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Billet de blog 4 juin 2025

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Pour une représentation fidèle de la Nation

Puisque les détails de la réforme électorale voulue par François Bayrou ne sont pas encore connus, c’est le bon moment pour proposer un mode d’élection des députés qui puisse véritablement répondre au déficit de représentation démocratique.

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Le Premier ministre vante un système proportionnel, mais le diable se cache dans les détails. Dans le projet de loi à venir, la proportionnalité supposée devrait s’effectuer à l’échelle départementale. On serait alors loin d’un mode de scrutin proportionnel.

Le média Contexte compare la composition de l’Assemblée nationale suivant différents modes de scrutin. Actuellement, l’Assemblée nationale compte 25% de députés RN. En utilisant les résultats des élections européennes de 2024 (qui approchent le comportement électoral qu’un scrutin proportionnel susciterait), Contexte estime que la « proportionnelle par département » aboutirait à 46% de députés RN, contre 34% dans un scrutin véritablement proportionnel, reflétant le score national du RN. A contrario, le nombre de députés LR pourrait être divisé par cinq dans le système proposé par François Bayrou.

La solution évidente pour respecter le principe « une personne = une voix » est d’effectuer une « proportionnelle intégrale », c’est-à-dire une élection à l’échelle nationale. Est-ce pour autant la solution idéale ? Non, car la proportionnalité n’est pas la seule caractéristique recherchée. Le système électoral doit aussi éviter les stratégies électorales de type « vote utile », susciter une forte participation, permettre à une coalition de former un gouvernement stable, sans être pris en otage par des petits partis faiseurs de roi, tout en représentant correctement chaque catégorie de la population, et en particulier chaque territoire.

Si la proposition de M. Bayrou permet de représenter chaque département et évite l’éparpillement des partis, elle échoue sur la proportionnalité. Or, avec un peu d’ingéniosité, il est possible de concilier tous les objectifs.

Le système mixte avec compensation permet une représentation proportionnelle des sensibilités politiques tout en représentant chaque département. Ce système est en usage en Allemagne, en Bolivie, ou encore en Nouvelle-Zélande, où il a été instauré par référendum après huit ans de consultations, puis confirmé deux décennies plus tard par un autre référendum. Dans ce système, les électeurs votent deux fois : pour leur territoire, et pour l’échelle nationale. Appliqué à la France, ce système pourrait réserver un siège par département. En comptant les collectivités d’outre-mer et les circonscriptions des Français de l’étranger, 117 sièges seraient ainsi réservés aux candidats arrivés en tête dans leurs territoires. Les sièges restants seraient alors répartis entre les listes de sorte à assurer une représentation proportionnelle du vote à l’échelle nationale.

Il semble naturel de représenter les intérêts de chaque territoire, mais pourquoi s’arrêter là ? Les communautés d’intérêt sont au moins autant liées aux revenus, à l’âge, ou à la profession. Aussi, un système mixte pourrait-il être adapté pour représenter chaque catégorie sociale pertinente. Aux 117 sièges réservés aux territoires pourraient s’ajouter un siège par vingtile de revenus (soit 20 sièges), un par tranche d’âge (14), un par catégorie professionnelle (29), et neuf par catégorie de genre (18). En tout, 200 sièges seraient réservés à la représentation démographique, et les 377 sièges restants assureraient la représentation proportionnelle des partis.

Malgré ses qualités, un système mixte ne serait probablement pas suffisant pour améliorer la participation électorale. Pour permettre une représentation de citoyens qui rejettent l’ensemble de la classe politique, on pourrait proposer le tirage au sort comme alternative aux partis. Ainsi, si 20% des électeurs votent « aléatoire », 20% des députés seraient tirés au sort parmi les citoyens. Chaque citoyen tiré au sort aurait la possibilité de désigner une personne volontaire de son choix parmi ses connaissances, au cas où il ne souhaiterait pas siéger lui-même.

Pour éviter l’éparpillement des sièges entre une multitude de partis, il existe une solution qui permet de prendre en compte chaque vote sans priver de représentation les votants dont les partis échouent à obtenir un seuil de qualification (généralement fixé à 5%). Il suffirait de qualifier les partis en amont : les partis obtenant le plus de signatures citoyennes dans les trois années précédant le scrutin seraient qualifiés. Par exemple, les partis soutenus par au moins 1% des citoyens seraient qualifiés. Ne pourraient candidater que des candidats affiliés à un parti qualifié. Cela n’empêcherait pas les individualités d’émerger, notamment dans les sièges démographiques, car les partis qualifiés auraient tout intérêt à intégrer les personnalités populaires.

En outre, des innovations supplémentaires assureraient un gouvernement stable et garantiraient que le budget soit voté. Une majorité constructive serait requise pour renverser le gouvernement ou voter un budget alternatif à celui du gouvernement. En d’autres termes, il faudrait qu’une majorité des députés s’accorde sur la composition du gouvernement ou sur un budget pour remplacer l’un ou l’autre. Si aucune majorité n’émerge pour former un gouvernement de coalition, les ministres (y compris le Premier ministre) seraient élus par les députés de sorte à assurer une représentation proportionnelle de l’Assemblée (et donc des Français) ; à l’image de la Suisse, où les principaux partis sont tous représentés au Conseil fédéral (l’équivalent du gouvernement). Plus précisément, les ministères seraient définis à l’avance, et les députés éliraient chaque ministre grâce à une adaptation de la méthode dite d’Eneström-Phragmén. Par ce mécanisme, qui permet aux principaux groupes parlementaires de sélectionner les ministres les plus importants, les députés éliraient successivement chaque ministre, et les droits de vote seraient retirés aux députés ayant déjà obtenu l’élection du ministre de leur choix.

Enfin, dans un tel système, il n’y aurait plus besoin de Président ni d’élection présidentielle.

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