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Billet de blog 4 avril 2022

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La scène rap marocaine est venue présenter ses talents à Saint-Denis

Samedi soir le chapiteau Rajganawak à Saint-Denis a vibré sur le rap engagé de différents rappeurs marocains, emmené notamment par Mehdi Black Wind. Présentation d'un rappeur qui n'a jamais renié son engagement politique en faveur d'une societé marocaine plus libre, et utilise son talent pour faire passer son message.

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Pour ceux qui s’interresse un peu au hip-hop, les artistes Draganov, El Grande Toto ou bien Issam ne vous sont plus inconnus, tant la scène rap marocaine commence à s’exporter au delà des frontières du royaume chérifien, tout en proposant des visuels avec une identité bien marquée (comme la récente collaboration entre Draganov et le photographe Hassan Hajjaj).

Il y a aussi une autre scène rap marocaine, elle plus intimiste, plus revendicative, mais tout aussi prolifique et de qualité que celle connue du grand public. J’ai découvert cette scène lorsque je vivais au Maroc, notamment grâce à un festival auquel j’ai eu la chance d’assister, Hardzazat, qui regroupe des musiciens et artistes engagés politiquement, et qui a fait de son indépendance financière son fer de lance, afin que la parole de chacun puisse rester libre. 

C’est ici où l’on quitte le Maroc touristique et la place Jema el Fna de Marrakech, pour une tout autre réalité sociale, celle d’une jeunesse délaissée, muselée par les autorités, s’interrogeant sur son avenir dans une société inégalitaire. Et c’est en partie ce que dénonce le rappeur Mehdi Black Wind dans ses compositions, ou lorsqu’il soutient le mouvement Free Koulchi avec le son L’3omar, en référence au journaliste marocain Omar Radi, condamné à 6 ans de prison. (Free Koulchi, libérer tout le monde en français, est un mouvement appelant à la libération des prisonniers politiques, Médiapart en avait parlé ici)

Le rappeur marocain vient de Salé, et pour contextualiser, Salé est à Rabat, ce que Saint-Denis est à Paris: un oubli (volontaire) des gouvernements quant à une répartition équitable de la richesse au sein de la société. Salé comme Saint-Denis, sont témoins de nombreux chamboulements économiques (construction de la plus haute tour d’Afrique à Salé, organisation des JO à Saint-Denis), mais dont les populations locales se retrouvent exclues au détriment des classes bourgeoises et dominantes.

Justement,le natif de Salé est venu samedi 2 avril dévoiler en live son dernier EP, Arnak, présenté sous le signe de la piraterie (sans doute en référence au passé corsaire de la ville de Salé) à Saint-Denis, dans un lieu culturel hybride, le chapiteau Rajganawak, toujours dans cet esprit de création artistique indépendante, avec de nombreux rappeurs à ses côtés (notamment une rappeuse de Montreuil, Lylice, une très bonne découverte musicale, mais aussi le rappeur marocain Nessyou, qui pour mon plus grand plaisir a interprété son titre Sbira,sur le sample du titre “Tonton du bled” de 113).

Dans une ambiance intimiste et bon enfant, où l’on délaisse le français pour le darija, les sons s’enchaînent, tout en portant ce refus de l’ordre établi et le désir d’autres possibilités, et entre les ر ( r ) qui se déroulent à l’infini, on peut saisir la saine colère qui habite le rappeur, qui dénonce tout aussi bien Eric Zemmour, que le manque de convictions et les compromissions de certains rappeurs actuels dans leur choix des sujets abordés.

Pendant 2 heures, j’ai retrouvé l'énergie créatrice de la scène underground marocaine,  à l’aide d’un flow impeccable et de paroles percutantes et intelligentes. Le fait que ce concert ait eu lieu à Saint-Denis, dans ma ville, et dans un endroit comme Rajganawak a participé à l'appréciation globale de cette soirée, puisque ces moments sont aux antipodes des discours habituels sur la banlieue, et que tant que cela sera nécessaire, nos revendications sociales seront portées par une production artistique de qualité.

nefs L'Gmara par Mehdi Black Wind

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