C’est la rentrée des classes, période propice, certes en mineure après le nouvel an, aux bonnes résolutions. D’aucun disait « le changement c’est maintenant », faisant naître l’espoir chez certains, la crainte chez d’autres. Mais changer est autant une affaire de perception que de rythme. Interrogez une molécule d’eau sur son évaporation ou une tortue des Galápagos sur son évolution depuis le Crétacé et vous obtiendrez des réponses radicalement différentes. Si le changement est un axiome programmatique de campagne, sa mise en œuvre dans la continuité est une assurance de gouverner sans heurts. Les promesses de campagne de François Hollande, comme celles d’ailleurs de Nicolas Sarkozy, avaient pour vocation de susciter un espoir, de faire naître une croyance en de meilleurs lendemains, sous-entendu ici et maintenant. Trois mois plus tard les côtes de popularité du Président et du Premier Ministre sont en berne comme si, en lecture immédiate, il fallait en déduire que déjà les promesses sont déç(h)ues.

Si changer consiste à passer d’un état à un autre, faut-il en l’occurrence comprendre passer d’un Etat à un autre ? Paradoxalement le temps de l’action en politique est infiniment plus long que celui de la parole. Le temps de la parole est celui de la projection, instantané et immatériel, celui qui suscite des attentes ou de la défiance, nécessaire à la préparation des esprits au changement proprement dit. Le temps de l’action est lui distendu, opaque pour ceux qui n’y sont pas, fait de préparation, de concertation, de consultation, d’étude et d’expertise, d’analyse de faisabilité et d’impact, ceux-là mêmes qui ne sont que rarement évoqués dans le temps de la parole. Ainsi en est-il des thématiques de l’éducation, du social et tant d’autres qui aux premières du gouvernement faisaient l’objet d’un « il est urgent de prendre le temps de la concertation ».
Plus encore que le changement, le politique se doit d’œuvrer aux conditions du changement. Qu’il s’agisse des récentes évolutions de la législation sociale portant obligation de négociation des partenaires sociaux avant tout projet de loi ou l’évolution de l’opinion publique sur le mariage gay treize ans après le PACS, peu de changements profonds peuvent se faire par simple incantation. Le changement est anxiogène par nature car, sauf à retourner à un état précédent, changer revient à tâter de l’inconnu et à faire son deuil de l’existant. On lui associera spontanément un vocabulaire en conséquence, peur de l’avenir, réforme, rupture, remise en cause, instabilité, inquiétude.
Alors rien de mieux pour parler du changement que de parler de ce qui ne change pas. Prenez un escalier mécanique à l’envers et malgré le mouvement vous ferez du surplace. Pour rassurer l’opinion il faut dépasser l’incertitude des réformes en les situant dans un cadre connu. A tel point que si la parole est faite de promesses et d’effets d’annonces, elle s’avère d’une constance redoutable. En dix mots à peine vous pouvez résumer la quasi-totalité des prises de parole politique, qu’elles soient de gouvernement ou d’opposition. Chômage, emploi, réforme, crise, dette, responsabilité, sécurité, justice, éducation, retraites, les mêmes termes reviennent inlassablement comme autant de repères.
Et la presse n’est pas en reste. En institutionnalisant du terme de « marronniers » les sujets resservis d’année en année avec à peu près les mêmes commentaires (la fête des mères, les sujets de philo du bac, le passage à l'heure d'été, les soldes d’été, les départs en vacances des juilletistes, les départs en vacances des aoûtiens, le chassé-croisé des juilletistes et des aoûtiens, la canicule, l’achat des fournitures scolaires, la rentrée des classes, la rentrée littéraire et ses centaines de romans, les défilés de haute couture, le beaujolais nouveau, le passage à l'heure d'hiver, les soldes d’hiver, …), l’actualité s’est elle-même inscrite dans un éternel recommencement, à l’opposé de tout changement. Si la révolution est symbole de changement, de surcroît à connotation violente, c’est aussi la définition de la rotation d’un corps autour de son axe ou autour d’un autre corps le ramenant … à son point de départ !
Les changements radicaux sont certes les plus visibles et donc les plus faciles à revendiquer à l’heure du bilan mais ce sont aussi ceux qui laissent le plus de séquelles et demandent le plus d’effort d’acceptation du corps social. On en viendrait presque à considérer qu’il n’y a de meilleur changement que celui qui ne se voit pas ! Mais ce changement-là est difficilement acceptable en politique, parce qu’il n’est pas spectaculaire et paraît s’être fait de lui-même sans que l’équipe au pouvoir puisse s’en revendiquer sans suspicion de supercherie.
Quoiqu’il en soit, changer est un pari qui relève de l’expérimentation, pour un mieux ou pour un autrement. Et le temps de l’expérimentation est plus lent, plus mou, que celui de l’annonce et de la promesse. Que ce soit individuellement ou collectivement, nous sommes tous responsables du changement comme de l’immobilisme. Aller vers la nouveauté avec enthousiasme est le meilleur gage de bien la vivre.
A l’heure de la faucheuse chacun pourra se satisfaire d’avoir flirter toute sa vie avec le changement en le gardant bien à distance, juste assez pour se faire peur, et recouvrir pudiquement de son mouchoir les regrets comme autant de promesses pour une prochaine vie. Après tout réaliser ses rêves ne demande quelques fois que trente secondes de courage.
Thomas Litou