afchine alavi (avatar)

afchine alavi

Abonné·e de Mediapart

63 Billets

0 Édition

Billet de blog 19 juillet 2024

afchine alavi (avatar)

afchine alavi

Abonné·e de Mediapart

Iran : Pezeshkian un président par défaut

Le 28 juillet Massoud Pezeshkian désigné comme président de la théocratie iranienne va recevoir son investiture officielle auprès du guide suprême Ali Khameneï lors de la cérémonie de « Tanfiz », et deux jours plus tard, le 30 juillet, c’est sa prestation de serment (Tahlif) au Majlis (Parlement du régime), une simple formalité. Quelques réponses à deux mythes : la particpition et la réforme.

afchine alavi (avatar)

afchine alavi

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Le 28 juillet Massoud Pezeshkian qui est désigné comme président de la théocratie iranienne va recevoir son investiture officielle du guide suprême Ali Khameneï au cours de la cérémonie de « Tanfiz », et deux jours plus tard, le 30 juillet, c’est sa prestation de serment (Tahlif) au Majlis (Parlement du régime), qui n’est qu’une simple formalité. A lire certains médias et « experts » en France on devrait donc assister à l’installation d’un « réformateur » à la présidence à la place d’Ebrahim Raïssi qui s’est fait tuer lors d’un accident d’hélicoptère à la frontière azerbaïdjanaise, le 19 mai 2024.

Illustration 1
Pezeshkian reçoit les chefs des forces armées et du Corps des Pasdaran © https://www.mashreghnews.ir/news

Si l’on s’en tient à Larousse, par réforme on devrait entendre « un changement de caractère profond, radical apporté à quelque chose, en particulier à une institution, et visant à améliorer son fonctionnement ». C’est la définition la plus commune. Ce qui sous-entend une future amélioration de la situation en Iran, c’est sans doute pour cela que certains amis du peuple iranien se sont réjouis du résultat de cette « élection ». Par réforme on peut avoir aussi pour définition : « le retour d'un ordre religieux à l'observation de ses règles primitives » (Larousse). Etant dans un système théocratique en Iran ça peut être aussi perçu dans ce sens. Ce qui reviendrait à rétropédaler et revenir en arrière, c’est un peu ce que disait Moussavi lors du mouvement de 1988. Dans ses affiches électorales son réformisme consistait à un retour à l’époque et à « parfum ! de Khomeiny », estimant que le pouvoir en place s’est égaré de la conception primitive du Khomeiny. Historiquement, d’ailleurs, le courant dit « réformiste » au sein du régime actuel, est issu de ceux que l’on appelait jadis la ligne de l’Imam. C’est-à-dire ceux qui durant le règne de Khomeiny de 1979 à 1988 dominaient la scène politique, et ont exercé les pires horreurs et massacres à l’encontre des opposants au régime. Tout cela n’a rien de réjouissant.

Les parcours des réformes, un moment pour rêver

Pour être plus optimiste, peut-être que devons-nous nous en tenir à la définition « des réformes » et non de « la réforme », dans ce cas se serait : « une amélioration progressive et limitée de la société, dans le cadre des institutions existantes et sans recours à l'action révolutionnaire ». Voyons un peu ce que cela doit signifier. Si l’on suit cette logique, le nouveau président réformateur devrait procéder à des réformes en Iran, sinon il ne mériterait en rien cette attribution. C’est ce qu’on verra. Il serait trop tôt, vous conviendrez, de le juger maintenant puisqu’il n’est pas encore investi. Mais au lendemain de son investiture à la fin du mois de juillet on devrait s’attendre à des signes d’améliorations même progressives dans la société.

Illustration 2
Massoud Pezeshkian auprès du Guide suprême du régime Ali Khameneï après la mort de Raïssi © CNRI https://fr.ncr-iran.org/publications/rapports-speciaux/masoud-pezeshkian-un-partisan-de-la-ligne-dure-en-tenue-reformiste/

Pour être plus précis, quels sont les domaines d’amélioration que le peuple devrait logiquement attendre d’un réformiste en Iran ? Essayons de l’imaginer, il n’est pas interdit de rêver.

  • Compte tenu des évènements depuis le soulèvement de 2022, suivant la mort de la jeune Jina Mahsa Amini, la première mesure devrait être l'abolition du voile obligatoire et la fin de toutes les patrouilles de mœurs (Gashté Ershad) chargées de la répression des femmes.
  • On ne peut pas parler non plus de réforme et continuer à maintenir dans les geôles, ceux qui ont manifesté ou sont des opposants ! Donc la deuxième mesure devrait être de libérer tous les prisonniers politiques et ouvrir les portes des prisons aux missions d'enquête internationales, ce que le régime a refusé jusque-là.
  • Le régime actuel a le record le plus sordide de l’application de la peine de mort dans le monde. Il serait donc normal d’attendre d’un réformiste qu’il abolisse la peine de mort ainsi que toutes les formes de torture et de châtiments inhumains tels que le fouet, l'amputation des mains et l’énucléation qui sont pratiqués par le pouvoir. Sinon, admettons qu’un réformiste avec des pratiques obsolètes et cruelles médiévales n’aurait pas de sens.
  • Il faudrait aussi entrer dans l’air moderne et pour cela annuler les restrictions et le filtrage de l’internet en cours, une méthode de censure propre aux Etats totalitaires.
  • Il faudrait que les universités soient libres et dépourvues des miliciens qui contrôlent les professeurs et répriment les étudiants. Pour cela il est nécessaire d’ordonner le départ des universités des représentants de Khamenei, des miliciens du Bassidj et des agents de renseignement des pasdarans et du ministère du Renseignement.
  • La réforme devrait signifier la fin de la terreur. Il est donc essentiel de démanteler les tribunaux du régime dits « révolutionnaires » qui ordonnent les peines les plus cruelles pour des délits les plus infimes et sont des instruments pour éliminer les opposants politiques.
  • La réforme signifie une politique régionale et internationale différente, mettant fin au soutien aux groupes terroristes mandatés tels que le Hezbollah, les Houthis et d’autres.
  • La réforme devrait également inclure la fin des prises d’otages, la libération des otages et la fin du terrorisme d’Etat iranien en Europe.
  • Il faudrait surtout garantir les droits des travailleurs, des ouvriers, des employés, des éducateurs, des infirmières et des retraités qui sont réduits à vivre en dessous du seuil de pauvreté, privés de leurs droits les plus élémentaires, de leurs salaires parfois, des garanties d’emploi, d’assurance et à la merci de leurs employeurs dans un système ultralibéral sauvage dominé par les Pasdarans et des fondations religieuses, qui accaparent toute l’économie du pays.
  • Alors que la majorité du peuple iranien n’a pas de quoi se nourrir convenablement, il est essentiel de mettre fin à des dépenses astronomiques dans les domaines des armements et de stopper les détournements des milliards de fonds et de se consacrer à diminuer les prix des biens essentiels et des services publics, du pain, de l'électricité, du gaz, de l'essence, des médicaments et du logement.
  • Alors que toutes les élections sont des mascarades puisqu’un Conseil des gardiens nommé par le guide suprême, filtre les candidats pour ne retenir que ceux qui sont entièrement fidèles au guide suprême, il est primordial de mettre fin au fonctionnement de ce Conseil de gardiens, pour avoir une vie démocratique dans le pays. Il faudrait donc renouveler les dernières élections législatives sans exiger l'adhésion au Guide suprême, en mettant l'accent sur la liberté d'expression et de réunion.

Tout ce qui vient d’être dit n’est en aucun cas révolutionnaire mais le strict minimum pour mériter le titre de « réformateur » en Iran.

Si vous êtes sceptiques, si vous pensez que les changements énoncés ci-haut sont hors de portée, et si vous pensez que Pezeshkian n’est pas celui qui les entamera alors vous pensez comme la majorité des Iraniens. Tout simplement parce que 45 années de pouvoir despotique avec trois expériences de prises de pouvoirs de présidents qualifiés de « modéré » ou de « réformiste » ou tout simplement de « conservateur pragmatique », depuis Ali-Akbar Rafsandjani à Hassan Rohani en passant par Mohammad Khatami, jamais de vraie réformes n’ont pu être entamées. La prise de conscience collective durable de l’improbabilité de réformer le régime s’est davantage renforcée depuis le soulèvement de 2017 incarnée par le slogan : « réformateurs, conservateurs, le jeu est maintenant terminé ».  Le jeu de dupe du pouvoir entre « conservateurs » et « réformateurs », n’a donc plus d’effet sur la population iranienne. Tout le monde sait qu’il s’agit de clans mafieux qui s’affrontent pour le partage du pouvoir et des privilèges, sans avoir de divergences doctrinales fondamentales ou majeures. Les deux camps visent à consolider cette théocratie qui leur est bénéfique, au détriment du peuple.

Briser les mythes

Alors la question qui se pose est : pourquoi le peuple s’est laissé duper encore une fois en élisant Pezeshkian, pourtant approuvé par le Conseil des gardiens ? Quelque 61 millions d’Iraniens étaient appelés aux urnes dans les 58 638 bureaux de vote. Pezeshkian aurait obtenu 16 384 403 voix, c’est-à-dire 53,6 % des suffrages exprimés et le taux de participation officiel au deuxième tour était de 49,8%. C’est bien ce que nous répètent les médias. Leur source est évidemment le ministère de l’intérieur iranien. La source la plus fiable dans un état de droit. Seulement là, nous ne sommes pas dans un Etat de droit, mais dans une structure de pouvoir mafieuse. Pour comprendre ce qui se passe en Iran il faudrait donc briser deux mythes à propos de l’élection en Iran. Celui de la participation aux élections et celui de l’existence d’une quelconque volonté de réforme à propos de Pezeshkian ou de quiconque au sein des clans de cette théocratie.

Pour tout dire dès le début, lors de cette mascarade électorale en Iran pour la présidentielle, il y a eu deux enjeux. La confrontation entre le peuple et le pouvoir en place qui s’est manifestée par une abstention record et historique de l’ordre de 91%. Nous allons le voir plus loin. L’affrontement entre les clans internes du régime s’est manifesté par la victoire de Pezeshkian. Les deux contribuent à un patent affaiblissement du pouvoir en place.

Convenons toutefois que si l’une des mesures de réforme en question se réalisaient dans les jours qui viennent, nous nous en réjouissons et cela signifierait que la brèche qui s’est créée lors de cette épisode récente après la mort de Raïssi, se soldera par un effondrement rapide du régime. De même que l’ouverture accordée sous la pression du président américain Jimmy Carter à la fin de la dictature du Shah, n’a pas servi à sauver la dictature monarchiste, mais a accéléré la chute du Shah. Mais arrêtons de rêver pour voir les choses de manière plus claire et réaliste.

Et si c’était le point final au mythe de la réforme

Pour apprécier la dose réformiste de Pezeshkian, à défaut de le juger de son action future, on peut le mesurer par son comportement avant et après son « élection ». Le 12 juillet dans un « message au nouveau monde » paru dans le journal officiel en langue anglaise Tehran Times, il développe les grandes lignes de sa politique étrangère. On ne découvre, sans surprise, aucune originalité et rien d’innovant. Il prétend vouloir entamer « un dialogue constructif » avec l’Europe, ou sortir l’Iran de son isolement, des refrains constants auxquels sont habitués les diplomates étrangers dans leur dialogue de sourd avec leurs interlocuteurs venus de Téhéran : renforcement des relations avec nos voisins, coopération avec tout le monde, prospérité régionale… Mais au-delà des ritournelles de blablas on décèle plusieurs points dans cette tribune de Pezeshkian:

  • La continuité de la main tendue vers la Chine et la Russie qualifiées d’alliés stratégiques précieux qui « ont toujours été à nos côtés dans les moments difficiles », et poursuivre les accords avec la Chine.
  • Les mêmes reproches d’engagements non tenus des Européens à propos du blocage de l’accord nucléaire du JCPOA. Le programme secret et controversé du régime en vue d’une bombe nucléaire, ou les actions de terrorisme d’Etat propagées dans le monde, sont qualifiés de « crises fabriquées de toutes pièces (par l’Occident) qui gangrènent nos relations». Et de conclure que « l’Iran ne répondra pas aux pressions ».
  • Pezeshkian qualifie, au passage, le terroriste Qassem Soleimani, commandant en chef de la force Qods des gardiens de la révolution qui a procédé à des génocides des populations sunnites et des intellectuels en Irak et en Syrie, protecteur du dictateur Bachar Assad, architecte du massacre des membres de l’OMPI aux camps d’Achraf et de Liberty, de « héros anti terroriste mondial» !

« Je considère Qassem Soleimani, disait-il d’ailleurs, comme la fierté de notre nation et une épine dans le flanc de l'ennemi. C’est un modèle et si les jeunes le suivaient, nous pourrions résoudre de nombreux problèmes du pays grâce à sa vision. » avait-il déclaré à l’Agence de presse ISNA le 2 juillet 2024.

  • Dans une réponse aux félicitations du dictateur syrien, Pezeshkian a souligné le soutien de l'Iran à la Syrie et à la « résistance », ainsi que le renforcement des relations bilatérales.
  • Par ailleurs la dépendance de Pezeshkian à l’égard des Gardiens de la révolution n’est qu’un secret de polichinelle. Le 5 décembre 2022 il déclarait : « Je porte à nouveau un uniforme militaire ; sans le corps des gardiens de la révolution islamique, ce pays aurait été divisé et notre sort aurait pris fin ».( Agence Daneshjou ).
  • Le discours vis-à-vis de la guerre au Proche-Orient n’a pas changé d’un iota. En effet les messages et appels échangés entre le nouveau président du régime et les proxies dans la région ne laissent aucun doute dans ses intentions. Selon l’agence officielle IRNA, dimanche 14 juillet, dans un appel téléphonique à Mehdi Al-Machat, chef du conseil suprême politique des Houthis, Pezeshkian rend hommage aux actions du chef de la milice Ansarollah au Yémen pour son soutien à la Palestine, qualifiant ses actes de « courageux». Ce qui est un soutien aux attaques qu’effectue ce groupe contre la navigation internationale.
  • Pezeshkian avait assuré auparavant le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, de son soutien. Dans un message qu’il lui adresse le 8 juillet, il déclare : « La République islamique d’Iran a toujours soutenu la résistance des peuples de la région». (Agence Mehr)

En effet, toute les promesses d’ouverture en ce qui concerne les relations internationales, y compris les négociations sur les programmes nucléaire et balistique, étant du domaine réservé du guide suprême, le président de la république est à la merci des humeurs et des lignes tracées par Ali Khameneï. C’est d’ailleurs ce que dit clairement Pezeshkian, mais les optimistes font la sourde oreille. Voici quelques-unes des déclarations de Massoud Pezeshkian durant sa campagne ou après sa victoire :

  • « Nous n'allons pas écrire un nouveau programme et annoncer une nouvelle politique dans le pays. Les politiques générales du Guide suprême sont claires (…) tout gouvernement qui arrive au pouvoir doit mettre en œuvre le plan de développement basé sur les politiques générales annoncées par le Guide de la révolution ». (Aftab News (aftabnews.ir) – 10 juin 2024)
  • « J’adhère au Guide suprême. Je suis totalement absorbé par son leadership.» (Machrek News (mashreghnews.ir) - 17 juin 2024)
  • « Le soutien à la résistance est enraciné dans les politiques fondamentales de la République islamique d’Iran, les idéaux de l’imam Khomeiny et les directives du Guide suprême et se poursuivra avec force. » (Agence de presse ISNA - 8 juillet 2024)

Le mystère d’un changement de cap chimérique en matière de politique étrangère semble donc résolu. D’ailleurs, Khamenei a clairement et publiquement intimé Pezeshkian de poursuivre la même politique que Raïssi et de choisir ses collaborateurs parmi ceux qui ne portent pas leurs attentes vers l'Occident et les Etats-Unis.

Quant à l’intérieur de l’Iran et les critères des réformes de la société, Pezeshkian a fait des promesses, mais rien de concret. Il a parlé du port obligatoire du voile, laissant entendre un laisser faire, mais sans expliquer les mesures à entreprendre, qu’est-ce qu’il va faire des patrouilles réprimant les femmes ? Il a parlé de la nécessité de rendre l’internet libre d’accès, mais prenant soin de dire que dans des circonstances particulières il faut le couper comme partout ailleurs ! l’un de ses conseillers a d’ailleurs démenti par la suite à la télévision d’Etat que Pezeshkian aurait pris l’engagement de supprimer les restrictions sur l’internet.

Pourquoi est-il évasif sur ces questions ? Tout simplement parce que c’est en contradiction avec ses convictions profondes et ses actions passées. Voici un aperçu de quelques-uns de ses œuvres dont il s’en est lui-même vanté ouvertement :

  • Le 27 novembre 1993 il avait avoué : « Au début de la révolution, j'étais chargé de nettoyer la société, on ne discutait pas encore de l’hijab, et j'ai rendu l’hijab obligatoire dans les hôpitaux et les universités. » (Raja News - 1er juillet 2024 )
  • « Au début de la révolution, j'ai fermé la section féminine de l'université parce que des étudiants de sexe masculin s’y rendaient. Nous sommes dans un pays islamique, avons-nous déclaré au Conseil suprême de la révolution culturelle, et maintenant les hommes ne peuvent plus fréquenter la section des femmes, et même maintenant, il se passe des choses illégales qui ne devraient pas arriver. » (Pezeshkian, 17 janvier 2016)
  • Le 4 juillet 2024, Radio Farda, diffusée en Europe explique que dans ses déclarations, Pezeshkian a souligné comment il avait empêché les activités des groupes non-conformistes à l'université par des mesures « révolutionnaires ». Il a évoqué son rôle dans les purges politiques dans les universités. (…) Pezeshkian a souligné dans une émission télévisée son rôle dans l'interdiction d’examiner les femmes à la faculté de médecine pour des raisons religieuses. Il a déclaré que les femmes et les filles devraient être « éduquées » par les hommes de la société et par des institutions telles que les séminaires, les mosquées, la radio et la télévision. Il a déclaré que si désormais les femmes et les filles ne portent pas l’hijab, ces institutions seront à blâmer.

La guide suprême sort affaibli

Toutefois il semble bien que Pezeshkian n’était pas le favori du guide et il désirait voir quelqu’un qui soit proche du profil d’Ebrahim Raïssi. Le boucher de Téhéran comme on l’appelait jouait un rôle unique, indépendamment de son mandat présidentiel, c’est pourquoi sa mort constitue un coup irréparable à ce régime fasciste religieux. D'une part, il était plus que tout un défenseur acharné des intérêts du pouvoir en raison de sa participation active aux exécutions massives de prisonniers politiques dans les années 1980, particulièrement le massacre de 1988, (30 000 prisonniers politiques ont été exécutés par le comité de la mort auquel il appartenait) et à la répression des soulèvements populaires des dix dernières années. De plus, il était un partisan absolu et disciple inconditionnel de Khamenei. Par conséquent le guide suprême peut remplacer la fonction du président mais pas l’homme qui était la pièce maîtresse de son système de contrôle du pouvoir.

Dès le début des soulèvements populaires qui se sont succédé depuis fin 2017, Khamenei a décidé de purger le système de toute « impureté » pour en garantir la survie. Ecartant du pouvoir toutes les factions qui n’avaient pas une totale allégeance au guide. Raïssi était l’homme clé qui a joué un rôle majeur dans cette « épuration ». Il faisait mieux l’affaire que quiconque, puisqu’en raison de sa position subalterne dans la hiérarchie religieuse, et sa mauvaise réputation de bourreau, il n’était pas en mesure d’être une menace pour l’hégémonie du Guide suprême.

Dans cette théocratie, il y a toujours eu un conflit entre la bureaucratie gouvernementale, d'une part, et la « Maison du Guide » et les Gardiens de la révolution d’autre part. Pour la première fois sous sa présidence, Raïssi a résolu ce conflit en faveur de Khamenei et du corps des pasdarans. En d’autres termes, avec Raïssi, la bureaucratie gouvernementale était pratiquement sous le contrôle de Khamenei et du corps des Pasdaran. L'un des résultats de cette situation a été le contrôle total de l'économie du pays par ces deux entités. La conséquence la plus importante est que les moyens du gouvernement ont été entièrement alignés sur le bellicisme extérieur. Par conséquent, se lancer dans l’aventure aux conséquences ô combien tragiques du 7 octobre 2023 au Proche-Orient n’a pu être possible qu’avec un Raïssi docile à la présidence.

Pourquoi Khameneï a consenti à la victoire de Pezeshkian

On peut alors se demander si la stratégie du guide suprême est depuis plusieurs années l’épuration dans ses rangs et d’homogénéisation du pouvoir pour préparer le terrain à la succession, très probablement, de sa progéniture Mojtaba Khameneï. Pourquoi alors a-t-il concédé à la candidature de Pezeshkian ?

La réponse est qu’il est confronté à une crise existentielle, l’une de ses principales préoccupations lors de cette présidentielle étant l’abstention.

Récapitulons les crises :

  • Depuis décembre 2017, le pays a subi11 soulèvements, dont les plus connus en 2017, novembre 2019 et en automne 2022. Ces soulèvements menacent de plus en plus la survie du régime.
  • Pour détourner l’attention de cette menace, Khamenei a propulsé la région du Moyen-Orient dans une guerre par proxys interposés. Mais la guerre au Proche-Orient risque de s’étendre et d’enflammer aussi son propre pouvoir.
  • Depuis la répression du soulèvement de 2022, et des milliers d’arrestations, les activités des unités de résistance de l’OMPI sont en croissance. Rien qu’en un peu plus d’un mois en juillet 20 000 actions de résistance défiant le régime sont enregistrées à travers le pays. Le pouvoir montre un essoufflement dans sa capacité de réprimer ce phénomène.
  • La dernière crise est engendrée par le vide créé par la disparition de Raïssi dont on vient d’évoquer l’importance. Cette disparition ouvre la voie à des dissensions internes au pouvoir comme on peut le constater à l’occasion de la présidentielle.
  • A tout ceci il faudrait ajouter une crise économique terrifiante qui entraîne la majorité des Iraniens dans la pauvreté, avec des revenus en dessous du seuil de pauvreté, l’inflation de l’ordre de 80% et les prix en hausse.

L’ensemble de ces crises ont entraîné un phénomène qui confronte le régime à une crise de légitimité avec ces abstentions en chaîne.

20000 actions des unités de résistance en Iran © CNRI

L’abstention record et le président le plus faiblement élu

Les élections en Iran ont toujours été des rivalités entre factions du régime dont étaient exclus tous les opposants à l’extérieur du système. On sait que le Conseil des gardiens prend soin d’autoriser à se présenter seulement les candidats dont la fidélité au guide suprême a été prouvée dans la pratique. Les élections sont donc une couverture du régime pour se donner une légitimité qu’il a perdu depuis longtemps. Mais depuis les crises que nous venons d’évoquer, au lieu de servir de camouflage à son illégitimité, les élections dévoilent de plus en plus son impopularité. Même en prenant pour argent comptant les chiffres officiels de « l’engineering électoral », on perçoit la chute libre de l’indice de popularité du régime. Officiellement, la participation depuis la présidentielle de 2017 est en chute libre. Au premier tour des élections législatives de mars 2024, le régime annonce une participation de 41 %. Au deuxième tour des législatives en mai 2024, dans la capitale Téhéran, la participation n’est plus que de 7 %. Au premier tour de la présidentielle de 2024, qui a suivi la mort accidentelle de Raïssi, le régime a reconnu seulement 39,92 % de participation. Il s’agit de chiffres officiels, donc particulièrement à prendre avec des pincettes.

Khamenei s’est ouvertement inquiété de cette abstention lors du premier tour, et a avoué que la participation « n’était pas à la hauteur des espérances et était inférieure à ce que nous attendions et ce qui avait été prévu. (…) Il y a des raisons et les politiciens et sociologues, les examineront, mais si quelqu’un pense que ceux qui n’ont pas voté sont contre l’ordre établi, il a tout simplement tort. »

Le boycott des élections depuis quelque temps est la grande surprise du régime. L’abstention était donc la priorité du régime lors de cette élection. L’abstention n’a d’autre sens que d’ouvrir la voie à une insurrection déterminante qui mettra fin à l’existence du régime dans sa totalité.

C’est l’unique raison pour lequelle le guide suprême a consenti la participation d’un candidat du clan réformateur. Les têtes de fils de ce courant ont conditionné leurs participations à l’élection à l’acceptation d’une des trois candidats qu’ils ont proposés. Khameneï a choisi celui qu’il considérait le plus docile et le moins dangereux : Massoud Pezeshkian.

Ce n’est donc pas si anodin que dans son discours au mausolée de Khomeiny, au lieu de remercier ses électeurs, Pezeshkian a déclaré : « Concernant les votes, nous devons d'abord remercier le Guide, car sans lui, nous ne pensons pas que mon nom serait sorti de ces urnes ». (Entekhab – 6 juillet 2024)

Au matin à 8 heures, au deuxième tour, Khameneï donne le ton à son appareil de propagande en annonçant au moment du vote que la tendance est à la hausse aujourd’hui, ce dont il s’en réjouit. Comment savoir que le taux de participation au deuxième tour est plus élevé, alors que le scrutin n’a à peine commencé ?! Il faut être sans doute guide suprême et dans les secrets des Dieux pour l’affirmer. Finalement, à la fin du scrutin, le régime annonce un taux de participation de 49,8%. Ceci contraste largement avec la courbe de toutes les élections depuis de nombreuses années. Ceci contredit les observations même des journalistes et des témoignages qui circulent toute la journée sur les réseaux sociaux et qui évoquent une plus forte abstention au deuxième tour.

Sachant que le régime s’arrange à chaque fois à multiplier le nombre de votant pour dissimuler l’abstention, on doit considérer que les chiffres réels sont extrêmement inférieurs à ce deuxième tour. Mais le fait est que Pezechkian est le président le plus mal élu de l’existence de ce pouvoir religieux depuis 45 ans avec seulement 26% des voix de l’ensemble des électeurs. Je rappelle qu’il s’agit toujours de chiffres officiels !

Les taux réels de l’abstention est de 91%

En réalité, le boycott de l’élection présidentielle a marqué un échec majeur et sans précédent pour Khamenei. Selon l'évaluation du QG social de l’OMPI à l’intérieur du pays, et à partir de l’observation de 14 000 bureaux de vote, seuls 12 % ont participé au premier tour des élections et à peine 9 % au second tour, suite à l’observation de 2 000 bureaux de vote répartis dans toutes les provinces au cours des 16 heures du scrutin. Ce qui veut dire que 88 % des Iraniens ont boycotté la mascarade électorale au premier tour, et 91% d’abstention enregistrée au deuxième tour.

Premier tour 81% d'abstention en Iran © CNRI

La tendance à l’abstention touche toutes les couches, toutes les régions, toutes les villes et les villages, toutes les nationalités et religions, y compris les kurdes, les Azéris ainsi que les sunnites comme les chiites, La majorité de la classe moyenne et l’essentiel de la jeunesse, n’ont pas voté. C’est un grand désastre pour l’ensemble du pouvoir, car la soi-disant bande réformiste participait pleinement aux scrutins, ce qui signifie que le régime a utilisé tout son potentiel qui ne vaut plus grand-chose.

Boycott de 91% des électeurs en Iran © Afchine Alavi

Par ailleurs, durant cette épreuve le clan conservateur s’est divisé dans les rivalités. Aucun des deux challengers conservateurs, Saïd Jalili ou Mohammad-Bagher Ghalibaf, a consenti à se désister en faveur de l’autre. L’engineering électoral de Khamenei a échoué à tous les niveaux. Le camp conservateur s’est effrité durant cet affrontement et tout le travail accompli par Raïssi s’est envolé en fumée. Le régime est le grand perdant de cette élection. Le guide suprême ne peut empêcher un double affrontement :

  • La bataille entre les factions internes du régime qui s'est intensifiée à l’occasion de cette succession. Ces clivages et rivalités qui parcourent toutes les institutions du pouvoir y compris les gardiens de la révolution et surtout dû à des concurrences entre clans pour le partage de l’exploitation des richesses naturelles et des holdings économiques et industrielles du pays.
  • L’affrontement inévitable dans une prochaine étape avec le peuple qui ne se reconnaît pas dans ces factions.

L’impasse

L’impasse est là. Khameneï a dû se contenter d’un président par défaut. Mais il n’a pas les moyens de tenter une ouverture, il a l’intention de continuer l’épuration, de continuer la répression, sa guerre dans la région et la poursuite des projets nucléaires et balistiques. Mais sans Raïssi, ce sera plus compliqué et les divergences apparaissant au sommet du pouvoir vont accélérer le processus ouvrant la voie au renversement du régime.

Les interrogations des chancelleries occidentales portent sur l’impact du président dans ce système. Il reste très limité. Il ne pèsera pas du tout dans les conflits en cours comme à Gaza et en Ukraine, ne modifiera pas les projets nucléaires et balistiques et n’aura pas d’influence sur l’économie. Depuis 2021 les forces de sécurité sont sous le commandement du QG des forces armées pour coordonner la répression en collaboration du ministère des renseignements et les gardiens de la révolution, sous l’influence de Mojtaba Khamenei. Les ministres des affaires étrangères, de la défense, de l’intérieur et des renseignements sont nommés par Khamenei. La politique concernant les pays de la région du Proche et Moyen-Orient ne dépend même pas du ministère des affaires étrangères mais de la force Qods qui répond directement à Khamenei. Même la banque centrale est sous le contrôle d’un conseil de religieux nommé par le guide suprême. Le guide contrôle en plus les commerces pétroliers et les industries pétrochimiques et leur exportation. Pour dire que le nouveau président ne changera pas la stratégie, mais peut juste ralentir l’élan du guide.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.