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Billet de blog 5 juillet 2024

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Les leçons de l'élection présidentielle en Iran

« Femme, Résistance, Liberté » : trois mots inscrits qui résument le message de résistance des jeunes Iraniens, affichés sur les murs des villes d’Iran ou circulant sur les réseaux sociaux ces temps-ci. Ce message prend toute sa signification dans cette expression chère à une majorité d’Iraniens : « Ce n’est plus le temps de voter, c’est le moment de la révolution ».

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Les leçons de la présidentielle en Iran

Illustration 1
Femme Résistance Liberté en Iran © CNRI

« Femme, Résistance, Liberté » : trois mots inscrits qui résument le message de résistance des jeunes Iraniens, affichés sur les murs des villes d’Iran ou circulant sur les réseaux sociaux ces temps-ci. Ce message prend toute sa signification dans cette expression chère à une majorité d’Iraniens qui s’est abstenue de toutes les simulacres d’élection organisés par le régime depuis quelques années : « Ce n’est plus le temps de voter, c’est le moment de la révolution ». Résistance et révolution sont les leitmotivs d’une jeunesse qui a montré lors du soulèvement de 2022 qu'elle ne laissera plus voler son avenir par les mollahs obscurantistes.

https://twitter.com/afchine_alavi/status/1804456994335563897

En un mois plus 20 000 messages des unités de Résistance à l'intérieur de l'#Iran © Afchine Alavi

Mais à lire les médias en France, on a le sentiment d’une incompréhension profonde du peuple iranien et de ses aspirations. Jean-Pierre Perrin nous dépeint à juste titre un peuple « seul, fatigué, triste ». C’est peut-être vrai dans un certain sens, mais ce n’est que l’envers du décor. La résilience de ce peuple lors du soulèvement de 2022 et durant plus de quatre décennies évoque une formidable résistance. Or, l’image que l’on donne parfois est celle d’un peuple désespéré qui attend que le mollah lui jette une miette d’« existence mesquine », comme disait le défunt premier ministre Mehdi Bazargan. Pendant un certain temps, les « experts » autoproclamés disaient : « Ah, la jeunesse iranienne ? Elle ne se préoccupe que de faire la fête et ne veut plus d’une autre révolution. » Le soulèvement de 2022 a fait taire ces balivernes.

« Les gouvernements n’ont jamais rien appris de l’histoire », comme disait Hegel. Il faudrait pourtant que les gouvernements et les hommes d’État, à qui j’ajouterai les médias, s’instruisent des expériences historiques. Après 45 ans d’exercice du pouvoir d’un système unique au monde qui se nomme prétentieusement « République islamique », alors qu’il s’agit d’un califat théocratique fasciste qui spolie la souveraineté populaire, le monde n’a pas compris grand-chose de cette dictature religieuse. Il semble que Hegel ait malheureusement raison.

Il suffit d’entendre certains « spécialistes » se prononcer sur la présidentielle en Iran pour être estomaqué. Par exemple, j’ai lu les choses les plus hallucinantes sur la présentation du candidat « réformateur » Masoud Pezeshkian dans la presse française.

Le désistement massif

Le deuxième tour qui s’engage le 5 juin entre un candidat « conservateur », Saïd Jalili, et, dit-on, un « réformateur », Masoud Pezeshkian, n’est qu’une mascarade théâtrale. Pourtant, dans une description élogieuse, un journaliste iranien d’une agence de presse étrangère depuis Téhéran le décrit comme « un réformiste plaidant pour un pays plus tolérant et ouvert », « cet homme très pieux » dit-il, dont « ses origines le poussent à défendre les minorités ». En effet, Pezeshkian est issu de la région d’Azerbaïdjan iranien, est donc turcophone, parle aussi le kurde étant originaire de Mahabad et son épouse était sunnite.

Durant le soulèvement de 2022, il avait critiqué du bout des lèvres « le manque de transparence des autorités sur l’affaire de Mahsa Amini, morte en détention après son arrestation par la police des mœurs ». Cette prise de position fait soudain de lui, dans la presse occidentale, un défenseur de la cause des femmes ! Nous allons voir ce qu’il en est réellement.

Quant à Georges Malbrunot, dans le Figaro, il s’interroge si « le réformateur Pezeshkian peut créer la surprise et l’emporter ? Tout dépendra de la mobilisation du camp réformateur », dit-il. Il se demande si « les jeunes et les milieux urbanisés qui boudent massivement les urnes jugeront qu’ils ont intérêt à voter pour le "moins mauvais des deux" candidats ». Il glisse un curieux postulat, ils voteront parce qu’ils « ont compris » que le régime « est là encore pour des années ? ». Une affirmation que même les autorités du régime n’osent plus prétendre et redoutent ouvertement le danger d’un effondrement rapide de leur pouvoir. Pourquoi alors la jeunesse penserait-elle autrement ? C’est un dilemme que seul Malbrunot détient la clé.

Le journaliste va plus loin et affirme que « si les anciens présidents Mohammad Khatami et Hassan Rohani sortent vraiment du bois et soutiennent Pezeshkian, cela peut encourager les gens à voter » ! Eh bien, cette fois-ci, Khatami, Rohani et même Zarif, l’ancien ministre des affaires étrangères, jadis la coqueluche des Occidentaux, sont sortis du bois. Mais cela a fait pschitt !

Une abstention record au deuxième tour

Déjà à 11h30, heure local, les informations reçus de divers bureaux de vote dans 140 villes des 31 provinces montrent que le second tour du scrutin présidentiel du régime s'est heurté au boycott total de la population, malgré les mesures et la propagande étendues des autorités. Les pasdarans, les miliciens du Bassidj et d’autres organes répressifs affiliés à Khamenei tentant de forcer les gens à voter par des menaces et des incitations.

À Téhéran, le nombre d'électeurs se comptaient sur les doigts d’une main dans de nombreux bureaux de vote. Les rapports envoyés au ministère de l'Intérieur depuis certains secteurs de Téhéran indiquent que le taux de participation était de 30 à 40 % inférieur à celui du premier tour jusqu'à 11 heures, heure locale.

Les chiffres de participation aux simulacres d’élection en Iran ont toujours été truqués depuis l’avènement du régime à l'arrivée de Khomeiny, jusqu’à nos jours. Khomeiny était légitimé par une révolution antimonarchique et antidictatoriale. Mais le peuple a vite déchanté des dérives répressives du Khomeynisme. Quelques mois seulement après la victoire de la révolution, dans la capitale Téhéran, il était fréquent d’entendre les citoyens mettre en question les nouveaux dirigeants pour leur incompétence et leur obscurantisme. Le recours à la répression dès les premiers mois de l’exercice du pouvoir théocratique avait bien une raison : mater une forte opposition démocratique dans le pays dès les premiers jours.

L’ingénierie électorale

En même temps, pour cacher cette chute vertigineuse dans l’opinion, le pouvoir a toujours, selon son expression, pratiqué « l’ingénierie électorale ». D’abord, on écarte tous les opposants que l’on réprime en emprisonnant ou exécutant avant d’avoir pris la peine de les excommunier et de les traiter de Monafeghine (hypocrites). Ensuite, on écarte les candidats indésirables grâce au filtrage du Conseil des gardiens, nommé par le guide. Le jeu se fait entre les candidats autorisés des factions du pouvoir qui ont prêté allégeance au guide suprême et l’ont bien prouvé dans la pratique. Comme il ne reste pas grand monde à choisir, et pas beaucoup d’électeurs enthousiastes à ce jeu, on maintient la proportion des bulletins jetés dans les urnes, mais on multiplie les chiffres par 2,5 à 3 pour faire croire à une participation respectable. Le ministère de l’intérieur publie les chiffres doublés ou triplés selon les circonstances et les agences de presse les reprennent sans aucune précaution. C’est ainsi que depuis des années fonctionnent les élections en Iran. Ajoutons à cela les pratiques frauduleuses des diverses factions, à commencer par la faction dominante, qui ajoutent à la supercherie.

Même en prenant pour argent comptant les chiffres officiels de « l’ingénierie » des élections, on perçoit la chute libre de l’indice de popularité du régime. Officiellement, la participation à la présidentielle de 2017, qui avait réélu Hassan Rohani, était de 73 %. En 2021, pour élire Ebrahim Raïssi, elle était tombée à 48,5 % seulement. Au premier tour des élections législatives de mars 2024, le régime annonce 41 % de participation. Au deuxième tour des législatives en mai 2024, dans la capitale Téhéran, la participation n’est que de 7 %. Au premier tour de la présidentielle de 2024, qui a suivi la mort accidentelle de Raïssi, le régime a reconnu que 39,92 % des 61 millions d’électeurs ont participé. Jusqu’à présent, il s’agit de chiffres officiels.

En réalité, la participation était en dessous de 12 % , au premier tour. C’est le résultat de l’observation de 14 000 bureaux de vote par le QG social de l’organisation des Moudjahidine du peuple d’Iran (OMPI). Selon cette observation et un calcul des statistiques, 7 400 000 électeurs seulement ont pris part au scrutin au premier tour encore. Ce qui veut dire que 88 % des Iraniens ont boycotté la mascarade électorale au premier étape. Cette abstention est aujourd’hui beaucoup plus visible qu’avant, grâce à des observations des journalistes étrangers non complaisants au moment du scrutin, mais aussi grâce à la perte de l’efficacité du système qui perd les pédales. Ali Khamenei n’a pas pu cacher, mercredi dernier, sa surprise et a reconnu que la participation « n’était pas à la hauteur des espérances et était inférieure à ce que nous attendions et ce qui avait été prévu. Ce qui est certain, c’est que si quelqu’un croit que ceux qui n’ont pas voté étaient contre le régime, ils se trompent éperdument ». Il a alors justifié cette abstention record par ces arguments ridicules : « Beaucoup de gens avaient des problèmes, étaient au travail, avaient d’autres préoccupations, ou pour d’autres raisons, n’ont pu participer au scrutin. Inchallah, dans le deuxième tour, le peuple viendra aux urnes avec enthousiasme et rachètera l’honneur du régime ! »

Il n’y a pas que le guide suprême qui supplie les gens de voter, mais aussi les ténors du clan soi-disant réformateur. Khatami, l’ancien président du régime, a appelé pour le deuxième tour au « sens de la responsabilité et la bienfaisance à la patrie », qui « exige que tout le monde participe et termine le travail non accompli ». Mehdi Karoubi, l’ancien président du Majlis qui fut un rival d’Ahmadinejad en 2009, a appelé à voter Pezeshkian et a appelé, à l’instar de Khatami, à venir « accomplir le travail qui n’est pas fini ». L’illusion d’un possible impact de l’électorat réformiste est ainsi maintenue pour éviter un boycott encore plus infligeant.

La première leçon d’histoire que les chancelleries doivent retenir, c’est que l’Iran n’est pas une république et que les élections dans ce pays ne sont que des mises en scène pour avancer les objectifs du guide suprême.

Le « réformisme » du régime : un mythe révolu

Parmi les vertus que les médias occidentaux attribuent à Massoud Pezeshkian, outre sa bienveillance pour les femmes ne portant pas tout à fait le hijab, il y a la volonté de se rapprocher des États-Unis, de briser l’isolement de l’Iran, de mettre fin à l’embargo, de relancer les négociations sur le nucléaire, d’améliorer la situation économique de la population… Même s’il y a diverge sur certains points avec le conservateur Djalili, ils partagent tous deux des points communs :

  • Lors des débats télévisés, aucun des deux n’a apporté des éléments concrets pour savoir comment ils comptaient réaliser leurs promesses.
  • Tous les deux sont des personnalités secondaires au sein du régime qui n’ont eu pratiquement aucune fonction exécutive majeure par rapport aux candidats supprimés par le Conseil des gardiens ou rejetés par les électeurs.

La raison est claire : le guide suprême ne veut pas d’un président encombrant, mais d’un béni-oui-oui qui exécute ses ordres en ces temps difficiles et sensibles, où il doit en plus imposer un dauphin face à de multiples prétendants issus des bandes adverses et mafieuses.

La présence d’un candidat du clan « réformiste » avait pour tâche de réchauffer l’élection. Pezeshkian, même s’il est élu, n’aurait aucun pouvoir de tenir ses promesses puisqu’il s’ingère dans les domaines réservés au guide suprême. Ce n’est pas pour rien que, parmi les trois candidats proposés par les réformateurs, le Conseil des gardiens a retenu celui de Pezeshkian. Parce qu’il était le moins nuisible pour le guide.

La réforme et le réformisme n’ont aucun sens dans un califat de ce genre, puisque la première réforme serait de supprimer le principe du guide suprême, qui fait de ce régime une dictature absolue. Les « réformistes » de pacotille de ce régime ne remettent pas en cause ce principe et ont toujours prêté allégeance au guide suprême. Les promesses de ces gens, qui ont été au pouvoir dans les pires moments de cette théocratie et ont les mains trempées de sang, n’ont plus aucune valeur pour le peuple iranien. Pour connaître la vraie nature de Pezechkian, il suffit d’écouter cet extrait d’une interview qu’il a donnée le 27 novembre 2014 :

« Après la révolution, j’ai été chargé de l’épuration des hôpitaux et des universités. Quand j’ai pris mes responsabilités, j’ai donné une ordonnance et j’ai coordonné avec les tribunaux révolutionnaires pour imposer un cadre. Avant même qu’il ne soit encore question d’imposer le voile, deux mois avant même que le gouvernement impose le hijab (obligatoire), j’ai donné instruction que les gens qui viennent dans les hôpitaux doivent respecter cette forme. »

Question du journaliste : « Quel était ce cadre ? »

Réponse : « Elles devaient se vêtir de pantalons et porter le voile, des manches longues, c’est-à-dire avoir complètement le voile et un manteau. »

Question du journaliste : « Cela veut dire qu’avant même que le gouvernement n’en fasse une loi du hijab, vous l’avez imposé ? »

Réponse : « Oui, bien sûr, et nous l’avons exécuté. Dix jours plus tard, tout le monde respectait ce cadre. Et même la révolution culturelle a commencé par notre université. Nous avons fermé l’université et l’Imam a déclaré que les universités sont fermées. »

https://x.com/iranazadi1395/status/1807839586904953161

Pezeshkian avoue avoir été le premier à rendre le hijab obligatoire dans les hôpitaux et universités © Afchine Alavi

La révolution culturelle, qui a fermé les universités en Iran de 1981 à 1983, visait à épurer les étudiants et les enseignants des universités, qui étaient les bastions de la contestation et de l’intelligentsia en Iran. Les universités ont rouvert après qu’un quota de miliciens et de gardiens de la révolution a été imposé, et les programmes d’enseignement ont été rétrogradés au service du fascisme religieux.

Répondant à une question sur son programme, à une autre occasion, il avait répondu qu’il n’a pas de programme pour l’avenir, et son rôle consistait à exécuter les plans tracés d’avance (par le guide suprême). Dans une intervention à l’université il avait même expliqué qu’il s’est fondu au sein du principe du guide suprême. Tout est clair.  

C’est pourquoi, ni la présence de Pezeshkian, ni l’entrée en jeu des ténors des réformistes, n’ont suscité l’enthousiasme. Tout simplement parce que lors des manifestations en Iran en décembre 2017 et janvier 2018, le slogan « Conservateurs, réformateurs, le jeu est maintenant terminé » scandé partout en Iran a mis fin à l’illusion d’une réforme au sein de ce régime. Ces protestations ont débuté en raison de l'insatisfaction face à la situation économique et se sont rapidement transformées en un mouvement de contestation politique plus large contre le régime. Les manifestants ont exprimé leur frustration envers les deux principaux courants politiques– les conservateurs et les réformateurs – en indiquant que ni l'un ni l'autre n'avait réussi à apporter les changements souhaités par la population. En persan ont les décrit ainsi : « le chien jaune et le frère du chacal ».

Ceci est la deuxième leçon à retenir de l’histoire. L’impact des réformateurs dans l’échiquier politique iranien est devenu nul, même si Pezeshkian raflait la mise.

Le temps est à la révolution et non à l’élection

La troisième et dernière leçon à tirer de l’histoire est que la succession d’échecs encaissés par le guide suprême et le régime durant plusieurs années, en raison du boycott de plus en plus massifs et de l’isolement du régime, signifie que le peuple iranien, qui ne garde aucun espoir dans cette théocratie incompétente et répressive, a tourné son regard en direction du renversement du régime, depuis les soulèvements de 2017. C’est le sens de ces slogans gravés en Iran et des unités de résistance qui se multiplient dans le pays et défient le guide suprême. Oui, « le temps n’est plus à l’élection mais à la révolution ». Ce n’est pas qu’à l’intérieur de l’Iran que le peuple crie ainsi son désir d’émancipation de ce régime. La diaspora iranienne s’est réunie samedi dernier, au lendemain du premier tour, à Berlin, à l’appel du Conseil national de la Résistance iranienne, pour crier ce désir de renversement du régime et en faveur d’un Iran libre, une véritable république démocratique et laïque. 4000 parlementaires dans un appel et 500 personnalités du monde entier sont venus appuyer ces désirs et le plan en dix points de Maryam Radjavi, la présidente élue de la Résistance iranienne, pour montrer qu’il existe bien une alternative démocratique face aux mollahs obscurantistes, qui rejette toutes les formes de dictature, celle du Chah comme des mollahs. Une alternative qui n’a pas pu être supprimée malgré la répression et les complots, y compris des États complaisants envers le régime des mollahs. Ceci est la quatrième leçon que les gouvernements doivent tirer de l’histoire. On ne peut ignorer définitivement une résistance résiliente qui s’appuie sur son propre peuple. Et tous les mensonges et propagandes du monde ne suffiront pas à l’éliminer.

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Manifestation à Berlin de plusieurs dizaines de milliers d'Iraniens à l'appel du CNRI le 29 juin 2024 © CNRI

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