La campagne présidentielle est terminée, vive la campagne des législatives ! C’est l’heure des bilans, à chacun le sien. A chacun de se satisfaire de l’arrivée ou de déplorer l’échec de son candidat. Et à chacun d’apprécier, avec un goût de miel ou d’amertume à la bouche, ce qu’aura été cette campagne, ses qualités comme ses écueils, et d’en retenir quelques marqueurs. J’en sors pour ma part avec l’étrange sensation d’avoir eu à faire le tri entre d’innombrables vérités. Et oui, j’ai découvert cette année que la vérité n’était pas, contrairement à la République, une et indivisible. Loin s’en faut, la vérité se décline et se contextualise, quitte à s’éparpiller, quitte surtout à se contredire. A moins qu’elle ne se relativise. Mais alors pourquoi diable nos chers candidats, tous sans exception, l’ont-ils revendiquée chacun en exclusive, rempart démocratique à la confiscation de la souveraineté du peuple ?
L’intention de vouloir dire la vérité aux Français est certes louable, mais sous-entend qu’on ne le faisait pas. Première hypothèse, parce que jusque-là, chers compatriotes, on nous mentait. Soit. Mais qui et depuis quand ? Tous depuis toujours ou limitativement les autres candidats depuis leur entrée en campagne ? Aucun de nos dix impétrants ne se sera risqué à clarifier ce point. Parce que dans la première acception ils risquaient de s’inclure contre leur gré à l’aréopage des menteurs et auraient fait peser un doute certain sur la réalité de la démocratie, et que dans la seconde la causalité de l’ouverture de la campagne à celle des soldes aux mensonges aurait plaidé pour sa suppression pure et simple de toute prochaine élection. Une élection sans campagne, voilà une idée ! Dans tous les cas de telles révélations ne pouvaient qu’initier une crise institutionnelle majeure, promettant un candidat élu affaibli dès son investiture et la nécessité impérieuse d’amorcer au plus tôt les débats sur une sixième République, pourtant appelée par une minorité.
Deuxième hypothèse, se revendiquer de la vérité serait un artifice, un stratagème du discours. Et des plus redoutables puisqu’il réussit l’exploit de convoquer tout à la fois les trois mousquetaires de la rhétorique, éthos, logos et pathos. L’éthos tout d’abord, ou l’image que l’orateur donne de lui-même. Ici, s’ériger en détenteur de la vérité c’est se présenter avec des atours de probité, d’intégrité et de sincérité. Le logos, ou l’argument en lui-même. La vérité se veut conforme à la réalité et présente donc toute information avancée sous sa bannière comme vérifiable et incontestable. Le pathos enfin, ou les émotions que le discours suscite chez l’auditoire. Se voir promettre la vérité revient à recevoir un contrat moral, à se voir restituer un dû au citoyen dont il aurait été spolié.
Combien de fois aurons-nous entendu parler de vérité dans cette campagne, à croire que celle-ci ne s’use que si on ne s’en sert pas ? Mais à les multiplier, les superposer, les faire se caramboler, le risque de confusion est réel. Dans combien de mondes parallèles avons-nous été invités, combien de révélations cachées nous ont été offertes ? Et combien de mensonges auront été dénoncés ? Car si vérité il y a et qu’elle se heurte à celle des autres, c’est qu’il y a mensonge. A la première un concours, au second un festival. Un festival de dénonciation de contrevérités tous azimuts. Non seulement les candidats se sont traités à tour de rôle d’affabulateurs, d’imposteurs ou de mythomanes, mais ils ne se sont pas privés de s’en prendre aux autres de leurs contradicteurs, les journalistes. Et le procédé n’est pas neutre, car si accuser son adversaire de mensonge vise à l’éliminer de la compétition, en taxer un journaliste est autrement pervers. Parce qu’au mieux cela revient à le reconnaître incompétent, au pire partisan, et quoiqu’il en soit à décrédibiliser toute tentative un peu véhémente d’investigation journalistique.
S’arroger la vérité est redoutable certes, mais dans une telle cacophonie s’avère contreproductif. L’impossibilité pour le citoyen de hiérarchiser les vérités, de faire le tri dans les chiffres qu’on lui présente, ne peut que le pousser à considérer que la vérité est finalement relative et perd donc son essence même, à douter de tout, à ne plus croire personne. A fortiori quand il entend tout autant les cris d’orfraie au mensonge. Cette surenchère de dénigrement porte préjudice à la classe politique dans son ensemble et durablement. On apprend bien aux enfants à dire ‘je n’aime pas’ plutôt que ‘c’est pas bon’. Nos chers politiques auraient tout à gagner à parler de convictions plutôt que de vérités, tant il est plus recevable de faire évoluer les premières que les secondes. Le débat y gagnerait en lisibilité, le vote des citoyens en qualité et en connaissance de cause.
Fort heureusement, il reste une vérité sur laquelle tous s’accordent, la vérité des urnes.
Thomas Litou