L’intégrisme islamiste nous interpelle d’autant plus qu’il y a la situation au Moyen-Orient avec l’émergence de groupes comme Daech et des attentats qui ont frappé la France il y a peu. Pourtant ce phénomène ne date pas d’aujourd’hui. C’est l’enchainement d’un processus qui dure depuis quatre décennies. Pour réagir et combattre ce phénomène, comme tout fléau et toute maladie, il faut le dominer, le comprendre et le connaitre.
J’ai essayé de développer dans une interview en ligne avec le site Iranfreedom.org/fr, les origines contemporaines de ce fléau. Voici quelques extraits.
Malheureusement, vu que notre monde est dominé par des lobbies et par des pôles d’intérêts qui influencent notamment les médias, nous entendons les analyses et les informations les plus folles qui réduisent la situation à des caricatures. Et ils réussissent à rendre inaudibles les experts qui connaissent la région et qui peuvent apporter quelques éléments d’informations et de compréhension. Comme par exemple la réduction de ce phénomène à un simple conflit entre musulmans chiites et sunnites.
Je voudrais revenir 40 ans en arrière. Au Moyen-Orient, une multitude de mouvements de gauche affrontaient des dictatures dans un monde polarisé. Les groupes extrémistes islamistes, qui existaient déjà à cette époque, étaient très marginaux.
Cependant arrive la révolution iranienne, authentique, un mouvement populaire contre la dictature du chah soutenue par les Américains à l’époque. Toutefois, avec la répression menée par sa police politique, la Savak, le chah a éliminé toute l’intelligentsia qui était capable de prendre le devant de cette révolution. Ce sont précisément les extrémistes religieux qui en ont profité. Ils sont dirigés par Khomeiny, en exil en France. Khomeiny est le fruit de la dictature du chah. C’est le chah qui a engendré Khomeiny.
Ainsi pour la première fois dans le monde contemporain, le fait religieux dans sa version la plus extrémiste dans le monde musulman, prend le pouvoir. A partir de là, le régime de Khomeiny essaie de s’imposer. A l’intérieur il se fonde sur l’élimination systématique de ses opposants, et à l’extérieur, il se fonde sur ce qu’il appelle « l’exportation de la révolution », ou de son modèle de théocratie, ce premier califat comme il le nommait parfois, pour pouvoir dominer le monde musulman, car le guide suprême religieux en Iran se considère comme le chef de l’ensemble du monde musulman chiite comme sunnite.
Une armée d’élite pour exporter l’intégrisme
C’est alors que le régime met sur pied des instruments pour exporter la révolution. Le principal outil ce sont les gardiens de la révolution et à leur tête, la Force Qods (Jérusalem), une force d’élite chargée des opérations extraterritoriales. C’est elle qui mène les opérations terroristes, qui entraine les groupes extrémistes, qui tisse tout le réseau intégriste islamiste du régime iranien hors d’Iran. Ainsi se sont constitués une multitude de groupe avec le financement, le savoir faire et les moyens mis à leur disposition par les gardiens de la révolution.
Cette révolution en Iran qui a mis au pouvoir des extrémistes religieux a influencé les décennies qui vont suivre parce que tout d’abord elle ne s’est pas faite dans n’importe quel pays. L’Iran constitue un des fondements de la civilisation musulmane, c’est l’un des pays les plus riches de la région avec des réserves gigantesques en pétrole et en gaz, 2e réserve mondiale de gaz et 3e de pétrole, et de l’autre côté avec au lendemain de la révolution, une population instruite. Tous ces réseaux ont créé les tentacules de cette pieuvre. Cela a parfois créé des rivaux comme Al-Qaïda, qui est un exemple sunnite, mais qui a tantôt flirté avec les mollahs d’Iran, tantôt les affrontés.
Le fait est que depuis cette révolution, l’intégrisme islamiste a pris de l’ampleur dans la plupart des pays musulmans. Pourquoi ces phénomènes se sont fortifiés ? Parce que qu’ils soient l’obédience, sunnite ou chiite, l’intégrisme islamiste a un objectif commun c’est d’instaurer ses règles barbares par la force, sa vision et son interprétation de l’islam qui sont souvent totalement déformées, par la force à d’autres nations et communautés.
Le plus dangereux, c’est celui qui possède l’argent, l’infrastructure, les réseaux, les leviers. De ce point de vue le régime iranien devient la plus grande menace avec ses gardiens de la révolution et la force Qods.
L’objectif commun de l’intégrisme sunnite comme shiite
Au fil des ans, tout un réseau a été mis sur pied précisément sous le contrôle des gardiens de la révolution. Par exemple au Liban, le Hezbollah a été entièrement construit par Khomeiny. Il est totalement inféodé au régime des mollahs. En Irak aujourd’hui, les milices, comme la milice Badr ou Kataëb-Hezbollah ou Assaëb Ahl-el-Hagh sont des forces sous l’hégémonie des gardiens de la révolution. En Syrie, les forces qui épaulent l’armée de Bachar contre l’opposition syrienne sont constituées notamment de différents groupes de diverses nationalités sous le commandement des gardiens de la révolution. Par exemple il y a une brigade afghane, dite brigade Fatemieh, forte de 1300 hommes, sous le commandement des gardiens de la révolution, qui se bat aux côtés de l’armée syrienne, pour préserver la dictature de Bachar Assad. L’exemple le plus récent c’est le Yémen, où depuis une vingtaine d’années les gardiens de la révolution entrainent une tribu qui s’appelle les houthis, qui font partie de la minorité zaydite au Yémen.
Je présente ici un livre sur les gardiens de la révolution écrit par Mehdi Abrichamtchi de la commission de la Paix et de la sécurité du Conseil national de la Résistance iranienne, publié en 2008. (Qui évoquait déjà ces activités au Yémen). Puis le régime iranien a constitué l’Ansarollah pour faire régner son hégémonie au Yémen.
L’échec à Tikrit
Aujourd’hui, en Irak si on a recours aux milices sous les ordres des gardiens de la révolution, la question ne sera pas réglée, comme c’est le cas pour la ville de Tikrit. Contrairement à ce qu’on lit dans la presse, Tikrit qui était sous domination de Daech, n’a pas été prise par les milices chiites et les gardiens de la révolution. Tout simplement parce qu’une zone où la population sunnite domine, ne peut pas être conquise par des milices assoiffées de se venger sur cette population. C’est pourquoi l’offensive des milices chiites sous le commandement de la Force Qods a piétiné.
Il a fallu le retrait de ces milices des environs de Tikrit et les bombardements de la coalition pour pouvoir en venir à bout et l’occuper par l’armée irakienne, sans les milices. Par la suite les milices sont revenues, uniquement pour commettre des crimes et des massacres. Donc plus on utilisera les milices chiites pour combattre Daech en Irak, plus on renforcera Daech et on poussera les tribus sunnites dans les bras de Daech.
Daech a été très aidé par le comportement du régime iranien en Irak et en Syrie. Nous savons par le réseau de la Résistance iranienne et de l’OMPI, qui sont très bien implantés dans le régime des mollahs et notamment des gardiens de la révolution, que ce sont précisément les conseils des gardiens de la révolution qui ont poussé Bachar Assad à libérer des futures leaders de Daech des prisons.
Soleimani : « Daech n’est pas notre ennemi »
Nous savons également qu'Al-Zarqaoui, le géniteur de Daech, qui était à la tête d’Al-Qaïda et de l’Etat islamique d’Irak à son origine, a transité par l’Iran, quand il appartenait à Al-Qaïda après la guerre en Afghanistan. A cette époque, le régime des mollahs a énormément aidé et contribué à ce que ces réseaux et ces éléments qui ont par la suite été actifs en Irak, puissent survivre. Aujourd’hui, je ne pense pas que le régime des mollahs ait l’intention de contrer Daech.
D’ailleurs il y a des informations selon lesquelles, le général des pasdaran Soleimani qui dirige la Force Qods, a briefé des dirigeants de milices chiites sur les objectifs du régime iranien en Irak, en expliquant que « Daech n’est pas notre ennemi et notre ennemi c’est la coalition. Donc nous n’avons pas l’intention de rentrer en guerre avec Daech. »
Le régime iranien préserve un certain nombre de zones qu’il considère comme dangereuses pour lui-même. Il n’a ni la capacité, ni la volonté de reconquérir des territoires sous domination de Daech.
La solution passe par un soutien aux musulmans anti-intégristes
Le plus grand service qu’on peut rendre aux intégristes islamistes, c’est d’assimiler l’islam à l’extrémisme. Ceux qui le font rendent service aux fascistes religieux qui agissent sous le couvert de l’islam. On ne peut pas mettre dans le même sac ces extrémistes minoritaires dans le monde musulman et le milliard de musulmans qui vivent dans le monde.
Les intellectuels en France, s’ils veulent contrer ce nouveau fascisme qui est un ennemi de l’ensemble de nos civilisations, devraient s’allier, s’appuyer sur l’alternative culturelle à ce phénomène. Cette alternative ne peut venir que des musulmans eux-mêmes, des musulmans qui combattent l’intégrisme.
Je constate depuis des années, qu’en raison du comportement complaisant occidental à l’égard du pouvoir en place à Téhéran, on a souvent éclipsé les méfaits de ce phénomène, y compris jusque dans les banlieues en France.
Ce comportement complaisant des Etats et des puissances occidentales pendant des années vis-à-vis du califat à Téhéran a fait qu’on a souvent contourné et ignoré la capacité d’action et la solution culturelle que propose l’opposition iranienne qui a le mérite de tenir tête à ce phénomène extrémiste depuis plus de 30 ans.
Aujourd’hui, je pense que le temps est venu d’y voir clair et de s’allier les uns aux autres pour pouvoir contrer ce phénomène. La solution passe par une alliance, un soutien aux musulmans qui, dans le monde musulman sont en train de lutter et de résister à ce phénomène intégriste ; à commencer par l’opposition iranienne qui a le mérite d’avoir au cœur et dans l’axe de sa coalition une force, les Moudjahidine du peuple, qui se réfère à un islam laïc et tolérant et qui a une expérience de 50 ans de résistance et de lutte contre l’extrémisme le plus violent.
La réponse à cet extrémisme religieux se trouve dans les mains de ces musulmans. Il faudrait leur donner la parole. Il faudrait précisément penser à ce qu’à l’avenir, personne, uniquement au moyen des armes et des bombardements ne pourra venir à bout de ce phénomène. Par contre sur le terrain, ce phénomène va fondre comme la neige devant l’existence et l’émergence d’un islam tolérant, laïc et démocratique qui est représenté par des musulmans eux-mêmes.
C’est ça l’avenir et je pense que les intellectuels ont un rôle extrêmement important pour ouvrir les yeux des autorités, des décideurs sur cette nécessité.