bande de Gaza en matière de représailles et punition collective, dénoncées par la Charte des droits des l’homme, n’y changeront rien. Ni non plus le soutien inconditionnel d’une partie des juifs de France à la politique ultrasioniste, le drapeau israélien dressé en toute obscénité sur la Tour Eiffel, la lettre de l’Education Nationale adressée aux enseignants et enfin le soutien du parti d’extrême droite, RN ex FN, antisémite reconverti en prétendu philosémite : la résistance du peuple palestinien ne s’appelle pas « Hamas », n’appartient pas au Hamas, pas plus que le CRIF ne représente l’ensemble des juifs de France. Les horreurs perpétrées par des membres du Hamas ne sauraient faire passer à la trappe l’essentiel : un peuple opprimé, humilié, bafoué, depuis presque un siècle a le droit et même le devoir de se révolter.
N’oublions pas ce que De Gaulle, loin d’être un gauchiste, avait compris : ni les bombes, ni les mensonges, ni les intérêts géostratégiques des puissances occidentales ne sauraient défaire le vouloir vivre et la soif de liberté d’un peuple. Une sagesse et un sens politique que les israéliens, pour leur propre sauvegarde, se doivent d’admettre.