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Billet de blog 15 juin 2020

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" Le sanglot de l'homme" , Remake?

Faut-il entendre Angela Davis" Les racines du racisme ne seront pas extirpées sans combat contre le système capitalisme" ou bien se complaire dans la repentance?

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Il y a dans l’air comme un parfum de « page historique ». Des populations longtemps exploitées, maltraitées, humiliées font entendre leurs voix, battent le pavé (ou plutôt le bitume) et disent qu’elles n’ont plus peur, qu’elles ne se laisseront plus berner par les mensonges et l’hypocrisie de l’appareil d’Etat, qu’elles ne se contenteront plus de rester « confinées » dans des zones quasi ghettoïsées, appelées quartiers, banlieues ou cités. Ici en France, qui n’a pas connu de ségrégation raciale institutionnalisée, comme en Amérique, qui interdit « officiellement » le recensement ethnique, au contraire de l’Amérique. Des « gens de couleur » selon le vieil euphémisme, réclament que justice leur soit rendue, que la vérité éclate et que les assassinats de citoyens à part entière, les discriminations raciales, soient enfin reconnues. Comment ne pas se réjouir que place de la République à Paris et dans bien d’autres villes de France, là-bas à Minneapolis et dans une centaine de villes des Etats-Unis, se dressent des poings, s’alignent tee-shirts et pancartes pour dire qu’il n’y a pas de paix sans justice concrète et traitement autre que répressif par des forces dites de l’ordre, chargées de veiller aussi à la protection de chacun.

 Comment ne pas espérer  en cette «  convergence des luttes » tant attendue, que ce soit avec le mouvement des Gilets jaunes, les revendications syndicales, les exhortations écologiques, la volonté d’un monde plus juste et libre ? Comment ne pas rêver à nouveau à une dignité humaine retrouvée ?

Après 30, 40 ans d’un ultralibéralisme, qui a appauvri et précarisé des peuples entiers, qui a bâillonné langues et consciences en se prétendant le « seul modèle possible», qui nous a imposé sa folle ivresse de profits sans limites, voilà qu’un souffle est en train de revenir ! Et, comme toujours de manière inattendue ! Parce qu’un mort de trop, une injustice de plus, fait déborder le vase !

 Nous avons de quoi, prudemment, nous réjouir. Pourtant, pourtant, comment ne pas être atterrés par le retour de cette perversion qui divise et oppose les « braves gens » ? Qui établit une séparation entre blancs et non blancs, reprenant ainsi à bon compte les catégories mêmes du racisme, qui stigmatisent les « privilégiés » d'en bas, en oubliant ceux d'en haut, qui, de toute manière, ne se sentent pas concernés par toute cette ébullition, à condition qu’on ne touche pas à leurs coffre-fort et comptes en banque. Un remake du « sanglot de l’homme blanc »* serait ainsi en route sans qu’on puisse y prendre garde, sans qu’on puisse dire  stop, ça suffit cette repentance de mauvais aloi ?

 Mais repentance et culpabilité de qui ? Voulue et orchestrée par qui ?  Cherchez l’erreur dans le grand rébus de l’Histoire …

 Certains disent « retour de l’idéologie fantasmée de la petite bourgeoisie » et même « dictature de la petite bourgeoisie » qui se prend pour le centre du monde, engoncée qu’elle est dans son nombrilisme, imposant, sans  crier gare, sans avoir l’air d’y toucher, sa morale et sa vision du monde : confort et individualisme, consumérisme propre c’est-à-dire «  écolo », bienveillance et soin de l’autre, tout bien charitable, soft  et ordonné. Une petite bourgeoisie, alias une fraction des classes moyennes, qui découvre -soudain !- sur quoi repose sa tranquillité de corps et d’esprit. Inégalités et injustices sociales lui sauteraient aujourd’hui à la figure. De quoi s’imposer, et nous imposer, de terribles mea culpa ?  Oui,  faire de bonnes études, voyager de par le vaste monde, faire la fête (celle de la musique y compris) entre amis, aux terrasses des bistros (et même, la revendiquer, la fête, en tant que «  résistance » après les attentats !), se consacrer à un épicurisme indistinct a un prix… tout en oubliant le reste! Mais voilà-t-y pas que « le reste » se réveille et se mobilise juste au moment où s’élèvent de vilaines craintes :  continuer à engranger les miettes octroyées par le capital financier, pièce maîtresse d’un système soucieux, encore hier, d’éviter certaines contestations et trop  de « dénivelés » sociaux,  ne va plus de soi. Du coup, on découvre ce qui court les rues depuis si longtemps. Et oui, le colonialisme, l’impérialisme mettant sous domination le reste de la planète, et la planète avec, ça existe ! Et oui, le  racisme ça existe  et depuis longtemps ! Et ça déborde la traite des nègres, l’extermination des juifs, la stigmatisation des Roms et des migrants !

Ainsi donc, nos classes moyennes- moyennes découvrant sur quoi reposent leur stabilité d’existence, leurs honnêtes salaires, leur patrimoine culturel, leur possibilité d’habiter les centres- villes ou à proximité, leur aisance sociale et relationnelle, se mettent à sangloter sur leurs «  privilèges ». Et, médias aidant, puisque nos bons journalistes, tels des angelots déconcertés, semblent eux aussi découvrir les choses, cette sensibilité et vision du monde tente de gangrener l’élan en cours et les rangs mêmes des «racisés » qui,  pour certains, minoritaires, ne rêvent que de glaner les mêmes bénéfices d’appartenance.

 Le tour est joué ! Faut-il s’étonner et désespérer ?

Non, parce que la France, ordinairement fort oublieuse de sa propre histoire, est en train de sérieusement se réveiller. Parce que Place de la République, ce samedi 13 juin, la sœur d’Adama Traoré n’a pas manqué, depuis la Tribune, de faire appel à tout le peuple de France, parce qu’à Seattle, noirs comme blancs organisent d’incroyables solidarités, parce que dans une petite ville du Middle West, des citoyens blancs de l’Amérique profonde votant hier Trump, sont allés aujourd’hui manifester et protester contre les violences de la police. Parce que bien qu’en partie refoulée comme un lointain passé, la mémoire populaire, celle des luttes et des combats menés, refait surface malgré les tentatives de division. Et parler « privilèges » en est bien une !

            Oui, la remontée de pulsions agressives au sein de la police, ce lâcher permissif de violences et d’arbitraire comme pendant une guerre, celle d’Algérie en particulier, s’adresse particulièrement à ceux des «quartiers ». Mais pas uniquement. Un an de manifestations  de gilets jaunes l’a prouvé. Oui, des courants d’extrême droite au sein des forces de l’ordre sont devenus prédominants, avec l’encouragement du présent gouvernement. Mais la République ici, en France, conserve encore un peu le sens de l’intérêt et du service public, y compris au sein de la police, comme en Amérique. Le nier, le mésestimer reviendrait à faire le jeu des forces mêmes que nous entendons combattre.

 La « guerre » n’est pas exactement celle qui nous a été désignée, la guerre économique et sociale, elle, est certaine. A l’horizon se pointe un sacré paquet de millions de chômeurs et de précaires, une guerre qui ne fera pas de distinction entre blancs et noirs, même si ces derniers trinqueront davantage! Et si le racisme sert à rendre efficace et à justifier l’exploitation de l’homme par l’homme, comme le rappelait un manifestant afro-américain, tous ces « salauds de pauvres »** sont voués à boire la même tasse. Et dans ce cas, point de privilèges ! Venir rejoindre mardi la manifestation des soignants permettrait de se rappeler que « Le peuple est indivisible » et que « Des couleurs, du mélange, de la résistance »*** reste à l’ordre du jour ! « L’avenir » ne sera pas « métis », il l’est déjà !

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* Pascal Bruckner, « le sanglot de l’homme blanc »,  le Seuil, 1983

** La traversée de Paris, film de Claude Autant- Lara, dialogues Michel Audiard, 1956

*** slogans et pancartes de la manifestation du samedi 13 juin  « Les violences policières, le racisme, le chômage, la misère sont leurs armes de guerre contre les rêves des peuples et nos luttes pour une ère meilleure ( GJ)». Et puis, en dépit de cette  désastreuse volonté d’opposition,  une femme blanche montrant son tee-shirt imprimé d’un poing noir ! (photos de Serge Ignazio, « ouvrier photographe. »)

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