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Billet de blog 27 avril 2012

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Euclide ne fait pas de politique !

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

En ces temps de crise, où chaque euro compte, les candidats à la Présidence de la République n’ont pas manqué d’assener dans leurs tracts, leurs meetings, sur les plateaux de télévision ou de radio, pléthore de démonstrations chiffrées de leurs propositions. A l’engagement le mieux partagé, celui d’assainir les finances publiques, s’est développé jusqu’à plus soif le champ de l’argumentation mathématique. Des conséquences de la hausse de la TVA sur l’augmentation des prix, du coût des créations de postes dans la fonction publique, de la destruction d’emploi avec la sortie du nucléaire, de la baisse du chômage par la diminution des charges patronales, jusqu’aux traditionnels engagements de réduction du déficit basées sur les prévisions de croissance. Tout est chiffre, Rien n’est contestable.

Car ne nous y trompons pas, ce recours accru aux mathématiques est bien l’objet d’une stratégie argumentative qui poursuit deux objectifs. Tout d’abord, celui du gage d’objectivité. Les mathématiques sont une science exacte, une science dure, ses arguments sont irréfutables aussi vrai que deux et deux font quatre. Réagir à un argument chiffré est quasiment peine perdue, quel que soit l’angle que vous choisirez. Soit vous donnez raison à votre opposant et de fait vous vous soumettez à son autorité, soit vous réfutez et, s’il ne vous traite pas à son tour de menteur dans un concours de celui qui parle le plus fort, le temps qu’il vous faudra pour démontrer que ses calculs sont faux et vous aurez perdu l’attention de la moitié de votre auditoire. Deuxième objectif, qui n’est pas des moindres, c’est justement que le recours à des arguments soit disant objectifs renforce considérablement l’éthos, c’est-à-dire l’image que l’orateur renvoie de lui-même. En l’occurrence, s’aventurer dans la mesure, dans la donnée vérifiable et donc, incontestable au risque de perdre en crédibilité, voilà qui vous positionne comme quelqu’un de respectable, de responsable et transparent, bref, à qui l’on est prêt à confier les caisses de la France.

Et peu importe que la démonstration soit floue tant qu’elle n’apparaît pas comme telle. Car si la contradiction immédiate est à peu près inefficace, c’est encore pire quand elle est a posteriori. Cette campagne a en effet consacré une nouvelle mode, celle du factchecking. Mais celui-ci se heurte à deux écueils. Le premier, celui de la distance médiatique de la vérification à l’assertion du propos. Pour peu qu’elle intervienne sur le même média, on aura selon sa fréquence de diffusion soit oublié ou laissé le temps à l’imprudent de rectifier son erreur soit perdu la moitié de l’audience qui pourra ainsi rester sur sa première impression de probité. Le second, celui du syndrome de l’austérité de l’expertise qui veut que le potentiel médiatique de la vérification des faits soit bien inférieur à celui de l’interview ou du débat et, de fait, relégué à des médias aux audiences plus faibles, minimisant ainsi les dommages.

Faut-il pour autant considérer que tous les chiffres sont faux ? Pas du tout. Disons simplement qu’ils sont variables. Là encore deux explications. La première celle des sources. Un chiffre pour être audible doit être légitime et donc produit ou garanti par une autorité reconnue. Or des autorités reconnues il y en a autant que ceux qui veulent bien les reconnaître. De l’OCDE à l’INSEE, d’Eurostat au BIT, à chacun son expert, à chacun son rapport. La seconde celle du chiffre sans chiffres qui relève plutôt de l’assertion et de la comparaison. Elle commencera souvent par ‘la France est le seul pays où …’, ‘nous avons le plus faible …’ ou encore ‘aucun autre pays que la France …’. A la croisée de ces deux approches on trouvera une méthode alternative, chère à François Bayrou, celle de la démonstration en direct de calcul mental. Celle-ci permet comme les autres les approximations mais présente un intérêt redoutable, celui de forcer son auditoire à l’assentiment sur les opérations de calcul élémentaires mises en œuvre et donc sur le résultat obtenu, sans qu’il ne soit plus possible de revenir sur le postulat de départ.

Or, c’est bien connu, le premier commissaire aux comptes venu vous le confirmera, on fait dire ce que l’on veut aux chiffres. Pour preuve les sempiternels débats entre gouvernement et opposition sur les chiffres du chômage, entre trois et cinq millions selon que vous prendrez en compte les catégories A sans aucune activité, les catégories B et C avec une activité partielle ou les catégories D et E, non-inscrits au début ou à la fin du mois à Pôle emploi, sans parler des DOM TOM qui à eux seuls peuvent faire varier le résultat de plus de deux cent cinquante milles têtes. Ou encore celui des chiffres de la délinquance, en hausse ou en baisse selon que l’on voudra la considérer dans son ensemble ou sur les seules violences contre les personnes. On se souviendra aussi du débat de l’automne dernier autour du potentiel nombre de bénéficiaires de la prime sur les dividendes, qui très vite oscilla entre 2,5 et 4 millions de salariés.

Failles de raisonnement ou prise en compte sélective des paramètres, c’est sur ces mêmes principes que s’opposent les points de vue quand il s’agit de comparer la France à l’Allemagne. Parlez temps de travail et vous arriverez à des conclusions différentes selon que vous prenez en compte ou non les salariés à temps partiel, parlez coût de la main d’œuvre et il en sera de même en limitant ou non votre étude à l’industrie. A chacune de ces assertions manque pourtant une petite phrase, bien connue des statisticiens, ‘toutes choses égales par ailleurs’.

 Que faire alors si le cartésianisme fait défaut ? Compte tenu de la technicité actuelle des sujets économiques et des calculs afférents, est-il possible, dans l’intérêt commun, de réconcilier des adversaires sur des modes de calcul partagés ? L’espace médiatique actuel permet-il l’exposition contradictoire des approches, arbitrée par une autorité dont la neutralité ne pourrait être mise en cause ? Assurément non.

Derrière les chiffres il nous faut donc en revenir aux idées, à celles qui sont source de choix et de décisions. Si l’un dix cent et l’autre mille, peut-être y a-t-il une part de vérité entre les deux. Mais une chose est sûre, c’est que toute proposition est sous-tendue par un choix politique, celui d’un projet de société.

Thomas Litou

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