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Billet de blog 4 juillet 2023

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Dans la nuit, la colère

Lire qu’il fallait contenir la colère, après un enième meurtre policier en banlieue, aussi difficile soit-elle à appréhender, a montré une fois de plus que nous sommes incapables de regarder les maux qui rongent notre société. En effet, si l’introspection est impossible, alors la guérison restera illusoire..

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Si un jour vous venez vous balader à Saint-Denis, il vous faut emprunter la rue de la République, et continuer jusqu’au numéro 48. Une fois arrivé, levez un peu la tête, et vous verrez inscrit en gros sur un bâtiment d’apparence miteuse entouré de barrières et autres outils de chantier  “L’état nous a abandonné”. 

Ce bâtiment est celui où s’est déroulé l’assaut du RAID le 18 novembre 2015, il y a presque 8 ans maintenant. Depuis, il ne s’est rien passé, enfin pas de rénovations, de travaux ou de nouveaux appartements flambants neufs. Le bâtiment est laissé tel quel, en pleine rue commerçante, et advienne que pourra. Et pourtant niveau travaux à Saint-Denis, nous sommes plutôt gâtés en ce moment entre la piscine olympique et les éco-quartiers…

Par curiosité, j’ai cherché la distance à pied entre le nouveau complexe aquatique des JO et l’immeuble où l’on peut lire le tag rappelant l’abandon de l’état: 21 minutes. Même pas de quoi atteindre les 10000 pas recommandés par nos applications santé…

J’ai donc beaucoup pensé à cet immeuble ces derniers jours, après le meurtre de Nahel  parce qu’il raconte pas mal du rapport de l'État à ses banlieues. Déjà, il y a le sort peu enviable des habitants de cet immeuble,  victimes du RAID et non de terrorisme, dont pratiquement tout le monde se foutait. On s’est même demandés s’ils n’étaient pas un peu suspects. C’était une nouvelle fois l’occasion de traîner les dyonisiens et autres banlieusards dans la boue, comme ce matin, sur France Inter, lorsque  le patron du MEDEF a avancé “ que le premier employeur de la Seine-Saint-Denis c’est les dealers”.

Nahel lui aussi a été désigné comme suspect. “Il n’avait qu’à obéir, il ne serait pas mort”. Dans cette semaine tragique, la vague de haine et d’hystérie embarque tout le monde.  Pire encore, il faut dès à présent émettre des conclusions sur ce que nous venons de vivre, malgré les émotions toujours vives.  Déjà, on accuse ceux qui ont participé aux révoltes de nourrir le FN, mais faut-il rappeler qu’un parti fondé par un membre de la Waffen-SS continuera de véhiculer des paroles de haine à l’encontre des personnes non-blanches, révoltes ou pas. Que de demander l’exemplarité aux “jeunes de banlieues”, demander à un groupe de personnes oppressé par le racisme et la précarité de contenir rage et colère face aux injustices, c’est déjà donner raison à l'extrême-droite.

Saint-Denis, comme bon nombre de quartiers, est une ville qui interroge notre rapport à l’autre, ce à quoi l’on consent pour notre confort individuel, par paresse ou par racisme. Peut-être que la vidéo du meurtre de Nahel en pleine journée fera prendre conscience à certains de cette violence d’état qui s’exerce tout azimuts au contact de corps de personnes non-blanches et précaires en banlieue, mais j’en doute. Depuis des décennies, des appels sont lancés pour dénoncer les violences policières, la paupérisation des services publics,  les discriminations multiples, mais rien ne se passe, au contraire, tout empire. Lire qu’il fallait contenir la colère, après un énième meurtre policier en banlieue, aussi difficile soit-elle à appréhender, a montré une fois de plus que nous sommes incapables de nous confronter aux maux qui rongent notre société. En effet, si l’introspection est impossible, alors la guérison restera illusoire..

Dans son  livre, V13,  relatant le procès du 13 novembre 2015,Emmanuel Carrère a écrit cette phrase, qui malheureusement trouve tout son sens suite à la mort de Nahel :“Les habitants de cet immeuble étaient les plus pauvres avant et les plus pauvres après”. 

Puissions-nous un jour donner tort à cette phrase.

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