« Nous voulons que le calme revienne et tant pis s’il faut pour cela raser Gaza et le sud Liban. » Qui dit cela ? Un ultra du gouvernement israélien, un colon fanatique ? Pas du tout. Un brave habitant, au nord du pays impacté par le front militaire accentué avec le Hezbollah et qui s’exprime, en toute tranquillité, sans haine particulière, sur une radio française de service public. Un habitant de la riche Galilée, connue pour ses modérés, votant traditionnellement Travaillistes, ayant même ouvert des écoles mixtes avec des élèves palestiniens, dans le souci premier de préserver une cohabitation et une sécurité pendant des années. Tel n’est plus le cas, tout a volé en poussière, il va donc presque de soi de les entendre dire : notre peau avant la leur ! Immédiate réaction de survie, réflexe humain, trop humain, qui évite de se poser la question du pourquoi on en arrive là.
Le Hezbollah ? Sa représentation tient à une seule identification « soutenu par le démon iranien ». Et on oublie Sabra et Chatila et le refus de hauts gradés et vétérans de Tsahal de poursuivre une guerre inique. Pour un temps, les forces d’extrême droite, d’où qu’elles viennent, arrivent toujours à leurs fins. Pour un temps seulement. Le temps de faire des ravages dont on peine à se remettre pendant un trois quarts de siècle !
L’idéologie fasciste peut gagner un temps les esprits, en Israël comme en Europe, surtout lorsqu’elle est « rampante », versée à petites doses, avec augmentation progressive de la pression exercée, comme la chaleur de l’eau pour la grenouille à cuire qu’il s’agit de maintenir dans la marmite sans bonds imprévisibles. Nous y sommes donc … ou presque.
Peur du déclassement, perte d’emploi, précarité, anéantissement du Service public, déserts médicaux et culturels à tous les bouts de l’hexagone français. Réponse : chasse aux migrants, tant pis s’il faut en passer par les cadavres qui s’accumulent en Méditerranée et dans la Manche, par des centres de rétention qui débordent et par la karchérisation des rues de Paris et d’immeubles squattés par des familles d’émigrés (y compris avec nourrissons) pour cause de JO et de rentabilité immobilière. Finie depuis un bon bout de temps la « ceinture rouge » de Paris, et vive les campus universitaires et les gigantesques équipements sportifs ! Cachez-moi donc ces pauvres que je ne saurais voir ! Qu’ils aillent vivre plus loin et qu’ils se fassent oublier pour de bon ! Les plages de Gaza attendent d’être rééquipées au bénéfice d’israéliens et de franco israéliens en mal de Riviera et l’est et le nord de la proche banlieue parisienne ne demandent qu’à accueillir nos fameuses classes moyennes en difficulté pour se loger.
Alors, faut-il s’étonner du retour d’une antienne : « plutôt Hitler que le Front populaire » de 1936, se muant en « plutôt le FN/RN que la France Insoumise » ? Façon d’oublier que les mêmes causes ont toutes les chances de produire les mêmes effets. En temps de crise et de déséquilibre politique, toujours les mêmes monstruosités, les mêmes égarements.
Et l’on continue à assimiler le nazisme à un accident de l’Histoire, une régression barbare exceptionnelle en Europe sans s’interroger sur ses prémices et ses ingrédients. Sans accepter de le considérer comme une acmé du système courant de domination et d’exploitation du genre humain qui, au besoin, karchérise des ethnies entières.
Encore un oubli, parfois une simple ignorance, surtout lorsque des pompiers pyromanes sont à l’affût : regardez les jeunes bronzés de banlieues, ces nouveaux antisémites, regardez tous ces soutiens au Hamas terroriste !
C’est ainsi que l’on va clamant et clamant encore que l’antisémitisme est le plus grand danger que courent les juifs de France et, en ricochet, la France entière. En claquant le bec d’abord aux gentils, les goyim, et par suite aux mécréants juifs, traîtres à la cause sioniste, qui osent prétendre que soutenir les droits du peuple palestinien est loin d’être antisémite.
Serge Klarsfeld*, le CRIF et même la Licra, viennent de prendre position et de faire tomber les masques : prêts à voter FN/RN pourvu que ce parti, archi antisémite, prononce, même en toute hypocrisie, les mots qu’il faut et s’amuse à soutenir, à des fins électorales évidentes, la politique génocidaire d’Israël. Avec chorus sur la question des »arabes » !
Loin du CRIF, connu pour ses positions actuelles de droite extrême (alors qu’il fut fondé en 42-43 par le Parti communiste !), des associations juives de France aussi bien intentionnées que les sympathiques habitants de Galilée, des citoyens français juifs votant eux aussi traditionnellement à gauche n’ont plus qu’une lubie : sus au danger antisémite et tant pis s’il faut se dissocier, à cor et à cri, d’une composante du nouveau Front populaire en raison d'un racisme antijuif qui aurait gagné les rangs de la FI. Ils n’iront quand même pas voter pour le FN, non. Il leur reste un peu d’éthique, mais pour le bon sens politique, on pourra repasser. Pas question d’écouter de Villepin qui ne cesse de mettre en garde contre la guerre. Pas question de s’interroger sur ce nouvel évènement historique : une masse de jeunes français « de souche » qui ont voté FN/RN aux Européennes, coachés comme ils le sont, par des influenceurs et influenceuses, des planqués FN/RN, et leurs followers sur les réseaux sociaux ado et post ado. Des jeunes, filles et garçons, qui ont couru écouter et applaudir Bardella, comme s’ils allaient à un concert de Johnny. Et dont certains sont allés gonfler les rangs des groupes musclés d’Identitaires parce qu’ils sont, eux aussi, dans la déglingue : « Enfants de la sinistrose … sans travail, sans logement et sans amour » comme ils le disent eux-mêmes !
Tout ça n’est rien ou pas grand-chose : seule la jeunesse des quartiers de banlieue, ces sauvages, descendants d’émigrés, embrigadés, il est vrai pour certains, par les islamistes, sont dans la confusion. L’amalgame antisionisme= antisémitisme n’y est pour rien ?
Il semble que depuis La question juive de Sartre, on n’a guère avancé. On a même régressé : n’avait-il pas dit que l’identité juive, depuis l’extermination nazie, tendait à se réduire, pour une large part, à un statut de victime arc-boutée à un danger vécu comme toujours imminent. On aura beau rétorquer que le danger « résiduel » d'antisémitisme est devenu plus manifeste, de manière incontestable, le grave, le vrai danger qui guette la France et une large partie de l’Europe quel est-il ?
Le capitalisme, hier comme aujourd’hui, macronie incluse, n’hésite jamais, lorsque ça lui rapporte, à signer un pacte avec le diable, y compris avec notre sang, dont celui prépondérant des Ukrainiens et des Palestiniens. Et demain ?
Pour ne pas sombrer sous le charme discret du fascisme qui s’annonce, n’avons-nous pas à refuser toute fatalité, à nous rassembler dans la plus grande unité possible et à reconstruire d’authentiques solidarités ?
Adèle 47.
* Serge Klarsfeld, dont on ne peut mettre en doute la sincérité de ses préoccupations, qui se fait prendre au jeu pervers de toutes les obsessions...