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Billet de blog 8 février 2016

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L'europe de la honte

Depuis "la crise des migrants", nous laissons des extrêmes occuper l'espace médiatique, des discours de haine se propager, et nous acceptons et légitimons toutes les actions honteuses prises par l'Europe à l'encontre des migrants, soit en nous taisant, soit en ralliant des partis basés uniquement sur le rejet de l'autre.

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Nous, les européens, nous devrions avoir honte de cet odieux affront que nous faisons à nos valeurs communes, honte du monde que nous allons laisser aux générations futures. Nous restons silencieux face à une catastrophe humanitaire, le peuple européen se désengageant, s’orientant vers des partis xénophobes, et se repliant sur soi en prônant fièrement des valeurs nationalistes.

Nous ne voulons pas de la misère, et nous ne voulons pas partager nos richesses. Et pour cela, le fait de bafouer les belles et grandes valeurs qui ont fait de l’Europe un modèle de respect et d’apaisement entre états ne semble plus émouvoir, ne semble plus inquiéter. Nous laissons impunément des discours de haine se déverser dans les médias,  tout en regardant sans trop de colère et de mépris des manifestations d’extrêmes droites prendre place dans nombre de villes européennes.

Ainsi, pour traverser la frontière menant à l’Europe, il faut maintenant pouvoir justifier d’une des 3 nationalités qui pourront peut-être garantir l’obtention d’un statut de réfugiés (Syrie, Afghanistan, Irak). Pour les autres, tous ceux qui ont nourris l’espoir d’une vie meilleure, n’ayant  plus d’autres choix car victimes de persécutions au sein de leur pays ou n’ayant plus les moyens d’assurer des conditions de vies dignes pour leurs familles ou eux-mêmes, l’Europe s’est transformée en forteresse, et a decidé de hiérarchiser les souffrances en sélectionnant les candidats à l'exil.

Cette honte nous reviendra, dans plusieurs années, lorsque les nouvelles générations nous demanderons pourquoi nous n’avons pas voulu aider nos semblables, pourquoi l’Union Européenne demande à la Turquie de gérer à elle seule près de 3 millions de réfugiés, quand la France ou le Danemark s’insurgent de devoir en accueillir 15 fois moins. Pourquoi notre justification s’est-elle limitée au simple fait que « nous ne pouvons accueillir toute la misère du monde ? »

 Mais alors, que penserons-nous de notre silence face à ces lois liberticides que les gouvernements nous imposent comme étant des solutions face à ce danger que présente les migrants ? Arriverons-nous  alors à nous dire que nous avons laissé exister Calais, que nous n’avons pas su réagir face à cette loi innommable que le Danemark a votée pour que les migrants soient spoliés de leurs biens de valeurs, ou de notre silence à tous face à une proposition de loi d’une député allemande qui souhaite que l’on puisse tirer sur les migrants approchant les frontières ?

 Il y a cette phrase, très juste mais aussi très dure, entendue dans le reportage « Comme une pluie de parfum » diffusé sur Arte, qu’un Afghan souffle à la journaliste: « Une vie occidentale est beaucoup plus importante que 1000 vies ici ». Ces quelques mots soulignent notre arrogance et justifient notre comportement depuis des années à l’encontre des migrants. Nous nous moquons bien ici de savoir pourquoi il y a un tel afflux de réfugiés à nos frontières, que des guerres, menées pour nos propres intérêts, puissent être l’origine de ces drames, que nos frères meurent en mer, non vraiment, ne soyons pas choqués par ces morts quotidiennes, car leurs vies ne valent pas la nôtre.

 Sinon, nous ne pourrions accepter ce qu’il se passe actuellement, nous serions dans la rue pour demander à nos gouvernements une résolution  de cette crise, envisager ensemble de quelle façon nous pourrions offrir un avenir digne pour ces peuples qui souffrent. La souffrance de l’autre ne nous importe peu, que des innocents qui embarquent dans des bateaux de fortune en ayant conscience de pouvoir mourir à chaque instant lors de ces voyages ne nous concerne pas, tout comme le fait que des trafics soient mis en place sur le dos de personnes ayant déjà tout perdu et permettant par conséquent l’éclosion d’une économie souterraine basée sur la souffrance de l’autre.

 Nous allons donc nous habituer à des récits d’auditeurs le matin sur France Inter appelant à la défense du général Piquemal, initiateur d’une manifestation islamophobe à Calais, pour ensuite mettre en avant la nécessité de sauvegarder le « ç » dans la langue française. En se recentrant sur ce qui se passe en France depuis quelques années, nous devons faire face à un réel déclin de toutes nos valeurs communes, de notre capacité à penser librement, à ne pas accepter les extrêmes en tant que solution car cette progression, cette montée des partis populistes justement n’a plus à souffrir d’un rejet massif du peuple français.

Nous y sommes arrivés, parce que les discours sécuritaires nous font accepter n’importe quoi, nous font accepter qu’en France, qu’en Europe nous nous désengagions auprès d’autres êtres humains qui sont dans la plus grande détresse, et  pour ajouter à cette ignominie, en leur manifestant notre hostilité. La peur s’est emparée de notre capacité d’analyse, mais le plus dur sera de faire face à notre honte. De prendre conscience de ce que nous avons tous accepté car, non, l’étranger n’est pas le bienvenue en Europe. Nous laissons un peuple entier mourir à nos frontières et nous le regardons avec mépris, en ignorant sa souffrance.

 Il nous faut maintenant comprendre que chaque vie perdue en mer est une partie de notre humanité qui se noie avec elle, que notre silence et notre inaction nous rendent coupable et légitiment ces gouvernements odieux  qui font de l’Europe une honte. Et les quelques voix s’élevant contre cette tragédie, contre ces pourcentages donnés par l’Union Européenne sur les capacités d’accueil de chaque pays, sont vite remplacées par des discours sécuritaires et islamophobes.  

 Je ne peux accepter que nos priorités se soient à ce point égarées dans cette mondialisation, dans cette consommation effrénée d’images et d’informations qui nous pousse à ne plus nous poser les bonnes questions, à prendre le temps de nous interroger vraiment sur le monde que nous souhaitons ensemble construire et offrir à nos enfants. Nous nous orientons dangereusement vers quelque chose d’obscur, quelque chose de repoussant. Un monde égoïste valorisant la réussite individuelle, plutôt que la fraternité, la solidarité et l’entraide. Un monde dans lequel notre bien-être, notre richesse, notre soi-disant culture judéo-chrétienne importe plus qu’une main tendue vers nos frères en détresse. Mais pour le moment, nous avons seulement peur.

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