Pour un tribunal international sur la « commission de la mort » de 1988 en Iran
La communauté des défenseurs des droits de l’homme célèbre cette année le 25e anniversaire du « massacre des prisons » de 1988 en Iran, alors que le nouveau président vient de présenter son cabinet qui doit être débattu cette semaine au Majlis. Celui que des lobbies du régime se plaisent à présenter comme un modéré a non seulement gardé le mutisme complice sur un crime qualifié par Amnesty International de « crime contre l’humanité » mais poussel’ignominie jusqu’à nommé comme ministre de la justice un des principaux responsables de cette tragédie. Les démocrates iraniens ont appelé le Conseil des droits de l'homme à former une commission d'enquête sur le massacre de 1988 et un tribunal spécial pour engager des poursuites contre ses auteurs. L’un des rare survivant, Mostafa Naderi(1), 52 ans, propose une Journée internationale de commémoration pour les victimes de ce crime resté impuni. Dans le témoignage qui suit, il nous livre le récit bouleversant de cette frénésie meurtrière des mollahs, qui décimèrent en quelques semaines plus de 30 000 prisonniers politiques, dont la plupart étaient des membres et sympathisants des Moudjahidine du peuple d’Iran. Il nous dévoile quelques aspects de l’action de la « commission de la mort » dont les principaux membres tiennent toujours des postes clés dans l'appareil politique et juridique du régime. C’est l’un des trois membres de ce macabre Commission, Mostafa Pour-Mohammadi, que le mollah Hassan Rohani vient de proposer au poste de ministre de la justice, suscitant l’indignation des défenseurs des droits de l’homme.
Voici le lien pour plus d'information et signer la pétition qui appelle à une enquête internationale sur le massacre de 1988 et la traduction en justice de ses responsables. :
Le témoignage de Mostafa Naderi :
C'était étrange de voir nos geôliers diffuser un film sur les massacres commis par les fascistes de la Garde de fer roumaine pendant la seconde guerre mondiale. Etaient-ils capables d'autant d'horreurs, se demandait-on. En tout cas, aucun de nous ne croyait les gardiens quand ils nous lançaient « on fera la même chose avec vous » !
Je ne me souviens plus combien de temps il a fallu pour que ce terrible été 88 arrive. J'étais moi-même emprisonné dans la sinistre prison d'Evine au nord de Téhéran. Cinq années passées en isolement. Le cachot était la punition pour les têtes dures. La résistance dans les prisons battaient son plein, les mouvements de grève et les chants collectifs brisaient le moral des tortionnaires.
Le cachot fut une épreuve tellement terrible qu’au bout de quelques mois, j’en ai perdu l’usage de la parole. Il m'a fallu longtemps pour la retrouver. Du coup, cette épreuve a fait de moi un des rares rescapés du massacre de 1988. Mon état de santé s'étant détérioré, on avait dû m’emmener à ce qui servait de dispensaire. Un prisonnier de droit commun m'a rapporté que pendant mon coma, les pasdarans avaient appelé mon nom pour me transférer, mais comme personne n’avait répondu, ils étaient repartis.
J’avais été arrêté en 1981 à l’âge de 17 ans pour avoir distribué des publications du mouvement des Moudjahidine du peuple (OMPI). C’est pour cela que j’ai passé onze ans de ma vie dans les prisons d’Evine, de Gohardacht et de Ghezel-Hessar.
Cet été là, il n'a pas été facile de réaliser l'ampleur de la tragédie. Les cachots se vidaient de leurs occupants alors que leurs affaires restaient derrière la porte. Ce qui voulait dire qu'ils n'avaient pas été transférés, mais exécutés.
Le « massacre des prisons »(2) a commencé en août 1988 avec la mise en place d'une commission de la mort, chargée par une fatwa de Khomeiny, fondateur du régime, de purger les prisons des Moudjahidine du peuple, les Monafeghine (« hypocrites » comme les appellent le régime). La commission de la mort était constituée de juges religieux et de représentants du ministère du Renseignement, le Vevak. « Tout individu qui persiste dans son hypocrisie sera considéré en guerre contre Dieu et condamné à mort. Anéantissez le plus rapidement possible les ennemis de l’Islam », avait écrit Khomeiny dans sa fatwa. « J'espère que votre colère et votre haine révolutionnaire contre les ennemis de l'islam entraineront la satisfaction de Dieu»(3).
Le régime avait échoué dans la production de repentis en prison. Hosseini le procureur supplétif bien connu d’Evine nous l’avait avoué : « Nous avons tant fait pour vous ramener vers le droit chemin, mais même les repentis sont redevenus des hypocrites. » C'est pourquoi, comme l'a écrit plus tard le quotidien officiel Djomhouri Eslami, « quand le problème ne se règle pas, il faut supprimer l'équation ». C'est ce qu'avait choisi Khomeiny : la solution finale. Plus de 30 000 prisonniers politiques ont été exécutés en quelques mois.
Le déclic a été la fin de la guerre sanglante avec l’Irak (1980-1988). La dictature religieuse perdait ce qui servait de décharge à ses problèmes. L’ennemi extérieur ayant disparu, face à la résurgence des vrais problèmes intérieurs, il fallait régler son compte à l'opposition.
Ce grand massacre a été perpétré dans le plus grand secret. Les visites des familles avaient été stoppées depuis des mois. Dans la plupart des prisons, pas un survivant ne restera pour témoigner. A Evine, la charpente du grand hangar principal qui abritait les sermons officiels ou les rassemblements forcé des prisonniers, a fait office de potence collective. Les prisonniers étaient pendus à un rythme de 300 à 400 par jour. Les scènes de carnage ont dépassé l’imagination. Beaucoup étaient des victimes étaient des jeunes, filles et garçons, parfois arrêtés alors qu’ils étaient mineurs.
Quand je suis revenu à la section, le choc a été indescriptible : sur les 12.000 prisonniers politiques que comptait Evine, nous n'étions que quelques 250 survivants. Un rapport de l'ONU précise que « les 14, 15 et 16 août 1988, les corps de 860 personnes ont été transférés de la prison d'Evine au cimetière de Behecht-Zahra à Téhéran. »
Plus tard, certain documents révéleront en partie l'ampleur de la catastrophe. Les plus importants sont les lettres adressées à Khomeiny par l'ayatollah Montazeri, alors son successeur désigné. Deux jours après la promulgation du décret, il parle de « la récente fatwa émise par votre éminence sur l'exécution des monafeghine se trouvant toujours en prison ». Montazeri s'indigne de « l'exécution de plusieurs milliers de prisonniers en quelques jours ». Il ajoute dans sa lettre que « les Moudjahidine du peuple ne sont pas seulement quelques individus. Il s'agit d'une idée et d'une doctrine, une sorte de logique. Tuer ne résout pas le problème, mais entraîne la propagation de l'idée que l'on veut combattre ». Montazeri sera déchu et placé en résidence surveillée jusqu’à sa mort en décembre 2010.
Il faut appeler à la constitution d’un tribunal international spécial en vue de juger les auteurs de ce crime, qualifié par Amnesty International de « crime contre l'humanité ». Une juridiction internationale a le devoir de se saisir de ce dossier.
Il est aujourd'hui urgent d'agir, les condamnations à mort rendues à l’encontre des manifestants de 2009 et les exactions qui continuent aujourd’hui sont prononcées par les auteurs mêmes de ce massacre. Les principaux membres de la commission de la mort tiennent toujours des postes clés dans l'appareil politique et juridique du régime, sous les ordres du guide suprême : Ali Khamenei. Il s'agit de Mohseni-Ejeï, procureur général, Ebrahim Raïssi, n°2 du judiciaire, Mostapha Pour-Mohammadi, responsable de l’organisation des inspections de l’Etat, et Mohammad Moghisseh, juge des « tribunaux révolutionnaires » qui condamnent à mort les opposants politiques sous l’inculpation de Mohareb (4).
Nombre de mes anciens compagnons qui ont échappé au massacre ont ensuite été de nouveau arrêtés. La communauté internationale doit faire savoir aux dictateurs iraniens qu’ils ne pourront échapper à la justice. Juger les auteurs des massacres de 1988 sera un signal fort dans ce sens. Cela encouragera également le peuple iranien dans sa lutte pour la liberté.
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(1) Mostafa Naderi, militant des droits de l’homme et résistant iranien, a passé 11 années de sa vie en prison dont cinq en isolement.
(2) Terme utilisé par Amnesty International pour décrire la « vague d'exécutions sommaires, massives et le plus souvent secrètes ». Dans sont communiqué du 19 août 2008 A.I. demande « que les responsables du ‘massacre des prisons’ soient tenus de rendre des comptes. Il ne devrait pas y avoir d'impunité pour des violations des droits humains aussi manifestes, quelle que soit la période à laquelle elles ont été commises. »
(4) Mohareb dans l'article 190 du code pénal : « Tout individu en guerre contre Dieu (Mohareb) et qui propage la corruption sur Terre est passible des châtiments suivants : a) exécution ; b) pendaison ; c) amputation du bras droit et de la jambe gauche, d) bannissement et exil.