A l’heure d’une campagne présidentielle s'annonçant terriblement désastreuse, j’accueille avec plaisir les messages, les créations, ou interventions barrant un peu le chemin aux idées rances qui polluent nos radios et écrans télévisés.
C’est une des raisons pour lesquelles je me suis rendue hier à la projection du documentaire “Petit Pas” du réalisateur et journaliste Nadir Dendoune au cinéma Le Concorde, à Mitry-Mory. C’est l’histoire de cinq jeunes suivis par la protection judiciaire de la jeunesse du Val d’Oise qui partent quelques jours marcher en haute-montagne, accompagnés par deux éducateurs et un guide montagne
N’étant jamais allé à Mitry, je cherche l’itinéraire le plus simple pour m’y rendre. En partant de Saint-Denis, le GPS m’indique plus d’une heure trente de transport pour faire un peu moins de 20km. A cause de travaux sur la voie du RER B, il y a des bus de remplacements entre le Stade de France et Aulnay-sous-bois. Donc près de 3 heures aller retour, un peu plus si l’on souhaite se rendre à Paris Gare du Nord.
Le bus traverse La Courneuve, Le Bourget, Drancy, Le Blanc-Mesnil, pour enfin arriver à Aulnay, où l'on peut rejoindre le RER qui se rend à Mitry. Un détour dans les territoires perdus de la République, inconnus à tout ceux vivant retranchés de l’autre côté du périphérique.
Pendant quelques années, j’ai effectué le trajet quotidien entre mon domicile, Saint-Denis, et le 16ème arrondissement pour aller travailler. En moins de 12 kilomètres et 40 minutes à vélo, je passais de l’un territoire les plus pauvres de France à l’un des plus riches. Ces endroits n’ont en commun qu’une volonté politique de laisser les choses en l’état, en nous assignant dans de telles cases,que même notre proximité géographique n’y peut plus rien: le dialogue et les rencontres hors des clichés sont devenues quasi-impossibles.
Ce trajet en bus me ramène à cela: nos réalités de vie disparates.
J’arrive enfin à Mitry. Le contraste est saisissant avec l’agitation habituelle du dimanche à Saint-Denis, jour de marché. Les rues sont vides et les commerces fermés. Un vrai dimanche, comme j’ai pu les connaître dans mon village d’enfance normand, où un dimanche se doit d’être une vraie journée de repos, et où il ne se passe pas grand-chose.
Le cinéma n’est pas loin de la gare. Un petit cinéma d’une salle seulement, dont certains diraient qu’il est un cinéma d’art et d’essai, d’autres un cinéma orienté à gauche existant uniquement grâce à nos impôts. Avant la projection, le réalisateur nous explique le contexte de ce documentaire, et la raison d’un tel projet.
Une fois la projection commencée, on découvre 5 gamins, qui, comme ils le disent, ont fait des bêtises, mais pas seulement. Tout de suite, on comprend que ce n’est pas un reportage M6, où le besoin de sensationnalisme prend le dessus sur la réalité. C’est un documentaire qui nous présente entre autres un jeune homme placé à sa naissance et pendant 18 mois en pouponnière, fan de Michel Sardou et Daniel Balavoine, filmé dans un quotidien différent de ce qu’il a toujours connu.
On apprend aussi que ces enfants n’avaient jamais randonné, ni pratiqué la marche, à l’exception de l’un d’entre eux, qui raconte son périple à pied depuis le Cameroun pour arriver jusqu’en Europe. Ils ont l’air d’être heureux de “respirer de l’air potable” et de voir autre chose que la région parisienne. Un des jeunes, en apercevant le Mont-Blanc, se fait la réflexion que sa juge serait fière de le voir ici.
Le rôle des éducateurs est aussi mis en avant tout au long du documentaire: comment interagissent-ils avec les jeunes, leurs expériences, et comment se sont-ils retrouvés à mettre en place un projet si peu ordinaire. L’un d’entre eux expliquera aussi que le matraquage médiatique sur la délinquance est tout de même en opposition avec la réalité du terrain où l’on observe une baisse des chiffres de la délinquance depuis de nombreuses années ?
Avec l’aide du guide montagne, et d’une solidarité qui s’est rapidement mise en place au sein du groupe, les 5 adolescents, sans expérience aucune de la randonnée, ont tous finit ce périple de 5 jours autour du Mont-Blanc. On apprend à la fin que sur l’ensemble des jeunes randonneurs, 4 sont parfaitement réinsérés depuis.
Un débat est ensuite organisé à la fin de la projection, et revient régulièrement dans les questions des spectateurs l’absence de volonté des acteurs politiques à prendre en compte la réalité des problématiques de la délinquance juvénile, et les trop maigres moyens financiers mis en place pour un accompagnement efficace des ces jeunes laissés à l’abandon.
Ce débat a le mérite de ramener les enfants à leur place d’enfants - Nadir Dendoune s’interrogeant même sur la pertinence d’envoyer un enfant de 13 ans en prison - et d’échanger avec des acteurs actifs sur le terrain (des éducateurs présents à la séance ont fait part de leur ressentis mais aussi de leurs difficultés quotidiennes quant à la bonne réalisation de leur mission).
Sur la route du retour, j'ai pensé qu’il aurait été bien que des politiciens, ceux qui décident du destin de ces enfants, prennent ce bus de remplacement avec moi, témoignant de l’enclavement des banlieues, pour y découvrir des villes différentes, des éducateurs nuancés, des trajectoires d’enfants aux vies bancales mais dont chaque histoire est unique et se confrontent de près et sans clichés aux conséquences des injustices sociales.
ci-dessous la bande annonce du documentaire Petit Pas: