Ce n’est pas seulement en France qu'une élection cruciale se profile fin juin, mais également en Iran. Depuis le décès d’Ebrahim Raïssi dans un accident d’hélicoptère le 19 mai dernier, la théocratie iranienne est précipitée dans une crise politique imprévisible et est à l’épreuve d’une élection présidentielle ce vendredi 28 juin, dans un contexte complexe et tendu. S’agit-il d’une élection ou d’une sélection, et quels sont les véritables enjeux ? Nous allons tenter d’y répondre.
Le scénario théâtral s’est répété, encore cette fois, avec le désistement annoncé de deux candidats ultraconservateurs retirés jeudi de la course à l'élection présidentielle de ce vendredi. Amirhossein Ghazizadeh Hashemi un adjoint de Raïssi et Alireza Zakani, maire conservateur de Téhéran depuis trois ans, se sont retirés après que le guide suprême Ali Khameneï a définit les conditions du président idéal pour le régime. En bref selon lui, le futur président ne doit pas porter le regard vers l’étranger ou les Etats-Unis, ne pas être éloigné des positions de « l’Imam » (c’est-à-dire de Khameneï lui même), et être un gestionnaire... Ces désistements expliquent aussi l’inquiétude du guide de perdre le contrôle de la situation puisque l'enjeu dépasse la présidence, mais touche à l'existence même du régime.
Élection ou Sélection
Les quatre protagonistes restés en lice ont été sélectionnés parmi près de quatre-vingts candidats, après avoir passé le filtre du Conseil des Gardiens, un organisme nommé directement et indirectement par le Guide Suprême, Ali Khameneï. Selon ce conseil, les prétendants doivent remplir plusieurs conditions, notamment la fidélité au principe du guide suprême religieux, à la fois par conviction et par preuve dans l'exercice de leurs parcours politiques.
Mais cette fois-ci, une autre exigence non-dit a fait son apparition : une obéissance totale à Ali Khameneï. Cette exigence est cruciale en ces temps de crises, bien que son application reste relative. Tous les candidats ont des liens avec les factions des Gardiens de la Révolution et ont occupé des fonctions significatives tout au long des décennies de règne de cette théocratie. Ainsi, aux yeux d'une population désabusée et révoltée, qui ne discerne aucune différence fondamentale entre réformateurs et conservateurs, les candidats sont souvent décrits comme "bonnet blanc et blanc bonnet", reflétant parfois une divergence tactique mais certainement pas idéologique ou pratique. Chacun rivalise pour se présenter comme un digne héritier de Raïssi.
Profils des candidats restants :
- Mohammad Bagher Ghalibaf (62 ans) : Ancien officier supérieur des Pasdaran, actuel président du Majlis (Parlement des mollahs), ancien maire de Téhéran et candidat présidentiel à trois reprises. Ghalibaf représente le Conseil de coalition des forces révolutionnaires (Shana), une faction proche de la force Qods des Gardiens de la Révolution.
- Saeed Jalili (58 ans) : Membre du Conseil de discernement et ancien secrétaire du Conseil suprême de sécurité nationale. Il a dirigé l'équipe de négociation nucléaire pendant quatre ans. Il est soutenu par le Front de résistance (Djebhé Paydari), une faction conservatrice liée aux Gardiens de la Révolution. Il s'est déjà présenté deux fois à l'élection présidentielle et s'est retiré en faveur de Raïssi lors de l'élection de 2021.
- Mostafa Pourmohammadi (65 ans) : Mollah, il a fait partie du célèbre « Comité de la mort », connu pour son rôle aux côtés de Raïssi dans les exécutions des prisonniers politiques en 1988. Il est soutenu par le Conseil de l'unité, une coalition de conservateurs traditionnels.
- Massoud Pezeshkian (70 ans) : Ancien ministre de la Santé, le seul candidat de la faction dite réformiste. Toutefois en raison de ses positions conservatrices, il est présenté comme un "conservateur réformiste". Il s'inscrit dans la continuité précisant qu'il n'avait aucun plan à proposer, que le plan avait déjà été déterminé et que sa tâche serait de le mettre en œuvre. Il a décrit sa candidature comme une mission visant à inciter les électeurs à participer au scrutin.
Le grand défi : l’abstention
Quel que soit l'issue vendredi, ce scrutin devrait avoir des répercussions limitées car le président a des pouvoirs restreints. Dans ce système, le président n’est qu’un chef de gouvernement. C'est le Guide Suprême qui exerce le pouvoir absolu. Les électeurs iraniens en sont conscients, c’est pourquoi le risque majeur pour le régime est un boycott national, comme cela s’est produit lors des prétendues élections parlementaires de mars et mai 2024. Les élections en Iran maintiennent l'illusion de la démocratie, mais elles sont étroitement contrôlées par les religieux au pouvoir. Aujourd’hui, personne ne doute que toutes les élections, qu’elles soient locales, provinciales ou nationales, sont une imposture et constituent un processus de sélection soigneusement orchestré. Les élections législatives de mars ont connu un taux de participation extrêmement faible, seulement 7 % des électeurs éligibles ayant voté, signe de désobéissance civile et de rejet de la légitimité du régime, exigeant son renversement. Le pouvoir a tenté de grossir les chiffres en prétendant à un taux de participation de 41 %, mais cela a été perçu comme une farce. Le deuxième tour a été encore pire, les principaux candidats de Téhéran n'ayant obtenu que 3,5 % des voix des électeurs éligibles. Ce bouleversement risque de se reproduire.
La présence d’un candidat du clan « réformateur » et les cinq débats télévisés sans grands attraits, n’ont pas suffi à créer de l’enthousiasme pour la participation du peuple à ce scrutin. Le débat a mis en lumière le sentiment général de désillusion parmi les électeurs. Un journaliste affilié à l’État a noté : « Depuis les élections non compétitives de 2021, l’atmosphère sociale qui a précédé les élections n’a jamais été aussi terne. »
Le journal officiel Etemad a critiqué les débats pour ne pas avoir suscité d’enthousiasme : « Plutôt que de dynamiser les élections, les débats ont tué l’enthousiasme. De nombreux électeurs ont été déçus par le faible niveau de connaissances et de capacités des candidats ».
Le peuple avait déjà sonné les glas du jeu entre conservateur et réformateur en scandant « conservateurs, réformateurs, le jeu est maintenant terminé », nous ne serons donc plus dupés.
L’enjeu : la succession du Guide Suprême
En fin de compte, l'enjeu n’est pas le futur président, mais la consolidation du futur dauphin du Guide Suprême. La disparition de Raïssi n'a pas seulement entraîné la perte d'un président, mais celle de la pièce maîtresse du mécanisme de succession mis en place pour l'implantation du futur dauphin. Raïssi (impliqué dans le massacre de 30 000 prisonniers politiques en 1988, dont 90% de militants des Moudjahidine du peuple - OMPI), était perçu comme un exécuteur docile et obéissant, indispensable au Guide Suprême pour garantir la stabilité du régime en colmatant les fissures et en partageant le pouvoir entre les factions mafieuses des Gardiens de la Révolution. Si Khameneï tente de placer son fils Mojtaba Khameneï comme successeur, cela pourrait provoquer une forte contestation au sein des clans internes. Il a donc besoin d’un président qui lui soit pleinement dévoué, à l’image de Raïssi. De ce point de vue, l’élection de juin est également perçue comme une impasse pour Khameneï, car aucun candidat ne semble capable de remplacer efficacement Raïssi et de combler le vide laissé. Le Guide Suprême doit trouver un allié capable de consolider le pouvoir et d'assurer une transition en douceur, sous peine de voir le régime sombrer dans des luttes internes. Les quatre candidats actuels ne sont que des choix par défaut.
Tout ceci survient après les manifestations de 2022, sur fond d’un désastre économique et social, et le risque d’un nouveau soulèvement. Dans ce contexte la montée des actions des « unités de résistance » de l’OMPI qui défient le pouvoir des Gardiens de la Révolution à travers le pays, avec le slogan "femme, résistance, liberté", dévoile l’impuissance du régime. Solidaire de l’intérieur, au lendemain de cette pseudo-élection, les Iraniens de la diaspora prévoient un impressionnant rassemblement à Berlin, pour un Iran Libre. Le message à passer en Iran comme à l’extérieur est que l'espoir n’est pas dans un simulacre d’élection, mais dans une révolution pour une république démocratique et laïque.